L’Actualité Le parquet a requis contre zoukh 15 ans de prison ferme en appel

Le grand bradage

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Ali BOUKHLEF Publié 07 Février 2021 à 09:05

© Archives Liberté
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L’ancien wali d’Alger se défausse sur les responsables subalternes alors qu’il était signataire de toutes les décisions liées à l’octroi d’avantages accordés à certains hommes d’affaires.

Costume gris foncé, la mine triste et le visage émacié, l’ancien wali d’Alger s’est présenté devant la cour de justice de Tipasa l’air abattu. Pour la seconde fois en deux mois, il doit répondre des lourdes accusations qui pèsent sur lui : trafic d’influence, corruption, offre d’indus avantages, pressions sur agent public et conflit d’intérêts. Le chapelet d’accusations est infini. Pour cela, Abdelkader Zoukh, qui fut durant de longues années le visage et l’incarnation du bouteflékisme dans la capitale, est confronté à trois dossiers, tous liés à des hommes qui ont marqué les années Bouteflika et connu à la même période leur fulgurante ascension.

Zoukh, en détention depuis le 8 décembre dernier, est accusé d’avoir permis à la famille d’Abdelghani Hamel, général à la retraite et ancien directeur général de la Sûreté nationale, à l’homme d’affaires Ali Haddad et à l’autre patron Mahieddine Tahkout d’obtenir des assiettes foncières. C’est ce dossier qui lie l’ancien responsable, âgé aujourd’hui de 73 ans, à Tahkout, qui a occupé une bonne partie de la journée d’hier.

Le dossier Tahkout est symptomatique de l’influence qu’exerçaient certains hommes d’affaires durant le long règne d’Abdelaziz Bouteflika. Durant près de 17 ans, Mahieddine Tahkout a réussi à obtenir au moins une dizaine d’assiettes foncières sur le territoire de la wilaya d’Alger. Selon l’arrêt de renvoi et l’enquête des services de la justice, les terrains, totalisant plus de 70 000 m2, obtenus essentiellement dans la zone industrielle de Réghaïa, la zone d’activité de Bab-Ezzouar, la commune de Zéralda et au quartier Kaïdi de Bordj El-Kiffan, ont été obtenus soit de manière illégale, soit de manière détournée. “Les permis de construire devaient être accordés à des projets d’investissement.

Mais Tahkout n’a réalisé aucun projet et s’est souvent contenté de grillager les assiettes et les transformer en parkings ou showrooms”, fait remarquer la présidente de la séance. Pour répondre, Abdelkader Zoukh n’a pas changé d’angle de défense. Il s’est défaussé sur les autres responsables des organismes publics qui gèrent le foncier. “Mme la présidente, je ne connais pas les détails. Il y a des commissions spécialisées relevant du cadastre et de la direction des Domaines qui me présentaient des dossiers, et moi, je signais”, a-t-il indiqué. “Il faut situer les responsabilités”, a-t-il souvent insisté.

“Mais c’est vous le responsable. C’est vous qui présidez les réunions de la commission d’investissements et donnez les permis de construire !”, lui rappelle la juge. “Oui, mais je ne peux connaître tous les détails et les autres responsables ne m’ont même pas dit qu’il y avait des réserves !”, a-t-il argumenté, visiblement agacé. Par responsables, Abdelkader Zoukh désigne notamment le directeur des Domaines, celui de l’Agence de gestion et de régulation foncière d’Alger (Agerfa) et la Direction de l’urbanisme.

Mais bizarrement, seul le représentant de l’Agerfa, Yazid Baka, est convoqué au procès comme témoin. Ce que ne manqueront pas de mentionner les avocats dans leurs plaidoiries. Surtout qu’à plusieurs reprises, le “wali Zoukh” a rappelé que lorsque des projets d’investissement  ne sont pas accomplis, c’est le directeur des Domaines qui doit intervenir. Et c’est au directeur de l’Agerfa d’interpeller les investisseurs lorsqu’ils ne remplissent pas les conditions, à l’image des arriérés de paiement des charges de viabilisation ; Tahkout doit, en effet, 140 millions de dinars à l’État.

Et il n’a toujours pas payé. Pis encore, ni Abdelkader Zoukh ni le directeur de l’Agerfa de 2017 à 2019 n’ont expliqué pourquoi il n’y avait aucune poursuite judiciaire avant la révolte du 22 Février. “Je n’avais pas besoin de connaître Abdelkader Zoukh pour obtenir des documents”, a expliqué Mahieddine Tahkout, qui intervenait depuis la prison de Bouira. Pour lui, les permis de construire qu’il demandait visaient à “régulariser la situation” des assiettes de terrain qu’il occupait depuis 2002. À la juge qui lui fait remarquer qu’il n’a réalisé aucun investissement contrairement à ce que prévoit la loi, le patron de Cima Motors a notamment indiqué que même s’il s’agissait uniquement de “parkings”, ses sociétés “employaient 6 000 personnes”.

Les bus de la discorde 
L’autre chapitre qui n’a pas encore livré tous ses secrets dans le dossier de Mahieddine Tahkout est celui relatif à l’attribution d’un marché de location de bus appartenant à l’homme d’affaires à l’Établissement des transports urbains et suburbains d’Alger (Etusa). “Je n’ai donné aucun marché, insiste Abdelkader Zoukh. J’étais confronté, en 2018, à un déficit de transport dans les nouvelles cités de relogement. Plus de 500 000 citoyens ont changé de logement. L’Etusa était dans l’incapacité de répondre à la demande.

J’ai alors saisi le ministre des Transports en lui proposant la possibilité de donner un accord pour que l’Etusa puisse louer des bus. La société a lancé un avis d’appel d’offres et je n’ai jamais sollicité qui que ce soit !”, s’est-il défendu. À un moment, l’homme a craqué. “Je suis victime d’une injustice”, s’est-il désolé, avant de se ressaisir.

Appelé à la barre, Mahieddine Tahkout s’est parfois emporté. “J’ai perdu de l’argent et l’Etusa ne m’a rien payé depuis 2018”, a-t-il fulminé, tout en indiquant que la société publique avait gagné “207 milliards” en 2018. Un chiffre que confirmera l’ancien ministre des Transports, Abdelghani Zaâlane. Ce dernier, appelé comme témoin, a défendu l’option du leasing “qui permettait de gagner du temps” et “de l’argent” à l’entreprise publique qui ne pouvait récupérer “1 023 bus commandés depuis 2010 chez la SNVI”.

Selon lui, le marché a été accordé à Mahieddine Tahkout parce que c’était le seul soumissionnaire. À la question de savoir pourquoi accorder un gain de 19 000 DA par jour et par bus, Zaâlane, qui a défendu le choix de Zoukh, a expliqué que les charges d’exploitation de l’Etusa coûtaient plus de 20 000 DA par jour. Or, avec la location de ces 300 bus, “c’est l’entreprise Tahkout qui prenait en charge toutes les dépenses”.

Face au procureur, qui a requis 15 ans de prison (en première instance, Abdelkader Zoukh a été condamné à 5 ans de prison ferme), les avocats de la défense ont notamment mis en avant “l’intégrité” de leur mandant qui “n’a jamais été corrompu”. “S’il était corrompu, on aurait trouvé dans ses comptes plus de 900 000 DA ?”, s’est écrié l’un d’eux. “Mais il est où le résultat de la corruption ?”, s’est-il interrogé. Les trois avocats ont plaidé l’innocence. “Je jure par Dieu que je suis victime de la hogra”, a plaidé le concerné. Le verdict est laissé en délibéré pour le 15 février.

 


Ali Boukhlef

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