L’Actualité OMAR BESSAOUD, ÉCONOMISTE AGRICOLE

“rétablir les équilibres économiques de la société locale”

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Ali BEDRICI Publié 08 Septembre 2021 à 00:46

© D. R.
© D. R.

Les communautés et les ménages ruraux de ces régions disposent de précieux savoirs et savoir-faire qui contribueront à une restauration de leur économie”, estime le chercheur Omar Bessaoud. Pour ce spécialiste des questions agricoles qui a beaucoup travaillé sur la ruralité, “l’espoir d’une renaissance de l’économie de montagne est porté d’abord par la société locale”.

Liberté : Les paysans sinistrés sont désespérés. Y a-t-il des raisons de garder l’espoir d’une renaissance de l’économie agricole de montagne ?
Omar Bessaoud : L’heure est aux bilans des incendies, et l’on sait déjà que les dégâts sur le terrain ont été considérables : de nombreuses victimes (morts et blessés), des dégâts matériels (habitations, arbres fruitiers, fourrage, céréales, bétail, ruches, poulaillers, ovins …), sans compter les traumatismes liés à ces incendies. Des bilans sont aussi à faire sur la végétation qui a brûlé et l’impact sur la flore et la faune, sur la biodiversité. L’espoir d’une renaissance de l’économie de montagne (et de l’économie forestière) est d’abord porté par la société locale qui puise dans ses ressources intérieures (réseaux familiaux, de voisinage, de travail, diaspora) et ses capacités propres à rebondir pour reconstruire ce qui a été détruit. L’espoir est nourri bien sûr par les actions de solidarité et de secours émanant de partout. 
De nombreux témoignages ont été évoqués sur la capacité des communautés locales à réagir dans les situations de crise. 

L’agriculture de montagne a énormément souffert de ces incendies. Comment la reconstruire, selon vous ? 
Rappelons les activités dans ces régions de montagne : petite agriculture familiale basée sur l’exploitation de petits lopins de terre avec association de plantations fruitières et une arboriculture rustique (oliviers, figuiers), petits élevages de bovins laitiers ou de caprins, jardins de légumes à destination familiale, élevage avicole et apiculture. La recherche des équilibres dans la gestion de ces espaces naturels passe, selon nous, par le rétablissement des équilibres économiques de la société locale. Il convient, par des indemnisations relayées par des crédits “Rfig” à taux zéro et des prêts à moyen et long termes bonifiés, de favoriser la reconstitution de ce capital productif et des infrastructures de base (hangars et étables) détruites. Le Fonds national du logement peut être remobilisé et réalimenté par le Trésor public afin d’aider les foyers à reconstruire leur habitat. Les communautés et les ménages ruraux de ces régions disposent de précieux savoirs et savoir-faire qui contribueront à une restauration de leur économie. L’économie forestière constitue également une source précieuse de revenus pour les habitants (exploitation du bois, des aliments pour les cheptels, des plantes aromatiques et médicinales, apiculture...).  

D’après vous, les projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI) constitueraient-ils un axe important de la reprise ?
Je rappelle que les PPDRI résultent de la stratégie de développement rural durable qui avait été définie en 2005. Les approches territoriales avaient été privilégiées et un plaidoyer avait été développé sur la nécessité de décentraliser les décisions locales et d’associer l’ensemble des acteurs locaux dans la définition des projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI). La thématique environnementale (lutte contre la désertification et la dégradation des terres, lutte contre le déboisement et l’érosion des terres, restauration des terrains de montagne…) avait occupé une place de choix aux côtés de thématiques en rapport avec les conditions de vie et d’emploi des populations locales, ainsi que les conditions d’habitat. Les projets de proximité étaient des projets de taille modeste dédiés aux ménages ruraux avec des modes de financement adaptés. La mise en œuvre de cette politique et son suivi avaient été confiés aux forestiers. Ces personnels qui avaient pour nombre d’entre eux suivi des formations spécifiques étaient considérés comme les personnels vivant au plus près des populations rurales des zones difficiles et enclavées. Cette base d’un développement social équilibré des campagnes et des localités rurales dans les zones difficiles a été délaissée à partir de 2015. Rien n’interdit aujourd’hui de rénover cette politique de développement rural (en y intégrant les actions de “lutte contre les zones d’ombre”) et de la mettre au service des populations sinistrées. Des mécanismes de financement appropriés en rapport avec la situation d’urgence née de ces derniers incendies peuvent être définis et des incitations économiques (fiscalité, formation accompagnée d’aides techniques) arrêtées, afin de renforcer l’engagement et la responsabilité des communautés rurales locales. L’économie de montagne et forestière trouvera alors un cadre politique cohérent qui sera mis au service des populations sinistrées et un cadre approprié pour initier des actions de restauration de ces paysages naturels, remarquable ressource patrimoniale de la Kabylie et de l’Algérie. 

Comment remédier aux pertes forestières ?
Certains effets des incendies sont irréparables au niveau des espèces végétales, des habitats naturels et des espèces animales menacées ou en voie de disparition, arbres et sujets (oliviers par exemple) centenaires, voire millénaires. On aurait été plus efficaces si l’on disposait d’une banque de gènes et de graines stockées dans les laboratoires. Mais le reboisement pratiqué depuis l’indépendance contribuera à restaurer en partie la couverture végétale, mais à condition que d’autres feux ne suivent pas. Les experts dans le domaine ont montré que la récurrence des feux fait obstacle à la reprise végétative. 
Il est également difficile que l’espace naturel affecté par les feux reprenne son état initial. Les spécialistes des écosystèmes forestiers notent que, suite aux feux de forêt, le maquis et les broussailles gagnent toujours du terrain, au détriment de la forêt naturelle. Le facteur temps est important. Il faut plusieurs années d’efforts pour réparer les destructions provoquées par les feux. 
Le retour à l’état initial d’une forêt de chênes-lièges nécessite plus de vingt ans, bien sûr en l’absence totale d’incendies. Pour le reboisement, qui demande du temps, il faut surtout penser aux espèces à développer.Les maquis dégradés peuvent, tout au plus sur certains terrains, être réaménagés en parcours afin de redéployer l’élevage local existant.

Votre réflexion intègre-t-elle la prévention ?
Les exploitants agricoles qui sont les riverains des forêts, maquis et broussailles doivent être davantage formés et mobilisés dans l’entretien et la surveillance de ces espaces afin de prévenir les incendies. La participation des institutions coutumières (tajmaât), des associations de villages, des organisations professionnelles agricoles, de la Chambre agricole, des producteurs locaux et de leurs associations contribue au renforcement des plans de prévention. 
Elle ne peut qu’améliorer au sein de ces communautés, en contact avec la forêt, les actions et les comportements responsables ajustés aux impératifs et exigences de l’environnement. Il faut également perfectionner l’action publique : mieux coordonner les institutions en charge des plans de prévention et de lutte contre les incendies, renforcer en personnel et en matériel les forestiers et les pompiers, gérer les connaissances acquises sur les incendies de forêt, capitaliser les expériences afin de perfectionner les dispositifs de lutte contre les incendies. Il est aussi impératif de prendre au sérieux les plans d’adaptation au changement climatique afin de les ajuster aux impératifs de lutte contre le réchauffement climatique, de prendre en compte les produits de la recherche et d’associer les compétences du pays dans les réponses aux défis que la nature impose.
 

Propos recueillis par : ALI BEDRICI

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