L’Actualité Mohamed El-Hadi HARÈCHE, historien

“Il n’y a qu’en Algérie où on conteste nos symboles”

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Imène AMOKRANE Publié 20 Janvier 2021 à 21:52

© D.R.
© D.R.

“Les divergences ne sont pas dans la lecture de notre histoire amazighe, mais plutôt dans le déni de l'existence des Amazighs dans notre histoire par les partisans du nationalisme”, regrette l’historien Mohamed El-Hadi Harèche. 

Liberté : La statue de Chachnak qui trône désormais à Tizi Ouzou a suscité beaucoup de controverses. Que pensez-vous de l’identité de ce roi pharanique ?
Mohamed El-Hadi Harèche :
En fait, beaucoup de choses ont suscité le débat dans notre pays depuis l'indépendance car la politique de déni de l'autre, que nous avons adoptée, allait nous mener à quoi nous sommes parvenus aujourd’hui. Ce que vous appelez ce “roi pharaonique” était, en effet, l'un des pharaons d'Égypte et le fondateur de la vingt-deuxième dynastie, qui est attribuée aux Libyens. Par la Libye, j’entends ici l'Afrique du Nord, qui s’étendait, dans le passé, du Nil occidental à l'océan Atlantique. Donc, s’il était pharaon égyptien, alors il serait d'origine libyenne. Ériger cette statue n'aurait pas suscité toute cette controverse si elle avait été placée ailleurs. 

La statue de Massinissa a également suscité des oppositions. S’agit-il de divergences de lectures de notre histoire amazighe ou alors est-ce lié à des considérations politiques ?
Contester l'inauguration de la statue de Massinissa trouve une partie de la réponse dans l’introduction à la question précédente. Si les divergences étaient dans la lecture de notre histoire, nous en serions heureux, car la divergence intellectuelle est une “bénédiction” et une preuve de savoir et de prise de conscience, mais ce qui est le plus dangereux, c’est lorsque l'idéologie et le chauvinisme président à la prise de décisions. Je donne l’exemple de la commune d'Alger-Centre qui a financé la construction de la statue de Massinissa. Au départ, il a été décidé de l'installer à la rue Pasteur, près de l'entrée du tunnel des Facultés, mais ensuite, elle a été déplacée par le wali à la place Tafourah sur notre insistance, car ce même responsable avait auparavant choisi de l’ériger à Bab Ezzouar. Nous avons vraiment besoin de nous réorganiser. Et à l'approche du soixantième anniversaire de l'indépendance, nous ignorons toujours qui nous sommes, et nous n'avons pas encore décidé si nous devons construire ce pays ou si nous voulons le détruire avec nos égoïsmes ! Dans ce contexte, je rappelle la dernière volonté du roi Micipsa, fils de Massinissa, à ses enfants, alors qu'il agonisait : “Pour moi, je vous lègue un pouvoir solide, si vous le conduisez bien ; chancelant, si vous vous conduisez mal. Car la concorde fortifie les États, la discorde détruit les plus grands…” 
Ainsi, j’ai toujours dit qu’aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de cette recommandation pour construire notre avenir, car la politique de l’éparpillement et de la division pratiquée par le colonialisme, et qui est toujours employée, ne nous servira pas et ne servira pas ce pays, car nous n’avons pas un autre pays de rechange. En somme, les divergences ne sont pas dans la lecture de notre histoire amazighe, mais plutôt dans le déni de l'existence des Amazighs dans notre histoire par les partisans du “nationalisme”, et cela, aux dépens de la patrie et sans en mesurer les conséquences.

