Contribution

À propos de la thèse de “l’holocauste” Ali Sohbi (1re partie)

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Rédaction Nationale Publié 26 Novembre 2021 à 18:52

Par : Lazhari Labter
Ecrivain
Et Amar Belkhodja
Auteur et chercheur en histoire

1re partie

Si les soldats français impliqués dans le carnage marchaient dans le sang et enjambaient les cadavres pour se frayer un passage, cela suppose que des centaines de résistants laghouatis furent achevés au sabre et à la baïonnette, souvent dans la fureur et la furie du corps à corps. En conséquence, la mort par étouffement ou asphyxie ne tient pas la route.”

En 2022, la ville de Laghouat commémorera le 170e anniversaire de sa résistance lors de sa prise violente par les troupes françaises qui y ont commis un véritable génocide le 4 décembre 1852, en assassinant par le feu et le fer 3 000 de ses habitants sur les 4 000 que le ksar comptait alors. Ce génocide est depuis connu sous le nom de “Âm el-Khalia”, autrement dit l’année de l’anéantissement, sans recours à d’autres armes que les canons, les fusils et les baïonnettes, comme le prétend M. Ali Sohbi, professeur d’université et sociologue.
C’est sur le blog de Hassan Sohbi qu’on trouve l’évocation, pour la première fois, dans un compte rendu très mal écrit dans un français approximatif et confus, de ce qu’il appelle “Première bataille chimique expérimentale au monde : bataille de Laghouat”, posté le 10 décembre 2010.
(http://sohbiali.unblog.fr/2010/12/10/histoire-militaire-premiere-bataille-chimique-experimentale-au-monde-bataille-de-laghouat/)

Sur quels documents ou quelles sources s’appuie Ali Sohbi pour affirmer cela ?
Et c’est ce monsieur, en mal de reconnaissance et de notoriété, qui ne sait pas écrire une phrase correcte en français et par conséquent doit lire mal, qui a lancé un jour un pavé dans la mare de l’histoire du génocide de Laghouat, affirmant que les militaires français avaient utilisé pour la première fois du “chloroforme”, utilisé depuis sa découverte comme anesthésiant en chirurgie de guerre et civile (https://www.ulyces.co/longs-formats/letrange-histoire-du-chloroforme/) qu’il confond avec le “chlore”

(https://www.acadpharm.org/dos_public/Dorandeu_Guerre_chimique_4_mars_2015_v20min.pdf) pour neutraliser les habitants de la ville et les massacrer, sans apporter l’ombre d’une preuve. Lui dont le frère possède, selon ses dires, “une collection d’anciens ouvrages sur l’histoire, la sociologie et l’histoire militaire, une bibliothèque sur l’histoire militaire comprenant 43 000 ouvrages, une collection de cartes postales, toute la cartographie originale du XIXe siècle sur l’histoire de l’Algérie, ainsi que 350 000 documents concernant l’histoire d’Algérie” sur la provenance desquelles d’ailleurs des questions légitimes se posent et sur le fait de les garder alors qu’ils font partie du patrimoine historique du pays et devraient être versés aux Archives nationales ou à la Bibliothèque nationale. Ces volumineuses collections qui, à première estimation, exigent un très vaste espace et un classement selon les normes recommandées par le système d’archivage et devraient être versées au patrimoine national pour offrir la possibilité aux chercheurs de les consulter et de les exploiter par ces temps où les “enjeux mémoriels” sont d’une brûlante actualité.S’appuyant sur des lectures mal comprises ou interprétées tendancieusement pour étayer sa thèse complètement farfelue, il affirme que du gaz chloroforme avait été utilisé contre les habitants de Laghouat le 4 décembre 1852.

Genèse de la falsification d’une histoire de résistance héroïque
C’est le 9 décembre 2010 à l’université Amat-Telidji de Laghouat, devant un parterre d’universitaires et de personnalités de la ville, que Ali Sohbi a présenté sa “thèse” fumeuse en se basant essentiellement sur les ouvrages des auteurs français, parmi lesquels Eugène Fromentin, Un été dans le Sahara, publié en 1857, Jean Mélia, Laghouat ou les maisons entourées de jardins, publié en 1923 à Paris, et des écrits d’officiers français ayant participé à la bataille qui les a opposés aux résistants laghouatis.
Dans son ouvrage, le plus proche de la réalité, Fromentin, arrivé six mois après la boucherie commise par Pélissier, Youssef et consorts, n’évoque à aucun moment l’utilisation d’un quelconque gaz chimique, mais décrit dans le détail la prise sanglante de la ville et la résistance acharnée de ses habitants. 

