L’Actualité Ali Brahimi, avocat

“Ce que dénonce Saïd Bouteflika est impossible”

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Nissa HAMMADI Publié 07 Janvier 2021 à 09:01

© D.R
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Selon ce juriste, depuis la levée de l’état d’urgence en 2011, “aucune autre autorité que le juge ne détient le pouvoir d’assigner à résidence”. Celle-ci, poursuit-il, est actuellement “toujours prononcée en appoint dans le verdict d’un procès judiciaire”.

Liberté : Lors de son procès en appel devant le tribunal militaire de Blida, Saïd Bouteflika a soutenu que son frère est assigné à une résidence surveillée. Comment peut-on interpréter cette déclaration, puisque, officiellement, l’ancien président n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires ?

Ali Brahimi : Effectivement, la situation que paraît vouloir dénoncer Saïd Bouteflika est impossible au plan du droit algérien actuellement en vigueur. La peine d’assignation à résidence est toujours prononcée en appoint dans le verdict d’un procès judiciaire. Sur ce point et à notre connaissance, son frère n’a pas fait l’objet ni de poursuites ni de condamnation judiciaire connues. En effet, d’un point de vue strictement légal, l’autorité administrative et le pouvoir exécutif ne jouissent plus d’une telle prérogative juridique. L’état d’urgence proclamé le 9 février 1992 (décret présidentiel 92-44) et dont l’article 6 donnait au ministre de l’Intérieur et au wali le droit d’assigner à résidence ou d’interdire de séjour  a été légalement levé depuis 2011. Si cette allégation de Saïd Bouteflika venait à se vérifier, ce serait, au plan du strict droit, une violation des dispositions de la loi. Sauf violation de la loi en vigueur et Saïd Bouteflika n’étant pas un juriste, c’est sur un autre terrain que le droit qu’il faut chercher le sens et les visées de ses dires. Se peut-il que Saïd Bouteflika confonde, par ignorance ou sciemment, l’assignation à résidence avec la procédure de l’interdiction de sortie du territoire (ISTN) ? Précisons que celle-ci (l’ISTN) relève aussi du monopole des compétences judiciaires et est exclusivement ordonnée par le seul procureur territorialement compétent conformément à l’art. 36 bis du code de procédure pénale (ordonnance 15-02 du 23 juillet 2015) qui en limite la durée à 3 mois renouvelables une fois pour les affaires ne relevant pas du terrorisme. L’ISTN est en général une mesure conservatoire à caractère préventif usitée plutôt en amont d’un procès judiciaire qui n’advient pas dans toutes les situations. Alors et dans ce cas, Saïd Bouteflika n’est-il pas en train de dénoncer une ISTN qui frapperait Abdelaziz Bouteflika ? Confusion difficile à croire dans la tête d’un dirigeant de premier plan comme Saïd. 

Pourquoi alors une telle affirmation ?

Cela étant et de manière générale, la déclaration intégrale de Saïd Bouteflika semble viser d’abord à se disculper lui-même en chargeant son frère (il le dit expressément) de toutes les responsabilités comme l’ont fait d’anciens ministres inculpés et/ou condamnés. Sauf preuves matérielles probantes, cela se tient, au plan strictement juridique, pour lui qui n’avait pas de prérogatives légales d’ordonner quoi que ce soit aux ministres et responsables qui se réfugient derrière de supposées directives de sa part pour se disculper devant les tribunaux. Par ailleurs, et à moins que n’existent des éléments, des faits ou des informations et paramètres politiques que nous ignorons, par son allégation de résidence surveillée dont ferait l’objet son frère aîné, le court discours de Saïd Bouteflika entreprenait très visiblement, dans une communication fine, de plaider la cause de l’ancien président. Dans cette plaidoirie, il victimisait clairement son aîné tout en rappelant combien lui (l’ancien président) avait été magnanime envers ses compagnons et adversaires. On peut se demander pourquoi il prend pour la première fois publiquement la défense de son frère ? Auprès ou en direction de qui plaide-t-il pour Abdelaziz Bouteflika ? Craint-il, à tort ou à raison, que celui-ci soit prochainement déféré devant la justice ? Sur quels sentiments ou éléments probants reposerait une telle crainte ? Se fonde-t-elle sur des évolutions supposées ou réelles des rapports de force internes au système pour craindre la justice pour son frère ? Est-ce pour cela qu’il supplie les juges de lui épargner les questions pour lui éviter de blesser des gens tout en précisant (menaçant ?) qu’il en possède les réponses ? L’avenir plus ou moins proche répondra peut-être à ces questions.   

