L’Actualité Lotfi Benbahmed, ministre de l’Industrie pharmaceutique

“Nous sommes en train de tout changer”

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Akli REZOUALI Publié 18 Février 2021 à 00:37

© Archives Liberté
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Le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed, affirme, à travers cet entretien, que son  département  s’attelle  à  mettre en place une réforme radicale qui vise à  remédier à  l’absence  totale  d’une politique nationale du médicament. Selon lui, cette démarche vise à la fois à favoriser naturellement la production locale et sécuriser par la même l’approvisionnement du pays en produits pharmaceutiques, en remodelant tout l’instrument de régulation du marché national.

Liberté : Le secteur névralgique du médicament est livré depuis des années à des contraintes d’organisation qui entravent son développement. Quelles réformes prévoyez-vous pour mieux réguler les importations tout en veillant à la sécurité sanitaire du pays en termes d’approvisionnements ?    
Lotfi Benbahmed : Nous sommes en train de tout changer. La création même du ministère de l’Industrie pharmaceutique découle de cette exigence dictée par un contexte de crise. Ce département, faut-il le rappeler, n’existe que depuis juin 2020 et nos attributions ne sont officialisées que depuis octobre dernier.

Dès lors, nous avons mis en place les textes législatifs nécessaires qui concernent les outils et institutions de régulation, à savoir l’Agence nationale des produits pharmaceutiques, les différentes commissions d’enregistrement et d’homologation, le Comité intersectoriel des prix, celui des experts et toute l’instrumentation nécessaire à la régulation et l’expertise.

Il ne s’agit pas seulement de prévoir de nouveaux textes techniques, mais de concevoir d’abord et avant tout des lignes de force dans ce nouveau dispositif législatif, en rapport avec les exigences d’une mise à niveau réglementaire internationale. Nous avons ainsi mis en place une procédure d’enregistrement pharmaceutique d’urgence qui nous a permis notamment d’enregistrer rapidement le vaccin Spoutnik.

De même, ces lignes de force nous permettent de favoriser de manière naturelle la production nationale et l’exportation. Nous avons pris des mesures en matière de procédures d’enregistrement qui font que désormais nous pourrons enregistrer rapidement et de la façon la plus complète possible les produits fabriqués localement. 

Les  réformes  initiées  dans  le  secteur  pharmaceutique  sont-elles assorties d’objectifs concrets ?    
L’objectif de cette  démarche  de  réformes  est  d’abord  de  se  doter  d’une politique pharmaceutique nationale. Ce que l’Algérie n’a jamais eu jusqu’ici, même s’il existait auparavant  quelques  éléments  qui  tendaient  vers cela.  C’est dans ce sens que nous avons notamment mis en place de nouvelles procédures qui font que le taux d’intégration pour la production nationale sera désormais déterminant dans le prix du médicament.

Les  génériques  produits  devront  ainsi  s’aligner  sur  les  meilleurs  taux  d’intégration, lors de renouvellement d’enregistrement de tel ou tel produit. Cela pourra inciter de plus en plus à la fabrication de la matière première et vers la recherche et le développement car c’est à travers cela que l’on peut créer véritablement de la valeur ajoutée. 

Au-delà de la régulation du marché en lui-même, cette nouvelle politique tend-elle à  satisfaire  suffisamment  les  besoins nationaux  en produits pharmaceutiques ?  
Dans une deuxième phase de réformes, en plus de celles liées à la régulation, nous sommes en train de mettre en place des textes législatifs pour réguler l’activité pharmaceutique en elle-même. Nous avons ainsi mis en place un nouveau décret, l’ancien étant vieux de 38 ans, et ce, pour ériger un nouveau cadre réglementaire instaurant des statuts d’établissements pharmaceutiques, d’exportation et d’exploitation.

Désormais, nous  ne  parlerons  plus  d’opérateurs  mais  d’établissements pharmaceutiques avec une réelle responsabilité. Les bureaux de liaison de multinationales se transformeront,  de  par  la  nouvelle  réglementation, en établissement  de  droit  algérien  avec  une  véritable  responsabilité pharmaceutique.  Il  s’agit  à  travers  cette  démarche  de  veiller  à  sécuriser  nos approvisionnements et la qualité des produits qui nous sont fournis, car la responsabilité de ces établissements sera complétement engagée en ce sens au vu de ce nouveau statut. 

L’Algérie va-t-elle ainsi vers la mise en place d’une nouvelle politique nationale du médicament ? 
Il n’y a jamais eu de politique pharmaceutique en Algérie dans le sens où le médicament était considéré juste comme  un  coût.  C’est  cela justement le cœur de la réforme engagée par le ministère, sur  la  base d’une démarche consensuelle impliquant tous les intervenants du secteur, ce  qui permet de l’implémenter concrètement sur le terrain. Il s’agit en somme d’aller vers les bonnes pratiques admises universellement.  

