L’Actualité ALI MAHMOUDI, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES FORÊTS

“NOUS AVONS PERDU 43 918 HECTARES EN 2020”

  • Placeholder

Lyes MENACER Publié 05 Juillet 2021 à 23:14

© D. R.
© D. R.

“Il faut qu’on prenne conscience que plus on brûle, plus on s’autodétruit. Il n’y a qu’à voir  l’envasement  des  barrages, car  on a  beau  exécuter les programmes  de  réalisation  de  bassins versants, on  s’est retrouvés dépassés avec tous ces incendies”. 

Liberté : À l'approche de la période des  grandes  chaleurs, sachant que nous vivons une véritable sécheresse, comment préparez-vous la campagne de lutte contre les incendies de forêt ? 
Ali Mahmoudi : La préparation de la campagne pour lutter contre les feux de forêt est devenue une routine. À l’exception de l’année 2018 durant laquelle nous n’avons enregistré que 2 300 hectares de pertes, en 2019 et 2020, nous avons quand même eu beaucoup de pertes. Certes, pas autant que 2017, année durant laquelle nous avions perdu 57 000 hectares. Donc, à la veille de cette campagne, nous installons la Commission nationale qui regroupe douze ministères et treize autres institutions. Elle est présidée par le ministre de l’Agriculture. Au sein de cette commission, on retrouve tous ceux qui ont une relation, directe ou indirecte, avec le phénomène des feux de forêt, à l’exemple du ministère des Travaux publics.

Il y a le ministère de la Communication, qui s’occupe de l’information et de la sensibilisation en faveur de la protection de nos forêts.  Il y a aussi le ministère de l’Environnement qui intervient, notamment par l’éradication des dépotoirs sauvages en milieux forestiers. Nous avons enregistré beaucoup d’incendies à cause de ces dépotoirs qui prennent feu instantanément, avec la présence de substances chimiques. Nous sommes en pleine campagne de moissons-battage et les agriculteurs doivent mettre des tournières pour éviter des catastrophes comme celle de Tissemsilt où un incendie, qui a atteint le massif de Theniet El-Had, avait pour origine une étincelle provoquée par une moissonneuse-batteuse. On fait aussi appel aux comités citoyens.

Dans chaque wilaya, il y a trois types d’organisations : il y a le comité opérationnel et la commission de wilaya, présidés par le wali.  Cette organisation a des prolongements au niveau de chaque daïra et commune. Nous sommes descendus plus bas, en essayant de créer des comités de riverains (associations villageoises, de protection de l’environnement...). Cette année, nous en sommes à 1 542 comités de riverains. 

Avez-vous reçu de nouveaux moyens de lutte et renforcé vos effectifs cette année ?
À la veille de chaque campagne, nous préparons un certain nombre d’équipements, à commencer par les postes de garde (les vigies). Pour cette année, nous avons 404 postes de vigie et 478 brigades mobiles. Avant, nous avions 28 camions de ravitaillement, maintenant, nous allons en acquérir 15 autres de 3 000 litres chacun. Nous avons aménagé 2 892 points d’eau. Nous avons 878 chantiers qui interviennent au profit de l’administration, dont le plus gros de ces chantiers relève du groupe public génie rural, parce que le départ des feux coïncide avec le début de la campagne de récolte des lièges qui se fait généralement très tôt le matin. Mais nous avons demandé aux ouvriers de ces chantiers de terminer un peu plus tard pour intervenir en cas de péril. Ces chantiers sont composés d’une moyenne de 2 218 ouvriers. Au titre de l’année 2021, nous allons acquérir 80 nouveaux véhicules de première intervention.  Cela nous permettra de créer dans les wilayas ce qu’on appelle les colonnes mobiles. Nous en aurons donc dix nouvelles qui s’ajouteront aux 20 autres déjà existantes. 

L'année dernière a été dramatique. Pourriez-vous nous dresser un bilan de ces incendies qui ont pratiquement touché tout le pays ?
En 2012, nous avons eu 200 000 hectares de perte, et sur les 20 dernières années, nous avons eu une moyenne annuelle de 30 000 à 34 000 hectares de perte. L’année dernière, nous avons eu 43 918 hectares de perte engendrées par 3 493 départs de feu. C’est le bilan de la campagne qui s’étale du 1er juin au 31 octobre 2020. Si on divise cette superficie en formation forestière, nous avons 38% de forêts, soit 16 570 hectares, 32% sont des maquis, soit 13 880 hectares, et 30% de broussailles qui représentent 13 467 hectares. La moyenne est de 23 départs de feu par jour et une moyenne de 12,57 hectares par foyer d’incendie. 

Quelles sont les wilayas et les régions les plus touchées par ces incendies ? 
La wilaya de Tizi Ouzou arrive en tête quant au nombre d’incendies, avec 375 départs de feu pour une superficie de 5 294 hectares. Jijel occupe la deuxième position avec 365 départs de feu pour une superficie de 3 959 hectares. Pour Tipasa, il y a eu 352 départs de feu qui ont ravagés 3 552 hectares. Béjaïa 188 départs de feu pour une superficie de 5 578 hectares, ce qui la place en tête des wilayas qui ont subi le plus de dégâts en termes de superficie ravagée par les incendies, devant Tizi Ouzou. Ces wilayas sont suivies de Médéa, de Tlemcen, de Skikda, de Chlef, de Boumerdès, de Bouira et d’Aïn Defla. Ces onze wilayas totalisent 29 214 hectares. 

Les incendies hors campagne ont coûté la vie à 3 personnes : deux à Tipasa et une à Béjaïa. 1 302 hectares de forêt ont été perdus, les 6 et 7 novembre 2020, dans 45 incendies qui ont touché 11 wilayas. En matière de répartition mensuelle des départs de feu, au mois d’août, il  a été enregistré 56% d’incendies. Pour ce qui est des jours de semaine, la plupart des incendies interviennent en fin de semaine et durant les jours fériés. 18% des incendies sont enregistrés le vendredi.