Pouvez-vous nous préciser  dans quelles  circonstances  peut être prononcée l’assignation à résidence ? 

Le code pénal en vigueur est précis et clair. Il énonce et classe (art. 9 alinéa 3) l’assignation à résidence comme une peine complémentaire parmi 12 peines au total. L’art. 4 al. 3 édicte qu’une peine complémentaire n’est prononcée, sauf dérogation légale, que pour accompagner/compléter une peine principale. Il précise que la prononciation d’une peine complémentaire est obligatoire ou facultative pour le juge selon les diverses infractions où elle est prévue dans le code pénal. L’art. 11 du même code consacre tacitement l’assignation à résidence comme une prérogative accordée au juge, et ce, dans le cadre de la prononciation d’un jugement en la définissant comme “l’obligation faite à un condamné de demeurer dans une circonscription territoriale déterminée par le jugement”. Autrement dit, aucune autre autorité que le juge ne détient le pouvoir d’assigner à résidence. L’alinéa 2 de cet art. 11 va jusqu’à délimiter le moment de la mise en œuvre de l’assignation à résidence en le faisant démarrer “du jour de l’expiration de la peine principale ou de la libération du condamné”. 

Pourquoi les autorités compétentes n’ont-elles pas jugé nécessaire d’apporter les clarifications qui s’imposent après cette révélation ?

Je ne suis pas dans les secrets des dieux. Peut-être que c’est parce que personne, parmi ceux qui doivent et peuvent clarifier l’affaire, ne sait que répondre ou pire ne s’estime pas en devoir de le faire. Depuis toujours, en Algérie, les options du pouvoir, en matière de communication sur les affaires publiques, ne relèvent pas des paramètres et stratégies de gouvernance normaux existant dans les États démocratiques où le droit à l’information du citoyen et l’obligation faite au gouvernement d’informer l’opinion publique font et sont lois. Hélas, la culture patrimoniale et patriarcale du sultanat a la vie dure et résiste à tous les séismes politiques et évolutions de la société et du monde en particulier lorsqu’elle s’abîme dans l’usage inconsidéré du verrouillage politique et de la répression tous azimuts. Le traitement officiel des cas des maladies du Président en exercice et de son prédécesseur atteste bien que le pouvoir en place se considère dispensé de tout devoir de transparence dans la gestion des affaires publiques ; ce cas n’étant qu’un exemple parmi une légion d’autres aussi lourds, à l’instar du dossier de l’argent public détourné et non réclamé à ses récipiendaires…    

La Haute Cour de l’État, seule habilitée à juger un chef de l’État, n’a pas encore été installée. Pensez-vous que c’est pour cette raison qu’Abdelaziz Bouteflika n’a pas été convoqué par la justice ?

Peut-être bien. Il est clair que ni Zeroual ni Bouteflika n’ont jugé nécessaire de mettre en place cette Haute Cour qui – théoriquement — les concernait spécialement. On pourra bientôt vérifier votre hypothèse à l’aune de la mise en œuvre de la Constitution révisée et amendée le 1er novembre dernier. Toutefois, n’oublions pas que le système, obstiné à ne pas dégager face à l’exigence de la majorité du peuple algérien, s’est toujours drapé officiellement derrière des scrupules juridico-constitutionnels qui frisent le fétichisme. Comme tout le monde l’a vérifié, cette rhétorique mortifère fonctionne comme un cercle fermé à tout changement. Elle redonne, à tous les coups et avec les mêmes procédés de fraude-répression-corruption, la main aux mêmes dictateurs responsables d’un désastre invariablement reconduit et refait depuis des décennies.  Toujours est-il que la non-présentation ou la future présentation de l’ancien président Bouteflika devant la justice relève de bien d’autres paramètres autrement moins juridiques qui se rapportent aux luttes et équilibres de clans du système, et surtout à la responsabilité collective de la plupart des décideurs et dirigeants dans la faillite qui frappe l’Algérie ces vingt dernières années.

 

 

Interview réalisée par : Nissa Hamadi

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