L’Actualité Arcatures sociologiques

De la démocratie chosifiée

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Rabeh SEBAA Publié 25 Juin 2021 à 23:54

© D. R.
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CHRONIQUE de Rabeh SEBAA

De suffrage en scrutin et de vote en référendum. Sans que la nature intrinsèque du pouvoir politique en Algérie connaisse le moindre frémissement de changement. Le moindre dessein de mutation. La moindre intention de conversion ou la moindre velleité de transformation. Il y a donc une ostensible simulation.
Sur le plan sociétal ensuite, une volonté affichée de statu quo. Puisque cette suite de “consultations” ne s’est pas traduite par une reconfiguration des contradictions. Ou tout au moins des formes de manifestation des contradictions globales qui habitent et agitent le corps convulsif de l’Algérie. En revanche, elle a exacerbé certaines d’entre elles et rendu patentes d’autres, qui étaient jusque-là latentes. Des contradictions criantes et devenant de plus en plus flagrantes. Il y a donc une nette aggravation.
Pas la moindre volonté de rencontrer ou seulement croiser les modes d’expression angoissés de l’être social algérien, dont des pans entiers demeurent, jusque-là, très largement niés, brimés, récusés et scotomisés. Il y a donc une impudente oppression. 
Une oppression caractérisée. Malgré l’usage récursif et l’emploi abusif de la notion de démocratie. Une notion effroyablement décharnée et  rudement malmenée. Une notion qui tend à avoir pour funeste mission d’épaissir, sinon d’obscurcir, l’intelligibilité première de ces pans sociétaux. La reconduction abusive et désordonnée des contenus instrumentaux des registres démocratico-modernitaires indique qu’il n’existe aucune aptitude, requise ou non, à s’inquiéter des rapports entre “la justesse du général et la vérité du particulier”, selon les mots de J. Berque. 
Bien au contraire. Les mots génériques de la démocratie, de la modernité et de la nouveauté, tout en se constituant en registre non spécifique, se composent également ou forment la barre de différenciation entre les visions, les croyances, les interprétations, et ensuite, les actions dans les domaines politique, sociétal, anthropologique et culturel. C’est ainsi que s’organise, présentement, autour du registre de la “nouvelle Algérie démocratique”, l’adhésion et la contre-adhésion. Que se déclinent l’appartenance et l’exclusion. Voire dans certains cas l’anathémisation, poussée parfois jusqu’à l’excommunication. Prenant l’allure d’une recherche proclamée de décantation de visions, voire de cantonnement de positions, au sein d’un unanimisme à l’apparence de consensus général. Nonobstant le rejet massif, explicité et exprimé de nouveau, par la société dans sa globalité. Un rejet réitéré dans trois séquences électorales successives, avec le même élan et la même force. Mais malgré ce rejet sans appel, c’est autour de cette notion de “démocratie nouvelle” que s’affiche le projet d’ordonnancer le consensus et le contre-consensus. Une opposition sous forme de catégories, de notions, de contre-notions, de désignations, voire d’accusations. Parmi lesquelles se met en exergue une nouvelle dualité qui pénètre par effraction dans l’espace sémantique politique algérien : ahrar (indépendants) et ahzab (partis), supplantant le binôme moujtmâa madani (société civile) et dawlet el qanoun (État de droit). Ou encore reléguant, en seconde zone, le trinôme de mouâarada (opposition), dimoqratioune (démocrates) et islamiyoune (islamistes). Catégorisations revisitées également récemment. Comme de prétendues lignes de démarcation. Réadaptées ou acclimatées à la nouvelle contexture et à l’aune de “la nouvelle Algérie”. Mais malgré cette tentative de réagencement, ces catégorisations apparaissent distinctement dans toute leur formalité, voire leur virtualité. Pour ne pas dire dans leur pleine et entière irréalité. Ces désignations disjonctives ont pour attribut supposé, celui qui consiste à marquer, virtuellement tout au moins, l’appartenance à l’un ou l’autre versant, avec parfois, dans l’emploi même, un rejet explicite du protagoniste ou de l’adversaire. Ce “nouveau” registre s’investissant dans la “nouvelle Algérie”, reconsidéré à l’occasion de la dernière “consultation”, renvoie aux structures discursives fondamentales des différents versants qui s’y retrouvent. Versants représentés comme composantes de l’exclusivisme contre l’existence, duquel ils prétendent fonder la leur. Sans que l’ensemble de ces projections et de ces intentions, érigées en prétentions, correspondent à un ancrage réel de leurs déterminants dans l’immanence du réel sociopolitique algérien. Dans tous les cas, l’usage généralisé de ces notions de type indicatoire concède la rançon de l’absence de questionnement à leur égard. Un déficit d’inquiétude réflexive, fortement banalisé, et qui n’est pas loin de la béatitude et parfois de l’euphorie, que procure le recours à la métaphore poétique. Moins la beauté et la magnificence qui habitent toute poésie, bien évidemment. 
Leur emploi répétitif à l’excès ne participe pas de l’ordre de la quête dans le procès d’une quelconque refondation. Ni la refondation de la texture du discours politique. Ni celle de l’armature du sociétal ou du sociologique. Encore moins aux postures afférentes au cognitif. Ces registres de la “démocratie nouvelle” dans une Algérie non moins “nouvelle” constituent plus des émanations d’ordre fantasmatique qu’une quelconque contribution à la lecture du réel sociétal. Elles consistent encore moins à expliciter son intelligibilité. Bien au contraire. Elles participent à son opacification en produisant abondamment et durablement de la confusion. Une confusion dense, manifeste et permanente entre l’interprétatif et l’explicatif. Trop souvent, cette même confusion entre schémas interprétatifs et schémas explicatifs se double d’une autre confusion entre réflexivité et émotivité. L’enflammement instantané et répété, pour les mots prétendument “neufs” dans un contexte tout aussi affublé du qualificatif de “neuf”, tient lieu de pensée. 
Dispensant, par conséquent, de tout effort de réflexion ou d’imagination. Le tintamarre crissant des onomatopées, qui accompagne la plupart du temps leur usage, étouffe les bruissements ténus du sens que réfléchissent les structurations complexes du réel. Souvent réduit, d’ailleurs, au réel politique, lui-même réduit à la configuration ou, plus précisément, à la nomenclature juridico-associative qui s’autoproclame paysage politique de “la nouvelle Algérie” prétendument démocratique et artificillement multipartiste. Nous sommes bien en présence d’une chosification du politique, ou plutôt d’une double chosification : chosification du politique à travers l’instrumentalisation du vocabulaire “démocratique” et chosification du paradigme universel de démocratie politique par le pullulement de groupements et de regroupements d’intérêts conjoncturels se cristallisant et se réalisant dans l’existence formelle d’un rassemblement apprêté, supposé énoncer des textes juridiques, formuler la substance des lois et préciser la teneur des droits. À l’endroit d’une société en quête des siens.

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