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CES LOIS QUI FONT LE LIT DU FÉMINICIDE

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WIAME AWRES Publié 13 Juin 2021 à 22:38

Par : WIAME AWRES
MILITANTE FÉMINISTE, CO-FONDATRICE DE FÉMINICIDES ALGÉRIE

“Les Algériens n’ont pas appris la liberté des Occidentaux, la lutte pour la Libération nationale en est bien la preuve, et notre Histoire l’illustre assez. Tout comme les Algériennes ne luttent pas par mimétisme, mais bien par nécessité de vivre dignement et sans discrimination”

Dans le respect de la charia et des exigences du progrès, dans le respect de nos traditions, fruit de la réflexion dans le cadre de la charia, il faut accorder à la femme la place qu’elle mérite dans la société. C’est en ces termes que la promulgation du code de la famille a été annoncée le 19 juin 1984, soit 10 jours après son adoption à huis clos par l’Assemblée populaire nationale. Cette assemblée avait fait la sourde oreille aux manifestations des moudjahidate, des femmes et des hommes qui voulaient un réel progrès pour la société, et qui s’étaient élevés contre le projet de loi dès 1979. Il y a 37 ans, on nous poignarda dans le dos. Aujourd’hui, 37 ans après, ces lois contribuent à la violence contre les femmes et aux féminicides.
En 2020, 44% des féminicides ont été commis par le conjoint ou des ex-conjoints. Depuis le début de l’année 2021, sur les 21 féminicides recensés, 11 ont été commis par le conjoint. Derrière chaque chiffre, il y a un nom et un vécu. Elles s’appelaient Warda, Aïcha, Souhila, Asma, Dalila, Tinehinane, Amel, Saliha, Hakima… Certaines avaient des enfants, qui se sont retrouvés orphelins du jour au lendemain, en l’absence d’un système étatique de prise en charge de ce genre de cas. Bon nombre de ces femmes vivaient sous une violence psychologique et physique quotidienne, certaines ont essayé de quitter leurs conjoints, mais face aux injonctions sociales, à la précarité économique et face à un arsenal juridique monstrueux, compliquant et retardant le divorce, et ne prenant pas les mesures nécessaires pour les protéger, ces femmes ont été assassinées. 
Il est important de rappeler que les violences au sein de la famille ne sont pas une affaire privée. C’est une affaire d’État et de société. Les féministes ont mené une lutte acharnée pendant des années, aboutissant aux amendements de 2005. Aujourd’hui, cette lutte, qui dure depuis quatre décennies, tente de faire toute la lumière sur les conséquences du code de la famille, qui impose une société déséquilibrée et non égalitaire en droits. La préservation de ces lois est basée sur une instrumentalisation de la religion, où même les partis politiques non conservateurs adoptent un conservatisme opportuniste lorsqu’il s’agit des femmes, dans une volonté de complaire à des normes sociétales réduisant les femmes à être sous contrôle et mineures à vie.
Lorsqu’il s’agit de toucher au code de la famille, les conservateurs et les islamistes ressassent que cela va détruire les valeurs sociales. Qu’est-ce que les valeurs sociales ? Ce sont les jugements sur ce qui est juste ou injuste, bon ou mauvais, éthique ou non éthique, cet ensemble forme “les valeurs sociales”, qui deviennent la norme. 
Ainsi, il est dans la norme que les femmes subissent des violences conjugales, et qu’on leur impose le silence, la patience et le pardon ? Il est dans la norme de marginaliser et de porter un regard péjoratif sur les femmes divorcées ? Est-ce pour autant bon ? L’expérience a montré que non, car les femmes sont en souffrance, cherchent des solutions et aspirent à un changement. 
Comment ces normes s’inscrivent dans le code de la famille ? Par exemple, il est possible dans les exigences du contrat de mariage que l’homme exige de son épouse de ne pas travailler, ou même d’être vierge. 
L’épouse, elle, ne peut exiger la preuve de la virginité de son époux, car la virginité est associée au sang de l’hymen, et ce sont les femmes qu’on a faites garantes de l’honneur de l’homme et de la famille. Il est également dans la norme de contrôler les femmes et de leur refuser de sortir seules, de les rendre dépendantes, ainsi, il leur faut un tuteur qui décide pour elles. Il est aussi dans la norme de considérer que les hommes peuvent prendre une deuxième épouse si la première est stérile. Ainsi, le code offre à l’homme la polygamie. Si lui est stérile, elle, en revanche, ne pourra prendre un deuxième époux. Ces normes sont basées sur un double standard, où pour un même acte, on est jugé différemment selon notre sexe, créant ainsi un paradoxe, et ce sont ces paradoxes mêmes qui préservent ces lois et habitudes. 
L’autre argument ressassé comme un disque rayé par les conservateurs lorsqu’il s’agit des femmes est l’occidentalisation de la société, qui n’est autre chose que l’instrumentalisation du passé colonial. 
Les Algériens n’ont pas appris la liberté des Occidentaux, la lutte pour la Libération nationale en est bien la preuve, et notre Histoire l’illustre assez. Tout comme les Algériennes ne luttent pas par mimétisme, mais bien par nécessité de vivre dignement et sans discrimination, et ce sont ces discriminations mêmes que les conservateurs ne veulent pas nommer, préférant les considérer comme des valeurs sociales. 
Il est bon de rappeler que le code de la famille est un statut personnel, statut qui porte une empreinte coloniale. Concernant l’héritage, c’est plutôt l’intérêt économique qui prime, toute menace bouleversant la répartition des patrimoines et les intérêts des hommes est silencée. Le refus de toucher à cet article est d’autant plus féroce, comme le démontre l’expérience tunisienne. 
Malgré toutes ces oppositions, la lutte contre le code de la famille se poursuit et est aujourd’hui articulée autour de l’article 66, afin de préserver le droit de garde aux mères divorcées lorsqu’elles se remarient. Cet article ainsi que l’ensemble du code de la famille sont en contradiction avec la Constitution qui assure l’égalité des sexes. 
Les expériences ont montré que le modèle social et juridique imposé jusqu’à maintenant n’est pas viable, car il est fondamentalement contre la nature humaine, qui est de vivre libre. Les femmes méritent une place de citoyennes à part entière, et ce changement ne peut se faire sans une rupture totale avec les traditions et les lois rétrogrades.

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