Contribution

Discours abscons et stérilisants et impérieuse nécessité d’une norme

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Iddir Ahmed ZAID Publié 13 Octobre 2021 à 20:04

par : IDDIR AHMED ZAID
UNIVERSITÉ MOULOUD-MAMMERI

À  partir  du  moment où des  intellectuels  jouent  avec  des  notions, des abstractions, déconnectées, en quelque sorte, de toute vie réelle, moi je trouve que le jeu devient gratuit, inutile, et peut-être même un peu malfaisant, dans la mesure où les gens qui ne sont pas avertis peuvent ajouter foi à des conclusions qui ne sont pas fondées, par exemple, tout simplement parce qu’elles ont été dites par un intellectuel que l’on considère comme tout à fait valable et plus renseigné qu’un autre. M. Mammeri 

Alors que partout ailleurs, l'heure est à la recherche des voies et moyens à mettre en œuvre pour la sauvegarde des langues et cultures dites menacées, ici on s'évertue à entrelacer les ficelles d’une nasse technico-idéologique pour piéger et dévoyer la promotion du berbère au nom de dogmes révolus, de la constitutionnalité et de présupposées vertus de la suprématie d'une linguistique pervertie d’experts-spécialistes protéiformes, auto-improvisés incontournables dans le champ des études berbères. Leurs continuelles élucubrations ont fini par les ériger en autorité de régulation face à la crédulité de militants sincères et simples citoyens qui croient naïvement en leur langue et à son développement prochain. En réalité, ces spéculateurs zélés du destin de la langue berbère et de la berbérité, habitués des cénacles et cabinets feutrés, méconnaissent cette langue et ses capacités. Ils croient plutôt en son fragile devenir, espérant ainsi s’interposer en saints-sauveurs détenteurs de la fiole du breuvage magique des grands jours et que, sans eux, il n’y aura point de salut pour cette relique impotente de l’Histoire. Leurs pâles copies de théories révolues, aux antipodes d'une vision objective, éclairée et constructive, nourries par leurs régurgitations médiatiques récurrentes, conjuguées aux fréquentes mutations de la qualité de leurs titres universitaires et spécialités, dignes d'instincts et variations caméléonesques, démontrent on ne peut plus leur inaptitude à disserter sur les réalités intrinsèques du berbère. Ils font plutôt preuve de gredineries et transactions inavouées au risque de sacrifier sur l'autel de la cupidité et de l'hypocrisie manifestes le futur d'une valeur civilisationnelle tout en discréditant leurs propres personnes. L'outrecuidance démesurée à se prononcer sans vergogne sur des questions pertinentes relatives à l’aménagement de cette langue et à assener des réponses d'une fragilité déconcertante comme vérités absolues et indiscutables au nom de compétences et de légitimité autoattribuées exprime l’insatiabilité de leur orgueil à se prendre pour l'hélice du moulin qui distille la farine de la berbérité et la quintessence de la linguistique berbère en particulier et de la linguistique générale dans sa globalité. Prétendant hériter de la résolution des binocles des F. de Saussure, E. Benveniste, A. Meillet, N. Chomsky, R. Jakobson, W. Labov, L. Hjelmslev et autres linguistes de renom, dans la finesse de leurs analyses, ils excellent dans l'art de biaiser le profond sens des débats en les ramenant à une superficialité assassine par un comparatisme aveugle non au fait des réalités et spécificités intrinsèques du berbère qui constituent autant de ressources et leviers potentiels à l’appui de sa promotion et son développement. En effet, celle-ci est riche de son extension géographique et, pour reprendre M. Mammeri, elle comporte en elle un élément irremplaçable en sa facilité d’invention, son pouvoir de forger des formes nouvelles de penser, de sentir, de vivre et de mourir… ce que l’homme veut donner de l’existence. Par cela, il n'y a pas une parcelle de cette étendue naturelle qui couvre plus d’une dizaine de millions de km2, même si c’est à l’état disséminé, qui ne porte un toponyme ou des micro-toponymes berbères, il n'y a pas un fauve qui court et chasse sur l’immensité de ce territoire qui ne soit nommé en berbère, il n'y a point de variété ou d'essence floristique de cette vastitude qui ne soit dénommée en berbère, il n’y a pas de ruisseau ou sillon de rivière coulant dans ses contrées qui ne soit agrémenté d’un nom berbère. 
