L’Actualité KHEDIDJA MOKEDDEM, MAÎTRE DE RECHERCHE AU CRASC

“un projet de société Pour endiguer la harga”

  • Placeholder

Samir OULD ALI Publié 23 Septembre 2021 à 01:12

© D. R.
© D. R.

Liberté : De nombreux Algériens continuent de risquer leur vie pour rallier les côtes européennes. Parmi eux, des familles entières, des femmes enceintes et même des personnes aisées. Que nous dit cette hémorragie persistante sur la situation en Algérie ?
Khedidja Mokeddem : Le problème de la migration est complexe et difficile à cerner, et les efforts fournis par les États pour le contenir restent jusqu’à présent efficaces. Si on place le phénomène de la harga dans le cadre réglementaire à partir duquel la politique de migration est gérée, je dirais en m’appuyant sur la conception psychanalytique qu’il est le symptôme et l’expression de la pathologie et de la limite des pays - qu’il s’agisse des pays émetteurs ou accueillants - à réguler la politique de migration. Cette hémorragie permanente est aussi un signe que quelque chose ne va pas, elle pose un problème de sécurité nationale et de gestion des frontières, de politiques de visas, de conditions d’accueil et de droit des personnes à la mobilité. 

La harga pose également le problème de l’émergence d’un marché florissant de trafiquants de tous bords - passeurs, intermédiaires faussaires… -, ce qui encourage des flux migratoires clandestins importants...
Sur le plan des motivations individuelles, de manière générale, cette hémorragie pose le problème du processus d’individuation et de l’individu qui peine à s’affranchir dans un espace politique et social compliqué, de déséquilibre national, régional, voire international. Il pose, par extension, la question du sens de sa propre personne, de sa responsabilité, sa liberté et ses valeurs, de la possibilité de créer son propre projet de vie, de choisir et d’agir. Et comme je l’ai déjà indiqué dans un précédent entretien, ces personnes bravent les dangers de la mer pour renaître de nouveau. Ils se détruisent pour se reconstruire, prennent le risque de “la mort” pour arriver à la “vie”. Dès lors, le “risque” et la “mort” deviennent leur seule possibilité d’autodétermination et de réalisation personnelle.   

Vous qui avez beaucoup travaillé avec les jeunes, comment expliquez-vous cet entêtement presque obsessionnel à quitter le pays ?
D’après les résultats d’entretiens récents réalisés avec des jeunes dans le cadre de recherches, il apparaît que ce désir quasi obsessionnel, comme vous dites, procède de la frustration engendrée par les restrictions sur la mobilité, les contraintes de visa, la curiosité de vouloir découvrir et de connaître des pays rêvés (un jeune me dit : si les frontières étaient ouvertes, s’il n’y avait pas ces contraintes de visa, je suis sûr que ces jeunes iront découvrir ce qui se trouve derrière ces frontières et reviendront au pays. J’ai réussi plusieurs tentatives, j’ai connu ces pays, maintenant, je n’ai plus ce désir de partir). 
Ce sont également l’incertitude et le sentiment d’incomplétude, de doute et le malaise permanent qui expliquent cet entêtement à vouloir partir quel que soit le prix. La “harga” représente pour ces jeunes le moyen de soulager leur besoin de reconnaissance, de s’en sortir, de se libérer et de se construire ailleurs. Une sorte de compromis social - quand bien même ce compromis serait une transgression aux yeux de la société et de la loi -, car ils pensent que la situation actuelle du pays ne leur permet pas de bâtir leur avenir ni de fonder une vie familiale.

Malgré le dispositif sécuritaire et un arsenal juridique important, les autorités algériennes n’arrivent toujours pas à contenir ce phénomène…
Certes, l’État a promulgué des politiques publiques, afin de résoudre ce problème, mais le phénomène est avéré, et sans m’étaler sur la question, je dirais que tant qu'il n'y a pas une prise en charge globale, un projet de société dans lequel la société se reconnaît et auquel elle adhère, on ne pourra pas contenir ce phénomène et tant d’autres problèmes de société. 
Il faut impliquer les Algériens et les encourager à prendre leur destin en main, à être des acteurs des changements. Surtout que - et les entretiens que nous avons menés avec les jeunes le confirment - nous nous trouvons devant une génération nouvelle et différente des précédentes, qui est demandeuse de l’État, des solutions de l’État et du soutien de l’État. Il faut saisir cette occasion pour impliquer les jeunes dans les décisions politiques, particulièrement celles qui les concernent au premier chef, car ils sont les seuls à savoir ce qui leur convient.
 

Propos recueillis par : S. OULD ALI

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00