L’Actualité AbdelouAhab Fersaoui, Président dU RAJ

“L’agenda électoral a montré ses limites”

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Nabila SAIDOUN Publié 21 Février 2021 à 01:00

© D. R.
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Ex-détenu du Hirak, le président du Rassemblement  Actions  Jeunesse (RAJ) revient, dans cet entretien, sur le bilan du Hirak, ses perspectives, mais également sur l’approche adoptée par le pouvoir pour dépasser la crise. S’il ne se montre pas hostile au dialogue, il soutient, en revanche, qu’il doit être précédé de préalables démocratiques.

Liberté : Beaucoup de détenus d’opinion ont été libérés à la faveur de la grâce présidentielle.  Comment  réagissez-vous  à  ces libérations, vous qui avez été, également, un ex-détenu du Hirak ?
Abdelouahab Fersaoui :  Je  ne  peux  que  me  réjouir  de  la libération des détenus d’opinion qui vont retrouver enfin leur liberté et leur famille après une incarcération  arbitraire.  C’est  un  soulagement  pour  tout  le  monde.  Et  à l’occasion, je salue la  mobilisation, la  solidarité  populaire  et  les avocat(e)s. Reste, malheureusement, qu’il est question de grâce présidentielle, alors que les détenus sont innocents et incarcérés de manière arbitraire et illégale. Ce sont des poursuites qui ne devaient pas avoir lieu.

Il s’agit d’une conséquence  de  la gestion sécuritaire  prônée  par  le  pouvoir pour gérer le Hirak. Ce qui est demandé, c’est l’acquittement, la réhabilitation et la réparation surtout morale et politique  pour les détenus  puisqu’ils ont été incarcérés pour leurs opinions.  C’est  même  une atteinte  grave  à la  liberté d’expression garantie déjà par la Constitution dans ses différentes versions et par les différentes conventions ratifiées par l’Algérie.

Ces libérations font partie d’un certain nombre de mesures décidées par Abdelmadjid Tebboune.  Comment  avez-vous  apprécié  ces annonces ?
Malheureusement, ce sont des annonces incomplètes et qui ne répondent pas aux aspirations du Hirak.  Nous attendons  la libération de tous les détenus au niveau national  ainsi que  leur  acquittement  et  leur  réhabilition  car  ils sont innocents. En  outre, je rappelle que nous  avons déjà vécu le même scénario le 2 janvier 2020 quand 76 détenus avaient été libérés le même jour.

Mais  cela  n’a pas  empêché  l’arrestation  d’autres  hirakistes  quelques jours plus tard.  Concernant  l’organisation, dans  le  contexte  actuel, des élections législatives anticipées ou autres, cela ne peut constituer une solution à la crise profonde et structurelle que vit le pays.

L’agenda  électoral imposé par le pouvoir  a  déjà  montré  ses  limites  et les élections  ne  viennent  que  couronner  un  processus  démocratique  qui réhabilitera l’action politique, et garantir aux Algérien(e)s de s’organiser et de s’exprimer  librement.  Depuis  le  mouvement  d’Octobre  1988, l’Algérie a organisé  des  dizaines  d’élections  à  tous  les  niveaux, mais  sans  que cela apporte le changement souhaité.

La démocratie ne se réduit pas seulement à l’acte de mettre un bulletin dans l’urne,  c’est  un  exercice  quotidien  des  libertés  et  des  droits.  Pour le remaniement   du  gouvernement, cela  ne  va  rien  changer, car aucun gouvernement ou aucun ministre  ne  pourra  changer  les  choses sous ce système quand bien même serait-il  animé  de  la meilleure volonté. Mais je crains que ce ne soit qu’une diversion  à  l’occasion  du 2e  anniversaire du Hirak.

Justement,  demain  nous  célébrons  le  deuxième  anniversaire  du Hirak. Quel regard portez-vous sur la situation et quel bilan en faites-vous ?
La situation n’a malheureusement pas changé.   Deux ans après, les raisons qui ont fait sortir des millions d’Algérien(e)s dans  la rue sont toujours là avec une crise profonde et multidimensionnelle, une crise au triple plan : politique, économique et social.  Sur  le  plan  des  libertés  et  des droits humains, on constate un recul énorme. Il y a également la fermeture du champ politique et médiatique ainsi que celle de  l’espace  public  alors  que  les  harcèlements policiers et judiciaires contre  les militants et  les hirakistes se sont multipliés.