Plus haut dans la voûte céleste, nombre de constellations dont les étoiles scintillent et ornent le firmament des nuits sahariennes du Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry, portent des noms berbères même si parfois ceux-ci sont assimilés maladroitement en noms d'origine arabe, par des confusions qui courent encore de nos jours. Dans le registre onomastique, il serait improbe de ne pas relever l'originalité du profond système anthroponymique berbère ayant cours dans le nord de l’Afrique, travesti également par la traduction et la fixation maladroites des puissances dominantes, la grande œuvre d’Ibn Khaldoun, à travers sa volumineuse Histoire des Berbères, est là pour en témoigner. Le reste de la percutance de la langue berbère est évidemment dans sa richesse et sa diversité lexicales et dans ses capacités créatives. 
De ce fait, elle n’est ni cette misère à la merci de l’Histoire et des langues auxquelles elle s’est frottée ni la proie à un statut d’infériorité déclaré, et encore moins à jouer le rôle et tenir la place d’une langue de suppléance. Faut-il rappeler que dans ce champ si important pour son développement et ses aptitudes à faire face à l’usage scientifique, le berbère dispose de paradigmes dérivationnels et compositionnels diversifiés et pertinents, contrairement à... certaines langues qui demeurent atrophiées en l’absence de schèmes spécifiques de composition nominale, sans compter sur l'immuabilité et la constance de son système syntaxique, qui a même généré l'assise à de multiples parlers et dialectes régionaux ou locaux formellement et lexicalement arabophones. Enfin, le berbère est porté et supporté par son être philosophique substantiel repérable en quelques points d’affleurement de l’histoire berbère qui apparaîtraient, pour reprendre M. Mammeri, en révélateurs d’une continuité profonde et donc en instruments d’une plus grande intelligence de l’histoire du Maghreb. Loin d’être le fait d’un hasard, ces singularités émergent d’un continuum plusieurs fois millénaire qui a façonné la pensée de personnalités historiques incontestables et l’esprit de leurs productions devenues des référents, voire des invariants, de l’universalité après avoir contribué à l'essor des civilisations du bassin méditerranéen. Dès lors, pour pénétrer dans le champ de la spéculation et de la légitimation d’une démarche et d’une voie au développement du berbère, faudrait-il être outillé d'atouts en la matière et avoir pénétré dans la puissance de sa diversité, avoir acquis et possédé ces minimas de connaissances de son riche et étendu spectre et avoir opéré et jaugé la métrique de ses variations et de leur ampleur à interférer vers la convergence ou la divergence de ses segments régionaux pour ne pas parler de variantes, qui reste un vocable-piège connoté, empli de préjugés et présupposés contraignants pour sa future dynamique promotionnelle. Par ailleurs, il n'est point de langue née avec une norme, il n'est point de langue qui n’ait engendré de variations et de variété, à l'instar de tous les systèmes naturellement développés et évolués. Il n’échappe à personne que tout est fait d'ordre et de variations, de différences et de différenciation, y compris la matière, l’être humain, la nature, la Terre et autres planètes et l'Univers lui-même. Sans cela, tout ne serait que chaos. Le système linguistique berbère possède son propre appareil de lois de dérivation et ses propres schèmes et paradigmes morphosyntaxiques d'où peuvent, naturellement, émerger la régularité et la norme. À ce titre, il s’agit d’un système complet susceptible de nourrir une norme. 
D'ailleurs, si tel n'était pas le cas, la langue soutenue par ce système ne serait pas là, elle serait morte de son incapacité à produire, de son improductivité et de tarissement puis de phagocytose par les langues des grandes civilisations. Elle aurait perdu sa vitalité et n'aurait donc jamais pu rivaliser et survivre aux fortes interactions avec les langues des invasions portées et supportées par de puissants empires expansifs à souhait. Mais qu’en est-il justement de ces langues à tradition scripturaire ? Et comme disait M. Mammeri la question la plus pertinente est par quel miracle le berbère a-t-il survécu à sept invasions majeures d’une rare férocité durant des siècles et des siècles sans que ses structures ne soient fondamentalement altérées ? Extraordinairement, sa fabrique a toujours continué à produire des mots, du sens et de la pensée profonde. Le problème n'est donc pas de discuter si le berbère est susceptible d’être envisagé comme langue à part entière dotée d'une norme ou d'être apprêté sous forme de conglomérat d’idiomes diffus étanches les uns aux autres et chaque tribu de locuteurs devant agir à sa guise comme elle l'entend, mais la problématique posée à l’heure actuelle est de réunir les voies et moyens nécessaires et d'agir objectivement dans des cadres appropriés, sans complexes et condition aucune, pour doter cette langue du caractère opérationnel dans tous les espaces et institutions de l'État quels qu'ils soient, dans un pays où elle est en usage depuis des lustres.

