L’Actualité Rabeh Sebaa, sociologue

“La protestation évoluera dans le sens de la radicalisation”

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Karim BENAMAR Publié 12 Janvier 2021 à 23:35

© D. R.
© D. R.

Le  sociologue  Rabeh  Sebaa  estime  que  les  sources  alimentant copieusement  la colère des Algériens  sont  loin  de  connaître  leur tarissement. 

Liberté :  Certains  secteurs  ont  connu  ces  derniers  jours  des mouvements de protestation et de grève. Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette contestation à caractère social ?
Rabeh Sebaa : En réalité, les mouvements de protestation n’ont jamais cessé. Ils ont connu, parfois, des temps de latence plus ou moins prolongés sans s’évanouir tout à fait. Certains mouvements ont juste changé de forme de manifestation et/ou de mode de formulation. Ces changements sont, pour la plupart, consécutifs à la généralisation et, ensuite, à l’exacerbation de la crise sanitaire.

Cette crise, aussi insolite qu’inattendue, a précipité le processus de précarisation de larges couches de la société, déjà fortement impactées par la crise économique et la baisse ininterrompue du pouvoir d’achat. L’approfondissement de cette précarisation socioéconomique illustre parfaitement la faillite flagrante de la gestion de la crise sanitaire par les pouvoirs publics. 

Ces derniers ont, dès le départ, fait montre d’un manque de clairvoyance, voire simplement de vision. La pandémie de Covid-19 l’a spectaculairement confirmé. Ce déficit drastique de vision chez les dirigeants consacre clairement l’absence patente de gouvernance, censée apporter des réponses idoines aux attentes exprimées régulièrement et avec force par cette vague de contestation sociale.

Peut-on s’attendre à une amplification de cette contestation ? 
En toute vraisemblance, la trêve imposée par la crise sanitaire est en train de s’estomper. Faisant surgir nombre de frustrations nouvelles, conjuguées à celles consécutives à l’arrêt, à la fois impromptu et forcé, du mouvement citoyen du 22 Février.

La mise entre parenthèses contrainte des contestations sur fond de revendication et d’insurrection et qui a duré près d’une année maintenant, soit depuis le début de la pandémie, montre des signes d’essoufflement. La trêve forcée touche à sa fin. Le retour à la contestation connaît, en effet, une certaine amplification dans nombre de secteurs sensibles, notamment les transports et l’Éducation nationale.

Et il n’est pas exclu que cette contestation aille crescendo en mobilisant d’autres secteurs jusque-là plus ou moins en retrait de la fronde sociale. Ce processus d’amplification n’est que l’expression de l’approfondissement des doutes et des inquiétudes d’une société qui voit son devenir s’opacifier et sa détresse s’épaissir.

Le contexte politique instable et crisogène est-il un facteur aggravant ? 
Il est de l’ordre du banal de soutenir que l’instabilité chronique qui caractérise le contexte politique est source d’aggravation. Mais jamais une telle instabilité n’a été autant entachée par des dérives de tous ordres que celle que le pays a connue depuis l’année 2019. 

Une succession d’incongruités, pour ne pas dire de monstruosités politiques, a marqué et marque encore un contexte des plus précaires, des plus aléatoires et des plus incertains. Malgré un simulacre de “reconstitutionnalisation” par des élections ostensiblement boudées par le grand nombre.

De toute évidence, les Algériens ont retiré entièrement et irrévocablement leur confiance à ceux qui prétendent les diriger. Ce retrait de confiance est grassement nourri par leur attitude de méfiance et de défiance vis-à-vis d’un pouvoir honni. Une aversion jusqu’à l’écœurement, confortée par une myriade de procès d’anciens dirigeants pour des affaires de crasse corruption. 

Une corruption institutionnalisée et scandaleusement prolongée, ces derniers jours, par des révélations de compromission de hauts dirigeants dans des magouilles sordides afférentes à des lingots d’or. Écoulés, de surcroît, au marché noir. Des dizaines de lingots d’or obtenus pour permettre à des roitelets d’opérette de massacrer, sous escorte officielle, des espèces protégées, en l’occurrence la gazelle et l’outarde. 

On comprend alors aisément que les sources alimentant copieusement la colère des Algériens sont loin de connaître leur tarissement. Une colère juste et justifiée qui s’exprime, en partie, à travers ces mouvements de protestation qui constituent de véritables pores de respiration sociale.
 
Comment, dans ce contexte, les formes de cette protestation vont-elles évoluer ?
Les marches exemplaires du Hirak sont encore dans les mémoires, tant en Algérie qu’ailleurs. Beaucoup de leçons ont été tirées de cette exaltante séquence. Sa mise en latence pour cause de crise sanitaire n’a pas éteint la flamme qui l’habite encore. Bien au contraire. Cette pause forcée a été l’occasion de repenser l’action passée à la lumière des données nouvelles.

On a vu bourgeonner, au sein des couches nouvellement précarisées, des formes d’organisations jusque-là embyonnaires. Sous forme de regroupements d’entraide, d’associations de solidarité ou de syndicats autonomes très offensifs, comme c’est le cas à l’université. Il est, par conséquent, vraisemblable de voir cette protestation évoluer dans le sens d’une radicalisation. 

La crise économique évoquée plus haut et qui a ajouté brutalement de nouvelles couches dans les affres du dénuement, est un accélerateur puissamment stimulant. La disparition des repères, le déficit de confiance et la faillite des dernières certitudes poussent inexorablement vers une radicalité de rupture. Une rupture radicalement salutaire.
 

Propos recueillis par : KARIM BENAMAR

 

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