À cela s’ajoutent le chômage endémique et la dégradation du pouvoir d’achat. Le  pouvoir  a  fait  perdre  au  pays  deux  années  et  il  continue  dans  son entêtement  et  sa  politique  du  fait  accompli  en  imposant,  d’une  manière unilatérale et antipopulaire, sa feuille de route  basée  sur  l’organisation des élections malgré le rejet populaire comme cela a été le cas le 12 décembre et le 1er novembre 2020.

Plus que jamais, le pouvoir doit se  rendre  compte  de l’échec de son agenda. Et de cette manière, il mènera le pays droit dans le mur. Malgré les différentes tentatives de le diviser, de le normaliser et de le dévier de son objectif, le Hirak a montré qu’il était toujours vivant lors de  la marche de Kherrata le 16 février dernier. C’est une  marche  qui  reflète  l’engagement et  la  détermination du peuple algérien à continuer sa lutte  pacifique  pour  reconquérir  sa  liberté et récupérer sa souveraineté.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation ? 
Deux  ans  après  l’irruption  du  mouvement  populaire, chacun  doit faire son bilan ; le pouvoir doit cesser  son  entêtement  et  écouter  le  peuple.  Pour le Hirak, la prochaine étape est politique par excellence. La reprise des marches pacifiques  est  importante  pour  maintenir  la  pression,  mais  cela  reste insuffisant. Avec la crise sociale, le peuple est en quête d’un horizon, c’est la raison  pour  laquelle  nous  devons   donner  un  souffle  nouveau  et  un prolongement politique aux manifestations populaires. 

Nous devons nous organiser, mais cela ne  signifie pas  pour autant qu’il faille structurer le Hirak. Le Hirak a libéré les Algériens et il leur a permis de renouer avec  le  politique  comme  on  a  pu  le  voir  avec  l’émergence  de nouvelles figures  de  militants,  de  dynamiques  et  de  mouvements  importants.  Il  est indispensable, aujourd’hui, de jeter des  passerelles et  de  créer les jonctions nécessaires entre les différentes dynamiques  individuelles  et  collectives, au niveau national et avec la  diaspora  qui  sont  fidèles à l’esprit  du  Hirak pour capitaliser toutes ces énergies et travailler ensemble.

Il est plus que jamais nécessaire de renforcer et d’organiser la mobilisation sur le  terrain  et  de  traduire  ce  consensus  populaire  dans  la  rue  autour  du changement de régime en un consensus politique et  historique  autour d’une feuille de route consensuelle contenant les principes et les mécanismes d’un processus démocratique et pacifique pour le changement du régime. C’est de cette manière que nous poserons les premiers jalons d’un État de démocratie et de droits  à  même  d’imposer le  changement  au  pouvoir  qui  joue  sur la division, la discorde et le statu quo.

Certains ont critiqué le FFS d’avoir accepté  de rencontrer Tebboune. Ne pensez-vous pas que le dialogue peut être  l’une des solutions qui s’imposent   pour  sortir   de  la  crise  surtout  que  la   contestation populaire ne peut pas durer éternellement ?
Pour  être  honnête,  je  ne  vois  pas  comment  on  peut  amorcer un véritable processus  de  changement  pacifique  du  régime  sans  le  dialogue  ou  la négociation.  Mais  le  problème ne  réside  pas  là, le  pouvoir  doit  avoir une volonté  politique  réelle  en  garantissant  les  conditions  favorables  pour sa réussite. Le dialogue ce ne sont pas des rencontres bilatérales sans préalable et sans ordre du jour, ni objectif précis.

Nous ne pouvons  pas dialoguer dans un  contexte  où  le  champ  politique et l’espace public sont fermés, le champ médiatique verrouillé et où les Algériens risquent la prison pour leurs opinions. S’il y a dialogue, il doit être souverain et avec  les  forces  vives  et  crédibles  de  la  société,  aussi  individuelles  ou collectives  soient-elles, qui  portent  haut  et  fort  les  aspirations  du  peuple algérien à la liberté et à la démocratie. Le dialogue doit porter sur le processus du changement pacifique et global du régime, pas sur une loi ou une élection.
 

Entretien réalisé par : NABILA SAÏDOUN

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