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Des relations à réinitialiser

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Halim BENATTAALAH Publié 24 Octobre 2021 à 23:15

Par : BENATTALLAH HALIM
Ambassadeur honoraire

On peut se poser la question de savoir qui gagnerait et qui perdrait en cette situation. De toute évidence, les premiers perdants sont les millions d’Algériens qui encaissent de plein fouet l’accumulation des contentieux bilatéraux. Les dimensions humaine et humanitaire sont reléguées au second plan. 

À la fin du mois de septembre dernier, on a appris que le président français avait décidé de réduire de 50% le quota des visas pour les Algériens. La raison de cette décision est d’ordre administratif, mais la connotation politique et sécuritaire est forte. La décision n’a pas été précédée d’une information diplomatique préalable, comme le voudraient les usages. L’ambassadeur de France à Alger fut convoqué aux Affaires étrangères pour une protestation “formelle”, mais on ne sait pas si la parole a été suivie d’un acte de réciprocité.
La réduction pourrait s’avérer plus importante que les 50% annoncés.
Souvenons-nous que de 2017 à 2019 elle avait atteint les 30%. Si on prend l’année 2015 comme point de référence, la réduction est considérable. On voit que la situation est préoccupante depuis des années déjà. Nos concitoyens s’en faisaient l’écho, mais n’étaient pas entendus. Une tendance baissière lourde était en marche, mais cela ne soulevait pas de réactions appropriées. Il ne faut donc pas s’étonner que la France pousse plus loin l’avantage.
Ce chiffre de 50% n’est pas le fruit du hasard. On peut en déduire que c’est un minimum incompressible car il recouvrerait des bénéficiaires “utiles”. Ce serait, entre autres, ceux qui contribuent d’une manière aussi infime soit-elle à la production matérielle et immatérielle en France. La catégorie dite “personnes à risque” est filtrée au microscope. Le rapport global coût/avantage entre les dizaines de milliers de visas “utiles” et le désavantage du nombre contesté d’irréguliers est largement avantageux pour la France.
On a bien compris que la décision française, d’emblée mise sur la place publique, l’a été à des fins de politique intérieure. Intervenant à quelques mois de l’expiration du mandat présidentiel, cette décision unilatérale était une façon de déguiser une sanction politique sur l’ensemble. En tous les cas, elle constitue un indice sérieux d’une chute du niveau de confiance mutuelle.
L’acte posé a été calculé dans un contexte politique phagocyté par l’extrême droite. Dans ce contexte, il est difficile d’entrevoir une issue d’ici à l’élection présidentielle en France l’année prochaine.
En cette affaire, le gouvernement français a mis dans la balance deux problématiques distinctes. L’octroi des visas, d’une part, et la réadmission des irréguliers, d’autre part. Le premier volet relève de sa seule souveraineté et n’est pas matière à négociation. C’est un levier actionné en considération des seules appréciations politiques internes et circonstancielles. Cela signifie qu’il n’est pas lié par une quelconque obligation de relever le quota des visas, quand bien même le gouvernement algérien rapatrierait des irréguliers.
Le volet de la réadmission des irréguliers est quant à lui un sujet de négociation. Des arrangements cristallisés dans un protocole bilatéral conclu en 1995 font l’objet d’un suivi de sa mise en œuvre. Ce suivi est souvent tributaire des aléas politiques et suppose un certain niveau de confiance et de compréhension mutuelle pour une application loyale.
La donne change quand le contexte se dégrade sévèrement, que l’on surajoute unilatéralement les “indésirables”, les “suspects”, “les fichés”, “les radicalisés”, “les déchus”, “les terroristes potentiels” et ainsi de suite, a fortiori dans un contexte préélectoral exacerbé. De notre côté, une certaine prudence à coopérer sur les irréguliers risque de se transformer en volonté délibérée de geler le dossier. Dès lors, les positions se figent et l’impasse perdure.
On peut se poser la question de savoir qui gagnerait et qui perdrait en cette situation. De toute évidence, les premiers perdants sont les millions d’Algériens qui encaissent de plein fouet l’accumulation des contentieux bilatéraux. Les dimensions humaine et humanitaire sont reléguées au second plan. Nos concitoyens établis en France risquent d’être en butte à des difficultés administratives accrues, tant il est vrai qu’en situation de tensions le service consulaire, lui-même dépendant de la coopération avec les autorités locales, va perdre de ses moyens.  L’ironie de cette décision gouvernementale est que ce seront in fine les extrémismes politiques qui vont gagner plus d’écoute.
Tous ces facteurs récents, conjugués à des contentieux anciens, accentue le cycle du déclin des relations bilatérales dans leur globalité. Aussi, le traitement au plus près de ces dossiers, dont l’impact politique et le retentissement sont considérables, s’impose comme un impératif diplomatique de premier ordre.