Des phrases hors de leur contexte et mal comprises
S’appuyant sur la phrase imagée de Fromentin : “On sentait que le courant était entré par ici et n’a fait que se répandre ensuite jusque là-bas”, extraite de son contexte, Ali Sohbi en conclut, en mauvais lecteur et en mauvais connaisseur du style du peintre-auteur, qu’il s’agit du gaz qui se répand, alors que l’auteur d’un Été dans le Sahara, en tant qu’écrivain et peintre qui utilise des images dans ses écrits, décrivait l’avancée irrésistible, tel le courant puissant d’un fleuve ou d’un torrent, des troupes françaises entrées par la brèche faite dans les remparts du côté ouest de la ville et qui se déversaient le long de la rue principale du ksar qui aboutissait au côté est, qui va donc de Bab El-Gharbi par où se sont engouffrés les soldats français, sous la conduite du général Pélissier, à Bab Chargui, par où s’est déversé le reste des troupes d’invasion sous la conduite du général mercenaire Youssef, de la porte de l’Ouest à la porte de l’Est. Voici maintenant dans son contexte la phrase de Fromentin qui était entré le 3 juin 1853 au soir à Laghouat par la porte de l’Ouest : “Nous suivions à peu près le chemin tracé par les balles et les baïonnettes de nos soldats. Chaque maison témoignait d’une lutte acharnée. C’était bien pis que vers la porte de l’Est. On sentait que le courant était entré par ici et n’avait fait que se répandre ensuite jusque là-bas.”
“Tout cela n’est rien, me dit le lieutenant ; Dieu merci, vous ne connaîtrez jamais une chose pareille !” “Ce que le lieutenant ne me dit pas, je le savais. On marchait dans le sang ; il y avait des cadavres par centaines, les cadavres empêchaient de passer” (page 136 de l’édition de l’Enag, Alger, 2001).

Si les soldats français impliqués dans le carnage marchaient dans le sang et enjambaient les cadavres pour se frayer un passage, cela suppose que des centaines de résistants laghouatis furent achevés au sabre et à la baïonnette, souvent dans la fureur et la furie du corps à corps. En conséquence, la mort par étouffement ou asphyxie ne tient pas la route, et la thèse de l’utilisation de gaz chimique toxique avancée par Ali Sohbi serait une pure extravagance. Sachant également que les Cavaignac, les Youssef, les Saint Arnaud, les Canrobert, les Montagnac sont des sabreurs tristement célèbres qui n’ont jamais fait référence dans leurs prolifiques comptes rendus à l’utilisation d’un quelconque gaz chimique, et Dieu sait combien sont innombrables et sanglantes leurs expéditions punitives lancées contre les tribus algériennes rebelles ou même pacifiques. Tous les témoignages recueillis par Fromentin et ses descriptions témoignent d’une lutte sans merci, pied à pied, au corps à corps, des résistants contre les soldats français, des résistants mal armés certes, mais conscients, en pleine possession de leurs facultés et déterminés, qui avaient choisi de mourir en martyrs pour leur ville plutôt que d’en livrer les clés à un ennemi en surnombre et surarmé. On est loin de la thèse farfelue de Ali Sohbi, d’hommes assommés par le gaz, hébétés au point de se laisser massacrer, hommes, femmes, enfants et vieillards, armés ou non armés, sans offrir aucune résistance, ce que démentent tous les témoignages!
Parlant de la ville “assassinée”, selon la formule de Fromentin, le général Du Barail, dans son ouvrage Mes souvenirs, tome II-1851-1864, Plon, Paris, 1898, témoigne : “Elle subit toutes les horreurs de la guerre. Elle connut tous les excès que peuvent commettre des soldats livrés un instant à eux-mêmes, enfiévrés par une lutte terrible, furieux des dangers qu’ils viennent de courir, furieux des pertes qu’ils viennent d’éprouver et exaltés par une victoire vivement disputée et chèrement achetée. II y eut des scènes affreuses. (…) Les rues et les maisons étaient remplies de cadavres d’hommes, de femmes et même d’enfants que les balles aveugles n’avaient point épargnés. (…) Pendant le carnage, les fuyards étaient venus donner dans le filet de cavalerie. On sabrait tous ceux qui résistaient et on envoyait ceux qui faisaient leur soumission rejoindre le troupeau lamentable formé par toute la population de Laghouat, hommes, femmes, enfants, tous ceux-la prisonniers, à la merci du vainqueur, sans qu’aucune convention protégeât les vies ni les biens.”

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