L’Actualité Massacres, déportations, expropriations, code de l’indigénat…

Des historiens français exhument la page sombre de la conquête de l’Algérie

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Samia LOKMANE KHELIL Publié 19 Mars 2021 à 22:07

© D. R.
© D. R.

Contrairement à la guerre d’indépendance, cette période qui marque le début de la colonisation reste encore peu connue en France.  

Pour comprendre la guerre d’indépendance, il est nécessaire, on le sait, de remonter aux origines de la  colonisation  et  de  retracer  les  faits  les plus marquants de la conquête française.

Dans son dernier numéro paru jeudi dernier, le magazine français Historia a choisi de faire ce travail en s’attardant sur la période allant de 1830 à 1902, un peu plus de 70 ans, durant lesquels, la France, pour asseoir sa domination sur l’Algérie, s’est engagée dans une politique de terre brûlée et d’extermination.   

“On observe bien  des  pratiques  criminelles, voire génocidaires, lors de certaines séquences  très  précises, inspirées  notamment des colonnes infernales de Turreau en Vendée, en 1793. Les récits de Bugeaud, de Saint-Arnaud, de Montagnac sont absolument terrifiants : il faut tuer, avancer et brûler.

Dans les années 1840-1850, des militaires ont pensé que les déportations, les bannissements de population, les épidémies de typhus, etc. pouvaient et devaient faire disparaître la population. Cela est indéniable”, précise l’historien Benjamin Stora, dans une interview accordée au magazine, dans le cadre d’un dossier thématique coordonné par Tramor Quenemeur, autre spécialiste de l’histoire de l’Algérie.

À la parution de son rapport sur “Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie”, en janvier dernier, certains avaient pourtant reproché à Benjamin Stora de ne pas avoir suffisamment documenté les faits relatifs à la conquête française. Or, selon lui, cette période est importante pour analyser l’histoire de la colonisation.

“On a appris cette histoire en commençant par la fin. Par le tragique et ultime engrenage. Aussi, ne comprend-on pas comment on en est arrivé à ce paroxysme de violence. Si on ne remonte pas aux origines de la conquête, de la dépossession, on ne réglera pas ce problème sur le fond”, souligne l’historien, en préconisant “un traitement de longue durée, qui passe par toute une série de travaux pratiques, au travers de personnages symboliques, de manuels, de films, de documentaires”.

Encore très peu connue en France, la trame de la conquête française ressemble, selon Stora, à celle de la conquête de l’Ouest américain. Elle est menée sous les ordres des militaires, par “des soldats-laboureurs” qui “avancent (…) avec le sentiment d’avoir affaire à des sortes d’Indiens, des peuplades primitives que l’on peut balayer”.

Dans une contribution au dossier, l’historien Jean-Pierre Guéno décrit la cruauté des campagnes successives de pacification organisées entre 1830 et 1871, un euphémisme derrière lequel se cachent, selon lui, “quarante ans de massacres que d’aucuns qualifient de crime contre l’humanité”.

Pour l’historien, la nomination de Bugeaud comme gouverneur d’Alger en 1840 représente un tournant tragique avec “des vagues de massacres, des déportations massives, des rapts de femmes et d’enfants, le vol des récoltes et du bétail, la destruction des vergers, la spoliation des terres et leur attribution aux ‘officiers méritants’ – qui font alors de brillantes carrières proportionnelles à leur cruauté”.

Jean-Pierre Guéno rappelle que les Arabes étaient considérés comme “des barbares que les Européens se devaient de mater, d’asservir et de spolier”. Il cite, à ce propos, le philosophe Alexis de Tocqueville, théoricien de la conquête coloniale qui avait préconisé une guerre sans merci et un étouffement économique par l’interdiction du commerce.

Dans la pratique, la politique de la terre brûlée de Bugeaud est complétée par des méthodes de massacres terrifiants comme les enfumades et les emmurades des civils, sans distinction d’âge et de sexe.

En exterminant les Algériens, les conquérants voulaient, en toute évidence, faire main basse sur les richesses du pays. “Dès les premiers moments de la conquête, la volonté de tirer le maximum de profit des richesses algériennes est patente.

Ainsi, après la reddition du Dey d’Alger, les  soldats  français pillent la ville et les trésors de la régence, en dépit des promesses du traité”, précise Tramor Quenemeur dans un article intitulé “Par l’épée et par la charrue”.

L’historien rappelle que la spoliation  des  biens  Habous entre 1867 et 1870 avait entraîné une grande famine, avec au moins 300 000 morts. Une dizaine d’années plus tard, la domination des Algériens est entérinée par l’adoption du code de l’indigénat qui avait accordé à l’administration française des pouvoirs judiciaires illimités. 
 

Samia LOKMANE-KHELIL

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