L’Actualité DROIT DE REGARD

Sémiotique et géopolitique de la dictature

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Mustapha HAMMOUCHE Publié 15 Janvier 2022 à 21:40

© D. R.
© D. R.

Le mois dernier, l’Algérie a été destinataire d’un document cosigné par plusieurs rapporteurs et un groupe de travail de l’ONU sur les droits de l’Homme et sur des questions connexes. La réaction a été motivée par une série d’initiatives législatives qui, au cours des années 2020 et 2021, ont été prises pour renforcer la répression de l’activisme politique et de la revendication citoyenne. L’inquiétude de ces instances tient à l’introduction du terme de “terrorisme” et autres crimes annexes dans les textes venus “enrichir” le code pénal algérien et cela, sans qu’à leurs yeux ces notions soient rigoureusement définies. Leur crainte est qu’une interprétation imprécise ou élargie de la notion de “terrorisme” n’aboutisse à une dérive répressive abusive. 
Qui aurait dit que, trente ans après le décret du 30 septembre 1992 promulgué par le HCE de l’époque et trente ans après avoir été forcée d’endurer une guerre terroriste sanglante, en particulier dans sa première décennie, l’Algérie se remettrait à légiférer sur le thème du terrorisme pour réprimer la revendicative politique dont l’essentiel émane d’un mouvement populaire qui se caractérise justement par son… pacifisme ?
Pour rappel, en Octobre 1988, une révolte de la jeunesse algérienne, réprimée dans le sang, avait permis à notre pays de se défaire du carcan du parti unique qui l’avait congelé depuis son indépendance pour se projeter enfin dans un fonctionnement pluriel. Mais l’expérience a été vite contrariée : l’islamisme, déjà en embuscade, s’employa à profiter de l’opportunité historique pour la détourner au profit de son projet obscurantiste, et le pouvoir s’est occupé de vider le multipartisme de son essence démocratique. Dans une espèce de dialectique du pire et du meilleur, l’ouverture politique fut littéralement accompagnée d’une explosion de violence islamiste et de répression. 
À peine son expérience “démocratique” entamée, l’Algérie était contrainte de se donner les moyens d’une lutte légale contre la violence terroriste. Elle fut l’un des tout premiers pays à se donner une législation en la matière. Ce n’est qu’après l’attentat du 11 Septembre 2001 que lui fut reconnu ce rôle de pionnier dans la riposte au terrorisme, enfin reconnu comme international. 
Mais à ce moment-là, les gardiens de l’ordre prévaricateur et les islamistes étaient en train de se réconcilier autour d’un système socioéconomique bazardji et d’une hostilité partagée à l’endroit de la démocratie.  Mais tout en poursuivant ce retournement autoritaire, le système continue à revendiquer une métamorphose démocratique ! On peut se demander si le reflux des avancées démocratiques réalisées à la fin du siècle dernier ne constitue pas, désormais, un mouvement universel.  Un autre rappel : au plan international, la chute du mur de Berlin, en 1989, a ouvert la voie à l’aspiration démocratique de peuples jusque-là, et depuis très longtemps pour la plupart, pris en otages par des systèmes despotiques sous tutelle. Le séisme de la Perestroïka, qui a secoué l’ex-URSS, a permis aux pays de l’Est européen de quitter le giron de l’ancienne puissance dominante et de s’engager, en même temps que certaines républiques de l’Union, dans des réformes démocratiques. Or, avec l’avènement du régime Poutine, l’histoire de la Russie et des résidus de l’ex-bloc de l’Est a pris un chemin à rebours de l’objectif démocratique, s’engageant dans un processus de réhabilitation du système du pouvoir unique, centralisé et inamovible. Mais cela sans renoncer aux apparats du multipartisme, de l’élection, des droits de l’Homme et des libertés !         
Installés dans une attitude volontairement équivoque, les “démocratures” revendiquent un fonctionnement démocratique de leurs sociétés et États sans se priver d’user de la répression la plus brutale pour défendre la pérennité de leurs régimes. Après avoir tenté d’empoisonner son principal opposant, Navalny, Poutine s’attaque à toute son organisation et à d’autres sous prétexte d’“extrémisme”. 
En Turquie, Erdogan accuse son rival montant, Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul, de “terrorisme” dans l’intention de le pousser vers la sortie.  L’argument de crimes contre l’État n’est pas l’apanage des seules “démocratures” : en Chine, le pouvoir continue à réprimer les Ouighours au prétexte de leur terrorisme. Parfois, la prise de pouvoir autocratique est elle-même “légalisée”, comme en Tunisie. En se rappelant le registre complotiste et de violence de Donald Trump, on peut même craindre que la démocratie ne protège plus de la dictature.
Cette sémiologie faite de “terrorisme”, “extrémisme”, “intelligence avec l’étranger”, etc., épouse les contours d’une géopolitique de la dictature.
 

M. H.
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