L’Actualité L’Autre Algérie

Trois leçons nationales d’un petit village

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Kamel DAOUD Publié 27 Mai 2021 à 09:44

© D.R
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Par : Kamel daoud
         Écrivain

Aux plans technique et logistique, il serait sans doute très peu aisé d’établir un fichier suffisamment transparent et rigoureux pour répertorier les ménages réellement éligibles à l’aide de l’État.


Route de retour à Alger après une rencontre à Boudjima, près de Tizi Ouzou. C’est là qu’a eu lieu un festival littéraire. Ambiance de fête sous un soleil piéton, bousculades et tables d’expositions. Arbres mêlés à des livres. Impatience et conversations, une salle comble. De retour, alors que le ciel se retire, on n’évite pas la question mentale et nationale dans sa propre tête :  Comment changer l’Algérie ? C’est-à-dire en mieux. Différentes pistes : de l’intérieur du système ? De l’extérieur ? Par la marche ou le sit-in ? La violence ou la négociation ? La foi ou la bonne foi ? le selfie ou les élections ? On peut choisir, sans s’exclure. Peu habituel dans un pays pour qui avoir raison c’est vaincre ou mourir et avoir tort c’est partir ou trahir.

Vieilles habitudes cérébrales, nées de la guerre noire et blanche. Mais là, c’est quand même le spectacle d’une autre Algérie possible. J’y apprends que le festival ne compte que sur lui-même et des bénévoles. Deux grands piliers du paradis sur terre : le volontariat (sans prosélytisme ni factures indirectes) et la proximité. C’est, pour le chroniqueur ce qui aidera ce pays à changer, mieux que le martyre numérique des opposants ou les révisions de Constitutions ou le changement de walis et de peintures.

Un : La proximité. C’est un travail humble, direct, qui s’intéresse à l’Algérie et pas aux deux seuls grands boulevards d’Alger. Car ce sont les stratégies des proximités qui ont aidé les islamistes dans leur univers en extension capillaire et textile. Nekkaz Rachid, dans sa folie de météorite qui mêle le selfie, un mécanicien d’Aïn Defla et des passeports brûlées, l’avait, lui aussi, compris : aller dans les villages, frapper aux portes, partager l’air sous un arbre messaliste, arriver à une gare ou sombrer en groupe dans un café. Ces lieux où le pays se vit et se partage. On s’imagine si le festival du livre de Boudjima était multiplié par dix, par cent, par mille dans le pays. Cela ne demande pas de grands moyens, juste de l’imaginaire et de l’entêtement au lieu de crier, en assisté concave, que l’État ne le veut pas. Faire parvenir livre, aller au-delà des écrans, rencontrer et faire se rencontrer, préférer les visages à la gloire des tweets, construire au lieu de hurler. Le travail de proximité a même un étrange effet de thérapie : il vous rend affectivement indépendant du Régime que vous dénoncez. Il vous ramène à l’échelle du réel et vous laisse voir ce qui reste à faire et pas ce qui reste à photographier et à publier sur un fil numérique. La proximité équilibre la passion, comme la vie de famille le fait pour le feu sacré. On en sort grandi de revenir à ce qui est infinitésimal.

Deux : le bénévolat. Difficile de le reconstruire en le détachant du calcul. Le concept est piégé par la subvention et la quête d’un lot de terrain au Paradis après la mort. Un Algérien bénévole est-il un Algérien mort ou naïf ? Non. Au-delà du paradis ou du bon de commande, il y a lieu de croire à d’autres convictions naissantes. Le bénévolat c’est la seule preuve à laquelle on croit en ce pays. Tout le reste est tarifs. 
Une idée fixe de l’auteur : le contraire de la démocratie, ce n’est pas la dictature, c’est la subvention. Quand on est payé, nourri et logé par un système, on ne peut pas être citoyen, mais client et sujet. Alors demander la liberté sans travailler, sans s’autonomiser, sans rien attendre et sans soutenir une économie libre, c’est se tromper de chemin sans se tromper de slogan. Qui est bénévole en Algérie actuellement ? Le candidat au paradis. Lorsque, comme les jeunes de ce festival du livre, nous arriverons à concevoir le bénévolat citoyen, on concevra la citoyenneté comme autonomie et pas comme pleurnicherie. Le bénévolat est une thérapie contre la sujétion. À un système politique ou à son contraire opposant. 

Trois : Le débat. Sur le Hirak piétonnier. Ou pas. Faut-il marcher pour changer ce pays. Au début, oui. Cela étant, on finit par tourner en rond. Un festival, une rencontre, sa possibilité, sont ce qui perpétuera ce mouvement en vrai mouvement. Difficile ? Bien sûr. Presque impossible avec les mœurs, les abus d’obéissance pire que les abus de pouvoir, le fatalisme grimaçant et ce verdict du muscle mou qui vous répète qu’il ne sert à rien d’essayer. Aller dans ce village, après des routes qui grimpent, a été une occasion d’échanger. Les opinons de l’auteur sont connues et elles pouvaient heurter en Kabylie qui souffre de trop d’intermédiaires politiques et de courtiers de l’identité : et pourtant ce fut un débat. Élection, bonheur, journalisme. On laissera aux “figures” le loisir de crier à la chute du régime, la conviction de l’auteur est que l’Algérie changera que par le bas. En meilleure ou en pire. Selon ce qu’on y mène comme “travail de proximité”, armées de bénévoles et religion du pluralisme.   

Arrivée sur Alger au soir. La capitale est un labyrinthe de murs et de murmures. Des étoiles tentent des percées dans la pollution. On est loin de ce chemin direct qui allait de l’arbre au livre. Ici les gens de Boudjima, ceux qui y sont allés, ceux qui ont aidé ou participé, sont un peu invisibles. Ils ne font pas le poids devant les professionnels de la légèreté organisée en monopole. Verdict dur, mais l’auteur est un villageois : il croit encore que la capitale du pays c’est son village et ce qui s’y passe, ou s’y passera. Le village : ce lieu où le plus vieil arbre a le pouvoir muet d’un palais. 

 

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