Concernant les jours fériés, nous avons enregistré 134 départs de feu durant l’Aïd el-Adha (31 juillet et 1er août 2020) et 108 incendies durant awel mouharam dans 7 wilayas. 194 incendies durant la fête de l’Achoura. C’est le pin d’Alep qui se taille la part du lion en termes de formation forestière avec 7 659 hectares ravagés par les feux, soit 46%. Espèce hautement inflammable, le pin d’alep représente 70% des formations forestières en Algérie. Nous avons perdu aussi 7 006 hectares du chêne-liège, qui a une forte valeur économique et qui représente 42% du total des pertes. 

Avez-vous déterminé l'origine des départs de ces feux de forêt ?
Pour le bilan de l’année dernière, nous sommes toujours dans les proportions de 82% de causes inconnues. Il est vrai qu’à partir du 5 août, les services de sécurité se sont mis de la partie. Car, après le Conseil du gouvernement restreint dédié aux incendies, des instructions claires avaient été données à la Gendarmerie et à la Sûreté nationales pour mener des investigations. Ces enquêtes ont permis l’arrestation de 66 personnes, à savoir 32 ont été placées en détention préventive, 14 sous contrôle judiciaire et 20 autres ont bénéficié de liberté provisoire. Au moins 38 incendies ont été classés d’origine volontaire. 

Que faut-il faire pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise plus ?
Il faut l’adhésion de tous les citoyens, parce qu’il faut que les gens comprennent que le patrimoine forestier est un patrimoine national et il appartient à tous les Algériens. 4,1 millions d’hectares seulement, sur un total de 238 millions d’hectares, sont des formations vertes. Cela ne représente que 2% de la superficie totale de notre vaste pays. Si on continue de les brûler, elles se réduiront d’année en année. Il faut qu’on prenne conscience que plus on brûle, plus on s’autodétruit dans tous les sens. Il n’y a qu’à voir l’envasement des barrages, car on a beau exécuter les programmes de réalisation de bassins versants, on s’est retrouvé dépassés avec tous ces incendies.   

Qu'en est-il du réarmement des forestiers qui ne cessent de subir des agressions ? 
Le forestier a, de tout temps, été armé, parce que dans les textes de l’administration des forêts, ils le décrivent comme étant un corps constitué qui dispose d’une arme de service. Durant les années 1990, nous avons été obligés de restituer toutes les armes qui étaient chez nous, ainsi que d’autres matériels (scientifiques, jumelles, etc.). Les forestiers isolés dans, entre autres, les massifs du Zaccar, de l’Atlas blidéen ou de l’Adekkar étaient des proies faciles des terroristes qui les délestaient de leurs matériels. Maintenant que la sécurité est revenue, nous avons demandé à ce que le forestier soit réarmé

Il était question de relancer le barrage vert. Où en êtes-vous avec ce projet ?
On devait organiser une journée d’information, mais nous l’avons reportée à une date ultérieure. Les hautes autorités du pays ont décidé de reprendre cet ouvrage historique. Durant les années 1970, le projet était de planter des arbres d’Est en Ouest sur une longueur de 1 500 kilomètres, avec une profondeur de 20 kilomètres, ce qui nous donnait 3 millions d’hectares. C’est l’ANP qui était chargée de conduire ce projet. Il y a eu des réalisations. Le bilan au jour d’aujourd’hui nous donne plus de 300 000 hectares de formations produites par cet ouvrage. Mais on avait commis l’erreur d’aller dans la monoculture en n’y plantant que du pin d’Alep. 

Pour la reprise de ce barrage, nous avons engagé une étude qui a été réalisée par le Bureau national pour les études rurales (BNEDR) qui a étendu la superficie jusqu’à 4,6 millions d’hectares, puisqu’il a travaillé sur des zones géographiques et écologiques compatibles avec l’ouvrage. C’est un projet qui prendra en compte toutes les composantes, du social jusqu’à l’économie, en passant par l’écologie. Donc, il y a des endroits où l’on doit intervenir avec des formations forestières, mais il y a des endroits où l’on aura recours à des formations rustiques qui serviront à l’amélioration des revenus des des populations vivant sur place.

Pour ce faire, nous avons un projet de coopération avec l’Organisation mondiale de l’alimentation (FAO) et avec un financement du Fonds vert-climat. Avec l’étude réalisée par le BNEDR, nous tablons sur la bonne santé financière du pays pour aller vers la concrétisation de ces projets. Et nous tablons surtout sur la participation des grandes entreprises et des investisseurs potentiels pour contribuer au reverdissement de ces espaces. 

Comment peut-on faire de la forêt une ressource économique sans pour autant l'abîmer ? Et que peut-on en tirer en dehors du liège ? 
Nous avons un projet pour développer les produits forestiers non ligneux. Car, il se trouve que nos forêts sont des forêts de protection qui n’ont pas pour vocation de produire beaucoup de bois. Là, nous sommes en plein développement des espèces, qui nous donnent soit des huiles essentielles, soit des arômes. Cela nous a déjà permis d’installer un alambic dans la wilaya de Khenchela. Il y a un autre projet de coopération avec la FAO qui a nous a permis de travailler dans quatre wilayas et sur trois produits : le pin-pignon à Constantine, le romarin à Khenchela, le caroubier et le romarin aussi à Mostaganem et à Blida. Nous avons déjà procédé à la formation de personnes qui se spécialiseront dans l’extraction des huiles essentielles.  
 

Entretien réalisé par : LYÈS MENACER

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00