Le verbe haut, la voix porteuse, quelque peu dépité, Yacine Lerari a transformé le “minbar” de la mosquée Ettawba (la repentance) de Bouzaréa (Alger) en tribune politique.
Lors d’une prière, le jeune homme, habillé d’une tunique blanche, une barbe négligée, s’en est pris au ministère des Affaires religieuses qui a décidé d’instaurer des règles très strictes dans les mosquées pour lutter contre la Covid-19. “On dirait que ceux qui viennent ici ne sont pas les mêmes que ceux qui vont au marché, au café, dans les salles et aux Sablettes”, fulmine-t-il.
Il affiche ainsi sa colère contre le “deux poids, deux mesures” du ministère des Affaires religieuses qui, selon lui, “tolère les regroupements dans les cafés” et dans d’autres lieux publics. “Mais on dirait que le virus ne réside que dans les mosquées”, s’emporte-t-il. Pourtant, “nous avons tout fait pour respecter les règles (imposées) que nous soutenons”, ajoute-t-il encore.
Mais dans sa volonté de démontrer que les “maisons de Dieu” sont particulièrement “ciblées”, Yacine Lerari recourt au langage salafiste. En s’en prenant au pouvoir, il fait, de nouveau, des victimes collatérales, à savoir les femmes, devenues cible préférée des intégristes.
Ces interdits imposés aux mosquées “ne l’ont pas été pour la célébration du 8 Mars. Nous avons vu des femmes danser et se congratuler”, a-t-il dit, avant de “bifurquer” : “Nonobstant le fait qu’elles étaient légèrement habillées”. Le cliché n’est jamais loin, même lorsqu’il s’agit d’une femme ministre.
L’homme ressort un autre exemple : la ministre de l’Environnement aurait fait la bise à des hommes. “Elle dit que ce sont des frères, mais cela est un autre sujet. Mais sur le plan sanitaire, ce qu’elle a fait est contraire aux recommandations”, a encore attaqué le jeune imam.
La situation sanitaire semble avoir servi de rampe de lancement au jeune fonctionnaire pour remettre les vieux antagonismes de la société au cœur des débats. “On ouvre la porte aux femmes non voilées et on la ferme pour celles qui le sont et on donne aux voleurs ce qu’on refuse aux gens honnêtes.”
Pour avoir enfreint les instructions du ministère des Affaires religieuses qui interdisent aux imams de sortir des lignes tracées par les autorités, le fonctionnaire a été suspendu. Une décision qui suscite la controverse.
Certains défenseurs de l’imam mettent en avant son droit à la libre parole,
y compris à l’intérieur de la mosquée. Plus que cela, certains estiment que cette sanction n’a rien à voir avec les déclarations visant les femmes, mais c’est plutôt lié à la critique des instructions de la commission des fetwas.
En revanche, d’autres reprochent au jeune imam de véhiculer des clichés sur les femmes non voilées et applaudissent la sanction du ministère des Affaires religieuses. Cette affaire résume, ainsi, par certains aspects, l’une des fractures de la société algérienne.
Ali BOUKHLEF