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L’autoritarisme comme le “militantisme” ont tué le journalisme

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Kamel DAOUD Publié 29 Avril 2021 à 09:20

© D. R.
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Par : Kamel DAOUD
         
Écrivain

Le correspondant de “Liberté” Rabah Karèche est en prison à Tamanrasset. De si loin, on décode mal les intentions, les griefs et les chefs d’inculpation retenus contre lui. On se tiendra alors au principe : ce journaliste n’a pas sa place derrière les barreaux. Il devra être retrouver sa liberté. Le gouvernement, les “décideurs” ou autres pouvoirs n’y gagnent rien d’autre que de mobiliser contre eux, encore une fois, la bonne et mauvaise foi opposante et la vocation du mauvais rôle. On en n’a pas besoin aujourd’hui.   

Le cas de ce journaliste interpelle aussi autrement car il nous rappelle un débat occulté. Qu’est-ce que le journalisme algérien désormais ? A quoi sert-il ? Comment est-on journaliste et est-ce un métier ou un parti politique informel ? Faut-il lire les journaux et les acheter ? Les croire ? ou les supporter comme on supporte des castes lettrées aux monologues sans fin ? Interrogations brutales et irrévérencieuses. Surtout pour un métier ayant arraché sa noblesse par les grandes signatures d’antan et les morts qui y ont payé le prix de son honneur et de son indépendance. Et pourtant, ces questions sont légitimes : elles sont celles de l’Algérienne, Algérien, qui au matin doit se décider d’acheter son journal ou pas.    

Deux anecdotes vécues de l’auteur de ces lignes. La première est un coup de fil de l’un des correspondant du “Washington Post”, arrivé sur Alger en 2019, à l’époque des grands soulèvements et qui s’étonnait de notre pratique du métier. “C’est incroyable dans votre pays le manque de frontière entre militantisme et journalisme”, confia-t-il à l’auteur. On peut tirer fierté de cette confusion bien sûr et la vivre comme un sacerdoce. C’est utile pour nourrir la passion, mais aussi pour doper son ego et se fabriquer un martyr numérique. Nous l’avons vu avec quelques cas “algérois” depuis 2019.

La réalité est cependant plus triste : ce manque de frontière entre deux visions, deux exercices, deux “activités” est nocive pour le journalisme. Sommé dans les années 90 à prendre parti durant la guerre civile et à chercher protection face aux assassins, le journalisme algérien a été obligé à endosser le militantisme de vie et de survie face aux terrorismes et en garda la séquelle d’une trouble de vocation. La génération suivante en fit un principe qui, maintenant, nous coûte. Aujourd’hui, nous avons admis comme naturel que le métier ne soit pas celui d’informer, mais de donner son opinion.

Il n’est pas celui de s’interroger mais d’affirmer sans vérifier, ni “sourcer”. On en est même au point d’user du label de “journaliste” pour exercer un escamotage, pour donner des consignes aux marches du vendredi, décider de blanchir des tueurs d’antan ou annoncer des alliances contrenature au nom de la lutte radicale numérique ou de se faire des relais de l’inquisition au nom de l’arabité et de l’Islam.      

Dans des pays aux libertés menacées, le journalisme est risque et une lutte bien sûr. Mais une lutte pour informer, vérifier, révéler, découvrir, témoigner et assurer le minima de son métier. Pas pour juger, taire, relayer des propagandes dites militantes, des islamiseries et se substituer aux partis politiques et aux leaderships d’opposants ou se présenter comme le propriétaire d’une religion. Le journalisme n’est pas dicter des mots d’ordre à des manifestants et s’installer en monopole de l’activité politique et du projet démocratique et faire subir le tribunal aux contradicteurs.

La vérité est que le mot “militantisme” est devenu une excuse intolérable pour ne pas faire son métier. Un outil non contestable pour imposer ses opinions. Relayer ses croyances. On peut l’assumer, mais toujours en gardant à l’esprit l’idéal certes naïf, de la neutralité. Le militantisme, aujourd’hui, tue l’information, l’exactitude, la vérité, la proximité, l’ouverture, l’équilibre des opinions, les différences. Il intoxique les journaux algériens et les éloigne de leur vocation. Détruit le plaisir de lire, de se solidariser et de découvrir, l’envie de surveiller et le besoin de lutter contre ce qui est dénoncé.       

Ce sacerdoce détourné n’est pas, bien sûr, la seule raison de ce déclin nié et sublimé. Durant les années fastes, peu de journaux dits indépendants ont songé à la transmission de savoir-faire, aux écoles, aux formations. C’était la mode “pub”, “imprimeries” et luttes intestines entre nouveaux apparatchiks. Et, de sa tranchée méfiante, le “Régime” a toujours compris que parce que nés comme propagande de guerre, les médias publics doivent rester assujettis à cette servilité au nom du budget et de la raison d’État.

Au mieux on a confectionné des médias des terrorismes médiatiques. On est cependant nombreux à être coupables de ces journaux électroniques de meutes et de ce journal vide que les Algériens n’achètent presque plus au matin, de cette information peu crédible, soumise aux réseaux sociaux et à l’empire de la fake-news. Si loin de l’info, de la crédibilité, de la curiosité, du plaisir de lire, de celui de comprendre. Si loin de tout.

Le journalisme n’est pas un crime. Oui. Mais le journalisme n’est pas un tweet. Ni une kasma personnelle, ni un bulletin de parti. C’est un métier. Il devrait être libre des accaparations du “Régime” et ses corruptions, mais aussi des narcissismes des amateurs des mises en scène ou des détournements de vocation. 

C’est alors qu’il pourra aider les Algériens à comprendre, savoir, apprendre, agir, s’instruire et construire une conscience et un engagement. La presse n’a pas à le faire à leur place, tout le temps. Et c’est ce qui permettra de défendre, avec efficacité, le correspondant de “Liberté” privé de liberté. Et de le préserver et préserver sa vocation et la distinguer pour atténuer les méfiances et protéger les possibilités d’exercer. Car nulle part dans le monde, ou presque, le journalisme n’est bienvenu comme souveraineté.

Partout on lutte chaque jour pour en garder la flamme éclairante et l’exercer au lieu de s’en réclamer seulement. La seconde anecdote ? Personnelle : à l’époque où il écrivait pour le “New York Times”, l’auteur découvrit ce qui nous manque tant ici : le fact-cheking, les vérificateurs après chaque article, l’obligation de référencer chaque déclaration rapportée entre guillemets. Du coup, lorsqu’un jour il intégra une phrase d’un ex-premier ministre sur un sujet oublié que traitait son texte, il peina à fournir la référence au journal américain. La cause ? Chaque journal algérien avait rapporté cette phrase différemment, avec différents chiffres.

Ce métier a donc besoin de revenir à ses sources, d’être exercé professionnellement, vécu comme une passion mais aussi comme une lucidité. Et pour ce fairen il a besoin de liberté. Celle des siens qui l’exercent pour ce qu’il est et qui doivent garder à l’esprit qu’il est une exigence, pas une immunité.

 

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