La voie du dialogue est très étroite
En réalité, la dégradation de la gestion des flux humains a été amorcée dès l’entrée en vigueur des Accords d’Évian. Aussi inattendue que cela puisse paraître, la dernière décision française suit un fil conducteur.
Les aléas politiques internes respectifs, ainsi que les tensions bilatérales ont progressivement vidé de son sens le principe de la libre circulation posé dans ces Accords. Le principe établi (“Tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre la France et l’Algérie”, et “les ressortissants algériens résidant en France et notamment les travailleurs auront les mêmes droits que les nationaux, à l’exception des droits politiques”) a été rendu obsolète sous la pression du flux migratoire. Un contrôle des entrées fut instauré. La France prit la décision de suspendre l’immigration. Un premier accord signé en 1964 posa le principe du contingentement. L’administration française s’étant donné des prérogatives unilatérales dans sa mise en œuvre, cet accord fut 
dénoncé l’année suivante par notre gouvernement.
Des nouvelles négociations aboutirent à la signature de l’accord de 1968 “relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles”. Celui-ci fixa un nouveau régime migratoire. Il établissait la distinction entre le touriste qui n’a pas l’intention de s’établir et le travailleur admis sous condition. Au fil du temps, des renégociations et des pratiques administratives unilatérales, ce régime dérogatoire a été poussé vers l’alignement sur le droit commun. En parallèle, un régime de 
délivrance des visas instituant le principe du quota, à des conditions sans cesse plus restrictives, s’est imposé. Les Algériens n’ont eu d’autre choix que d’exploiter comme ils le pouvaient les ouvertures qui survivaient dans les dispositifs pour pouvoir se déplacer ou s’installer régulièrement. Cela a conduit à un nouveau serrage des verrous, et aussi à opérer un choix dans notre gisement des hauts potentiels et des meilleures compétences. Dans la  balance des intérêts, on a sur les étagères un accord de 1968 vidé de sa pertinence, on subit une coupe sombre dans le quota de délivrance des visas et une volonté d’exporter des “encombrants”, en plus des irréguliers. 
Le plus singulier, c’est la mise en avant publique de la conditionnalité. Elle met en jeu la crédibilité politique de part et d’autre : qui fait un pas en arrière, ou un pas en avant vers l’autre, accepte d’assumer un risque politique.
La voie du dialogue est aujourd’hui très étroite. Trouver d’un côté un langage plus accessible et, de notre côté, se doter d’une doctrine plus intelligible pour préserver les intérêts des millions d’Algériens impactés par cet état de fait est un défi immense. Reprendre langue ne sera pas chose aisée tant les cartes ont été brouillées par un mélange détonnant d’approximations mémorielles, de lacunes historiques et de préjugés idéologiques. Sur l’ensemble de ces sujets, un grand savoir-faire est attendu d’un haut représentant en France en vue d’une inéluctable réinitialisation de dossiers complexes et imbriqués.
Enfin, il faut se rendre à une évidence : le baromètre électoral en France exerce une pression constante sur les relations bilatérales.
Cette pression est disproportionnée, elle conditionne en permanence l’agenda bilatéral et s’avère dévoreuse en temps et en énergie. Un jour ou l’autre, il nous faudra bien apprendre à transcender cette pression et à amoindrir l’exposition au marché politique français afin d’entretenir des rapports de voisinage équilibrés. Dans ce contexte général, et dans pareille perspective, cela signifie que les Accords d’Évian, qui servaient jusque-là de point de référence, ont atteint l’âge d’une retraite amplement méritée (bientôt 60 ans). Cela signifie qu’il est nécessaire de réinitialiser le logiciel bilatéral, de réfléchir à un accord diplomatique régissant les intérêts nationaux respectifs, de rafraîchir le crédit gravement altéré de notre représentation de première ligne. 
Une entreprise qui devrait être sous-tendue par une hauteur de vue politique élevée, enveloppée dans une fraîcheur d’esprit et éclairée par une grande lucidité géopolitique ; une entreprise qui devra promouvoir le respect des souverainetés, les valeurs respectives, ainsi que le respect mutuel. Pareil défi fut relevé par les hommes des Accords d’Évian qui étaient jeunes, d’une lignée d’hommes en phase avec leur temps. Ils ont été à la hauteur du moment et des événements. Il s’agit de rééditer leur historique performance politique et diplomatique à laquelle nous sommes redevables.

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