La vague de promotion du cinquième mandat a fait escale avant-hier à Ouargla. Dans une wilaya où, en une année, on a recensé plus de trois cents marches, rassemblements, manifestations et autres sit-in.
La région est connue pour le dynamisme de son mouvement citoyen contre le chômage, pour la répression policière et judiciaire qui s’abat sur ses animateurs, mais aussi pour les problèmes d’environnement qu’y soulèvent les habitants. N’est-ce pas en soi un déni de réalité que de mettre en scène une espèce de communion pouvoir-travailleurs à l’endroit où le fléau du chômage est le plus bruyamment dénoncé ? N’est-ce pas aussi un paradoxe que de venir glorifier un bilan politique dans une wilaya qui voit éclater une manifestation par jour en moyenne ?
Mais à y regarder de près, l’idée même de faire le bilan de vingt ans de présidence constitue une aberration. Car, enfin, un président n’est pas élu pour un mandat de vingt ans ! Pourquoi serait-il alors jugé sur un bilan de vingt ans ? Si on a raté quelque chose, à savoir de faire les bilans successifs de mandats successifs, c’est trop tard.
Une autorité qui s’impose pour deux décennies, c’est une dictature. On ne fait pas son bilan : le temps l’a fait pour nous. Bouteflika a initialement été élu pour cinq ans sous l’empire d’une Constitution qui instituait des mandats quinquennaux dont le nombre était limité à deux pour un même président. Il l’a remaniée pour la dépouiller d’un principe fondateur de la démocratie — la règle d’alternance à la tête de l’État — pour que les vingt ans et plus de règne deviennent possible. Il n’y a plus de bilan politique à faire : le bilan est un concept de démocratie incompatible avec les situations d’autoritarisme.
Dans ces cas, c’est à l’Histoire de procéder à l’élaboration des bilans. Et ça, c’est une autre histoire.
En outre, un bilan est forcément à partie double. Le pouvoir laissera-t-il s’exprimer la partie droite, le passif, de son bilan ? Tout cet argent englouti pour si peu. Les “réalisations” qu’on ne manquera pas de nous lister ont des coûts et il serait instructif de considérer leur structure : la part de retard, de surcoûts, de pollution, de détournements dans le prix de revient des “indjazate”. Il serait surtout édifiant de connaître ce qui n’a pas été fait et qui aurait pu être fait avec cet argent, comme, par exemple, enclencher le développement d’une économie de production au lieu d’entreprises de siphonnage de la rente ou introduire le pays dans un processus de transition énergétique.
Le bilan matériel des “réalisations” ne dispense surtout pas le régime d’assumer le tragique bilan politique (déni des droits civiques et politiques, étouffement et répression de la liberté d’expression, institutionnalisation de la fraude électorale…) et moral (socialisation du fanatisme, démocratisation de la rapine…).
Mais le Président a pris, d’entrée, les devants : “Nul ne peut, aussi ingrat et aussi injuste soit-il, nier les réalisations de l’Algérie, ces deux dernières décennies, dans tous les domaines du développement et de réformes.” Il faut oser prendre le risque d’être estampillé plus qu’“ingrat et injuste” pour qui veut porter un jugement autre qu’élogieux sur le bilan du président !
M. H.