En   dépit  de  l’existence  d’un  potentiel  réel   d’exportations,  celles-ci restent somme toute des plus marginales. Des mesures concrètes sont-elles prévues pour tenter d’y remédier ? 
Nous avons d’ores et déjà mis en place une plateforme d’exportation à travers la  nouvelle  réglementation  qui  prévoit  la  création  d’établissement d’exportation.  Actuellement,  la  valeur  des  exportations  de  produits pharmaceutiques est de l’ordre de 10 millions de dollars par an. Pour 2022, l’objectif potentiel ciblé est évalué à plus de 200 millions de dollars. Il faut toutefois l’implication de différentes institutions, telle la Banque centrale pour favoriser l’activité d’exportation.  

La  mise  en  place,  il  y   a  quelques  mois,  d’une  procédure  liée à l’exigence d’attestation  de  régulation  à  l’importation  a  donné  lieu  à  certaines appréhensions parmi les opérateurs. Quel est l’objectif de cette nouvelle démarche ?  
À travers l’exigence de cette attestation de régulation, il  s’agissait avant tout d’arrêter d’importer ce qui  est  fabriqué  localement  en  suffisance et  ce qui existe déjà en  surstocks.  L’enjeu  étant  de  rationaliser  l’importation  et  la réorienter vers les produits non disponibles sur le marché  national.  Cela a permis aussi de lutter contre la surfacturation. Nous avons découvert, grâce à cette procédure, des programmes  d’importation  surfacturés  parfois  à  des niveaux de 300 fois leur valeur réelle. 

Au bout, nous avons réduit, par exemple, la  facture globale à l’importation de matière première  d’un opérateur à  près  de  250 000  dollars  au  lieu  de 50 millions auparavant. Étant donné que nous  avons mis en place les nouveaux programmes d’importation  pour 2021, l’attestation  de  régulation  n’est  plus exigée sauf pour les dispositifs médicaux et les produits mixtes en attendant la finalisation d’un système de suivi complet pour ces deux créneaux.

Il y a, à présent, un dispositif de suivi informatique régulier, combiné à un suivi au  niveau  des  officines  pour  mieux  contrôler  et  prévoir  les  programmes d’importation   et  d’approvisionnement.   L’autre  nouveauté  est,  par  ailleurs, l’implication de toute la chaîne d’intervenants  dans le circuit pharmaceutique, dont notamment les prescripteurs, afin de favoriser autant que faire se peut la prescription des produits disponibles localement.  

La rationalisation  des  importations  n’est-elle pas  aussi  à  l’origine de certaines pénuries de médicaments ? 
Nous avons fixé 530 programmes d’importation pour 2021, soit 530 produits à importer sur les 3 500 que compte la  nomenclature  nationale  en  la  matière. Les  pénuries  enregistrées  l’an  passé  ont  surtout  porté  sur  des  produits considérés comme  non  essentiels  et  dont  certains  sont  disponibles  sous forme de génériques produits localement comme le Lovenox.

Ces pénuries ne sont pas liées à l’importation mais à une mauvaise régulation du  marché  car  les  producteurs  passent  parfois  de  la  surproduction  à  la pénurie pour des raison de commercialisation. Aussi, pour cette année, nous avons  prévu  un  système  informatisé  de  régulation  des  programmes d’importation de matière première correspondant à des programmes concrets de production, détaillés  mois  par  mois.  Le  même  système  est  également prévu pour les importations de médicaments. 

Que pèse exactement la production  nationale  de  médicaments et quels sont les objectifs fixés en ce domaine ? 
Il existe en tout 95 unités de production locale. Nous essayons de favoriser les notions de valeurs ajoutées mais aussi  les  applications  de  recherche  et  de développement. La production nationale assure actuellement jusqu’à 54% des besoins du marché national. La valeur du  marché local est estimée à quelque 4,3 milliards de dollars dont 2,3 sont satisfaits localement. 

La  dévaluation  du  dinar  pénalise  grandement  les  producteurs.  Des mécanismes d’ajustement de prix sont-ils envisagés  pour les soutenir contre ces distorsions de change ? 
Nous   avons  instauré  des  modes  de  régulation  qui  permettent  désormais d’adapter les prix à la baisse comme à la hausse, suivant le contexte. Comme il y  a  des  dépréciations  du dinar, il  y  a  également  des  baisses  des cours mondiaux de matières premières.

Dans les deux cas, nous avons conçu et mis en place un système permettant de corriger les prix dans un sens comme dans l’autre. L’enjeu est de soutenir la production nationale, tout en préservant  le système de  sécurité  sociale et en veillant à rationaliser les dépenses du pays en devises. 

Le vaccin russe  contre la Covid-19 pourra-t-il être réellement produit à temps par le groupe public Saïdal ?  
Si nous recevons la matière  première  nécessaire, nous  pouvons lancer la production du vaccin dans les deux mois qui suivent. Le partenaire russe a déjà mis à notre disposition une plateforme numérique qui détaille tout le processus de fabrication de ce vaccin. Dans une seconde phase, il s’agirait de fabriquer localement cette même matière première. 

L’outil industriel existe et nous pouvons y parvenir d’ici  la rentrée prochaine. L’objectif essentiel pour nous est le transfert de technologie pour développer les  biotechnologies  et  parvenir  ainsi  à  mettre  en  place  une  plateforme vaccinale locale qui nous permettra à  l’avenir  de  produire  localement nos vaccins.

 

Entretien réalisé par : AKLI REZOUALI

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