Sur quelle base le roi Chachnak a-t-il été choisi ? 
Contrairement à l’Algérie, les symboles dans de nombreux pays ne sont pas contestés. En fait, nous n'avons fait de consensus que pour contester ces symboles. Prenons l'exemple de l’Émir Abdelkader qui a combattu la France pendant une décennie et demie et qui devient, par des messages de propagande et des écrits français, un ami de la France : nous n'avons pas pu démasquer cette campagne de propagande accréditant alors, chez beaucoup, la thèse que c’est un traître. Massinissa a uni le royaume de Numidie qui, pendant son règne, s'étendait de la vallée de la Malawiya (Maroc) jusqu’à Alqaws (Libye actuelle), et malgré ce qu'il a fait dans divers domaines pendant les cinquante-cinq années de règne, il est devenu, du jour au lendemain, traître, car il a combattu Carthage, laquelle a tenté de l'empêcher d'arriver au pouvoir. Nous avons aussi entendu dire qu'El-Mokrani était un bachagha et qu’il s'est battu pour ses biens, Ferhat Abbas un assimilationniste et Ibn Badis un réformateur… Nous avons ainsi collé à chacun de nos symboles une étiquette à telle enseigne qu’il n’en existe aucun qui ne soit pas dénigré. Ailleurs, en Égypte par exemple, si vous interrogez un égyptien sur Cléopâtre VII, il vous dira que c’est une reine égyptienne, alors que nous savons qu'elle est le successeur ptolémaïque grec d'Alexandre le Macédonien, qui a régné sur l'Égypte (305-30 av. J.-C.). 
Et personne ne le conteste. Personne ne dénigre les pharaons ou leur histoire, tout comme les Irakiens ne dénigrent pas l'histoire des Sumériens venus dans la région, ni l'histoire des Chaldéens, des Babyloniens ou des Assyriens. Ils ne disent pas qu'ils sont païens ou athées, pendant que nous, nous renions notre histoire et nos symboles, et nous les traitons de mécréants comme s’ils devaient se convertir à la religion musulmane avant même son avènement ! 
Quant au choix de Chachnak comme symbole de notre identité, en fait, je n'ai pas assisté aux délibérations, s'il y en a eu bien sûr. Je ne l’ai su qu’à mon retour d'Adrar en décembre 2018 par l'intermédiaire d'un employé de la wilaya de Tizi Ouzou, mais j'imagine qu'il a été choisi pour ce qui le lie au calendrier amazigh, à la date de son accession au trône d'Égypte et à sa création d’une dynastie libyenne (amazighe) qui a gouverné l'Égypte pendant plus de deux siècles de 950 à 730 avant J.-C.

N'était-il pas plus judicieux de sculpter Chachnak dans l’apparat d’un leader amazigh ?
Non, je ne le pense pas. Ce qui le relie à nous, ce sont ses origines, et non pas le fait d’être un leader. Et l'idée de sa prétendue victoire sur Ramsès II ou Ramsès III est fausse. De plus, il n'était pas contemporain de Ramsès, qui vécut au XIIe et au XIIIe siècles avant J.-C., alors que Chachnak vivait au Xe siècle avant J.-C. Donc, ce qui le lie ce sont ses origines et tout changement dans ses traits ou ses vêtements serait, de mon point de vue, considéré comme une falsification. Nous savons que l'association de Chachnak au calendrier amazigh est symbolique. 

Pensez-vous que la concrétisation de la dimension amazighe de l'identité nationale se heurte à des résistances au plus haut niveau politique ? 
En fait, la “concrétisation de la dimension amazighe” de l'identité nationale, dans les années 1960 et 1970, a fait face à une opposition politique farouche au plus haut niveau de l'État. Un État qui a mobilisé tous ses moyens pour cela et le pouvoir a misé sur le facteur temps, l'école, les médias et le centralisme administratif afin de se débarrasser du problème amazigh et contrôler la question plus tard. Ainsi, il a tenté de limiter l'affaire à la seule région de la Kabylie en essayant de l’opposer à d’autres régions berbérophones importantes telles que les Aurès et en cherchant à créer de l’animosité entre elles. Aussi, il s’est employé à isoler d'autres régions en leur faisant croire qu'elles ne sont pas concernées par le problème de l'identité. La pression exercée sur la Kabylie et sur tous ceux qui portaient “l'identité amazighe” dans leur cœur était si grande qu’ils étaient écartés des hautes fonctions de l’État sans compter les poursuites policières.  C’est alors que la prise de conscience du fait amazigh a commencé à émerger dans différentes régions du pays. De nombreux Amazighs venus d'autres régions d’Algérie se sont impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans le mouvement. Si la reconnaissance de tamazight comme langue nationale dans la Constitution de 2002, puis une langue nationale et semi-officielle dans la Constitution de 2016 ont atténué la crise, il n’en  reste pas moins que nous souhaitons que les Algériens ressentent la même appartenance, ou du moins la reconnaissance de la pluralité et de la différence comme une bénédiction de Dieu pour coexister et considérer tous les symboles de l'Algérie comme des symboles communs.

De nombreux chercheurs et personnalités publiques se sont spécialisés dans le déni de tout ce qui représente l'amazighité. Est-ce une berbérophobie ou un débat qui ne dépasse pas le cadre scientifique ?  
Je commencerai par répondre à la deuxième partie de la question. Si la discussion avait été scientifique, on aurait dit tout va bien. Mais pour que l'autre nie votre existence et votre langue maternelle, alors que vous, vous êtes bien en face de lui en chair et en os, là c'est une maladie psychologique. Je ne conçois pas qu’une personne consciente des conséquences de sa position puisse penser de cette manière car en retour elle doit envisager une réaction similaire de l'autre côté. Nous sommes au XXIe siècle et il existe des aspects nouveaux du colonialisme et il y a des risques d’autodestruction. Ce phénomène je l’ai appelé “masochisme”, à savoir éprouver du plaisir en se causant du tort.

Entretien réalisé par : MOHAMED IOUANOUGHèNE

Traduction : Imène AMOKRANE

 

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