Économie Mohand Touazi, chef d’entreprise et membre du Care

“La TAP entrave l’investissement”

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Ali TITOUCHE Publié 12 Janvier 2021 à 09:49

© D.R
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Liberté : Le coût fiscal pour les entreprises activant en Algérie est estimé entre 40 et 55% de leurs revenus dans les secteurs de production hors hydrocarbures. Ces taux sont-ils un facteur entravant pour l’investissement ? 

Mohand Touazi : Le système fiscal algérien n'est ni équitable, ni efficace, ni lisible, d'où la fuite systématique devant l'impôt. Il est donc important de réfléchir à une réforme sérieuse et profonde de ce système avant d'entamer le débat sur le niveau des taux d'imposition à mettre en place. La fiscalité n'est pas l'unique entrave à l'investissement et à la production. En Algérie, le climat des affaires (ensemble de critères évalués pas la Banque mondiale pour classer la facilité de faire des affaires dans un pays) est très mauvais. Concernant la fiscalité, bien entendu, la seule présence de la TAP (taxe calculée sur le chiffre d'affaires, que vous fassiez ou pas des bénéfices) dans le système fiscal est complètement anachronique. Cet impôt a fait fuir un grand nombre d'opérateurs (particulièrement dans l'activité de commerce de gros où les marges sont très faibles) vers l'informel. Concernant le taux de l'IBS, 19% pour la production et 26% pour les services, le niveau ne pose pas de problème particulier si ce n'est celui de la concurrence déloyale de l'informel qui ne paie pas d'impôt, ce qui crée une grande distorsion. Le principal handicap fiscal à l'investissement et à la production de richesse reste la TAP et l'iniquité de l'impôt.

Ces taux d’imposition élevés ne favorisent-ils pas les fléaux économiques de fraude fiscale et de l’informel ?

Comme je viens de vous le dire, la TAP et la concurrence déloyale de l'informel sont des fléaux qui poussent vers la non-déclaration et grossissent les rangs du secteur informel (effet multiplicateur). La bureaucratie et la perception de l'entreprise en tant que fraudeur potentiel beaucoup plus qu'un créateur de richesse et d'emplois ne facilitent pas le fonctionnement apaisé de l'entreprise et même de l'économie en général. Il est nécessaire que cette psychologie évolue vers un sentiment de partenariat entre toutes les parties prenantes (État-entreprises-administration). Comme en politique, un climat de confiance devrait s'installer pour provoquer cette adhésion recherchée. Dans la politique fiscale actuellement en vigueur, n’y a-t-il pas comme une quête permanente de facilité qui se traduit, sur le terrain, par une pression fiscale ininterrompue sur les bons contribuables, alors que les circuits de l’économie informelle continuent de prospérer et d’échapper au contrôle ? Absolument, au lieu d'entamer le chantier de l'inclusion de l'informel pour élargir l'assiette fiscale et, par ricochet, éliminer la concurrence déloyale, on va au plus facile, à savoir maintenir les entreprises qui sont formalisées dans un climat de suspicion et de peur jusqu'à parfois les pousser à disparaître dans le nuage insaisissable de l'informel. Notre système fiscal n'est pas du tout fonctionnel ; toutes les masses d'argent qui circulent dans la sphère informelle ne sont pas appréhendées par le système actuel. Seules les entreprises formalisées supportent le poids de la taxation. Pourtant, l'intérêt de cet appel à la formalisation est bénéfique à tous ; augmentation du nombre d'opérateurs soumis et payant réellement l'impôt. Elle serait une source pour le Trésor public et instaurerait un sentiment de justice fiscale qui serait la base d'une adhésion plus grande des contribuables, et bien sûr présenterait le visage d'une économie moderne, condition d'attrait des IDE, dont on parle si souvent. 

Quelle serait, d’après vous, la solution idoine pouvant concilier les impératifs d’amélioration des recettes fiscales et le principe de justice fiscale ? 

Un système fonctionnel doit être d'abord moderne dans le sens où la simplicité, la cohérence et l'équité doivent être les piliers. Dans ce cas, l'inclusion du secteur informel par, entre autres, la suppression de la TAP est un chantier prioritaire. Le Care, dans une étude datant de septembre 2020, propose de mettre à plat tout le système pour le rendre plus crédible et plus fonctionnel, et pour cela, il doit être simple et accepté par tous (principe d'adhésion). Ce système suppose de mettre fin à la plupart des dispositifs d’exonération, car ils créent de la distorsion et affectent le plus souvent l’équité. Et cela augmenterait la masse des recettes tout en mettant tous les opérateurs dans les mêmes conditions de concurrence (justice fiscale). Le système en place ne sait pas collecter l’impôt sur l’ensemble de l’activité économique de façon équitable. La TVA collectée aux douanes représente 60% de toute la TVA collectée. Alors que le taux de TVA est de 19%, la TVA intérieure collectée ne représente que 3% de la valeur ajoutée intérieure. Cela nous renseigne sur le poids de l'informel et de l'inefficience du système de collecte de l'impôt. La TAP n’existe pratiquement plus ailleurs dans le monde car cela crée un système de taxation en cascade. C’est pour cela que le système de la tva est à privilégier. Dans le document du Care, il est mentionné que “celle-ci (la tva) est devenue une ressource fiscale des plus importantes qui pèse, selon les pays, entre le quart et le tiers des ressources fiscales (17,5% seulement des recettes fiscales en Algérie, dont 61% prélevées à l’importation). À cet égard, un bon système, fonctionnel et équitable, de TVA est essentiel dans tout dispositif fiscal. Actuellement, le système de TVA en vigueur n’est ni fonctionnel ni équitable”. La généralisation de la TVA et la suppression de la TAP concourront à cette double contrainte de l'augmentation des recettes dans un système moderne de justice fiscale.

 

 

Propos recueillis par : A. Titouche

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