Les préalables démagogiques, opinions et avis de toutes sortes et de tous acabits des uns et des autres n’engagent que leurs auteurs, du moment que le caractère officiel, s'il en est réellement un, ôte toute place et doute à la spéculation et idées paralysantes à effet retard qui consolident souvent le statu quo, sinon mènent à la ghettoïsation, au figement puis à la ruine. Dès lors, il s'agit d'agir et d’acter de manière performative les attendus du processus de consécration du caractère officiel du berbère dans ses espaces naturels et non de détricoter les construits et constructions positives déjà réalisés spontanément ou par des volontés qui en ont fait leur raison d'exister. Ce qui est attendu, c'est de faire de l'usage à bon escient de la connaissance et des expériences des uns et des autres, un gué à la formalisation d'une norme issue des ressources propres au berbère pour le hisser au statut devant être aujourd’hui le sien. 

Aucune langue au monde qui sert la science et le développement n'a échappé à cette voie et cette démarche dans toutes ses étapes. Vouloir inscrire le berbère dans une image d’épaves multiples perdues dans l’océan nord-africain et que l'on doit revisiter séparément dans leurs petites îles, c'est admettre une stratégie dispersive et vouer à l'échec cet élan déjà bien engagé pour l’amorphiser et le reléguer au nom de la science et de l’idéologie au statut de broutilles linguistiques et sabirs qui ne couvent en fait que dans l'esprit et les théories de leurs descripteurs qui continuent à les considérer comme de simples objets de “leurs présupposées recherches”. Le berbère est bien là dans toute sa quintessence et puissance millénaires, le tout est de mettre en œuvre les voies et moyens de son développement en l'extrayant à la noirceur de ce cliché dans lequel on continue sciemment à le confiner. En tant qu’instrument de communication et de science, toute langue a besoin d’une certaine distance vis-à-vis de son vivier naturel que sont les usages courants, les idiomes, parlers et dialectes qui l'alimentent en permanence et constituent le bassin de sédimentation et la marque incontournable des productions et autres naissances spontanées. Cette distance constitue évidemment la marge des modifications, interventions et créations voulues et volontaires mais contrôlées, conformes aux schèmes de production de la langue pour répondre aux évolutions dans des champs innovateurs ou non embrassés par le spectre lexical ou terminologique de cette langue. C’est ce que l'on appelle techniquement les néologismes qui souvent sont l'apanage de spécialistes avisés tant dans leur création que dans leur usage. Ils concernent cette population d'initiés et très peu ou pas le commun des locuteurs. Cette structure bipolaire ou en deux stocks distincts du champ lexical n'a rien de gênant et de perturbateur de l'ordre linguistique commun ou ordinaire et pas plus de l'intégrité du système linguistique. Il est brandi comme déficit et obstacle à chaque fois qu’il s’agit du berbère, poussant certaines réflexions jusqu’à proposer un processus de dé-néologisation et de dé-tricotage du métalangage créé pour sa description et son enseignement. 
On sait pertinemment que l'écart entre les produits de la norme et le stock commun du système linguistique est tout à fait ordinaire et caractéristique des langues du monde à l’œuvre dans le champ scientifique. Alors pourquoi stigmatiser le berbère et le priver de ce caractère évolutif indispensable à sa remise en selle dans ses espaces les plus naturels ? À titre d’illustration et pour rester dans le champ lexical, les taxonomies des registres de la faune et de la flore démontrent combien les procédures utilisées étaient précises et significatives, quand bien même on ne disposerait que de corpus restreints qualifiés d'archaïsmes par les linguistes. 
Dans certains de leurs aspects descriptifs, ils n'ont rien à envier aux procédures de dénomination gréco-latines. Alors il suffit de se réapproprier à la fois ces termes et les schèmes qui ont prévalu à leur production, même si cela n’a pas l’air d’être dans les goûts et les préoccupations préliminaires de nos chers spécialistes et experts qui veillent au destin de notre langue. En effet, dans la logique actuelle de l’officialisation balbutiante du berbère, visible et lisible à l’échelle symbolique pour l’instant, l'objectif majeur ne semble pas orienté vers son plein développement à l'instar de tous les autres champs de la vie nationale, mais de l'enchâsser dans une trappe de neutralisation, pour l’extraire de toute velléité de revendication et de contestation. 
Comme son corollaire Yennayer, le berbère risque d’être figé dans le cocon de l'officialité des occasions et de la stérilisation programmée des rites de festoiement et commémorations à la suite de sa consécration. Ce qui expliquerait apparemment l’agitation effrénée et l’état excité des spécialistes-experts protéiformes qui semblent avoir contribué à la pose de pièges à effets différés à la fois dans la formulation des articles de la loi fondamentale du pays relatifs aux aspects définitoires du statut du berbère dans ce schéma mosaïque de variantes et ceux de la loi relative à la création de l’académie algérienne de la langue berbère qui a pour mission majeure et délicate de mettre en œuvre les contenus de ces articles. 
Mais faut-il rappeler enfin que le berbère n'est pas un agrégat de langues qui lui sont historiquement antérieures et qui l’ont généré par ségrégation ou accrétion à l'instar de certaines langues comme le français, l'anglais et bien d'autres langues du monde, elle est l'une des langues mères de l'humanité. Ce qui constitue en soi un atout en termes d'intégrité et de potentialités de régénération de son système constitutif tout en lui ayant conféré stabilité et résilience à transparaître facilement dans le champ linguistique national et nord-africain en général. 
Du coup, divergences et variations ne sont qu'apparences superficielles, essentiellement phonétiques et lexicales, comme l'ont prouvé les travaux sur l'intercompréhension, les lieux communs étant plus prépondérants et les contacts entre locuteurs de différentes aires linguistiques, même éloignées les unes des autres, étant aisés en termes de communication. La norme déjà engagée doit provenir de là. Dès lors, il est devenu plutôt urgent de méditer la fulgurance des travaux de Mouloud Mammeri et des linguistes berbérisants dont l’utilité, la pertinence et la réputation sont transversales aux frontières et barricades humaines, politiques, dogmatiques et idéologiques. Il est grand temps que la masse critique atteinte par cette accumulation du savoir et des connaissances sur la langue berbère soit mise décemment dans l’équation de son réel développement. L’heure n’est plus aux supputations et dissertations corrosives, d’autant plus que la somme des travaux cumulés dans divers registres du berbère ne pourra jamais être égalée eu égard à sa méconnaissance par une bonne partie des prétendants à son aménagement selon leur impitoyable vision méandreuse et émiettée, quelle que soit la puissance des outils d’observation, d’analyse et de consignation des données dont on dispose aujourd’hui. Les états de langue décrits et consignés dans ces nombreux et anciens documents sont témoins de pratiques et réalités aujourd’hui érodées, occultées, si ce n’est, carrément laminées. 
Du coup, spéculer davantage sur la nécessité ou la pertinence d’une norme pour le berbère équivaut à une perte volontaire de décennies supplémentaires et à l’induction d’une nouvelle rupture dont les effets et les conséquences ne sont certainement pas évalués par la plasticité de la métrique des adeptes de ce type de débats stérilisants. L’intellectualité doit s’abreuver de la sincérité et de la vérité, même s’il est connu que la vérité n’est pas toujours facile à dire ; mais comme le veut un proverbe de chez nous : elle est comme l’huile, elle se venge toujours et finit par refluer. Vouloir échapper à l’instauration d’une norme pour le berbère dans la perspective de sa réelle officialisation, c’est verser dans le folklorisme et la folklorisation, se mentir à soi et mentir à la collectivité entière. 
Enfin, l’utopie de l’enseignement dans des langues maternelles brutes est destinée à maintenir les langues dans un statut d’infériorité et de réserves, notamment dans les États africains, meilleur instrument d’aliénation et de domination. Y a-t-il une langue développée au monde qui n’ait pas sa norme ? Et faut-il rappeler qu’en premier ressort, la langue appartient à ceux qui la vivent et la pratiquent au quotidien et non aux spéculateurs, prétendants à la primordialité de leurs sciences des langues, qui en font des hobbies politiciens en aliénés crochus de la servitude programmée.

 

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