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Hamou Mansouri, La Noblesse de la Médecine

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Djamel Ferdjallah Publié 28 Juillet 2021 à 18:36

 Par : Djamel Ferdjallah 
                               ex-député du RCD

Mohamed Mansouri, plus connu sous le nom de Hamou, est parti rejoindre les étoiles. Un ami d’un demi-siècle. Ensemble, nous avions partagé tant de souvenirs. Il n’y a pas un événement familial, heureux ou malheureux, où l’un ou l’autre ne soit pas associé. Nous avions vu naître et grandir nos enfants respectifs jusqu’à leur mariage. 
Après quelques jours passés en réanimation, la mort est venue emporter son âme vers des cieux plus cléments. Les mots ne suffiront certainement pas pour retracer la vie et l’œuvre de ce praticien de la santé aux qualités impressionnantes. Issu d’un quartier populaire défavorisé de Béjaïa, il n’était pas évident de connaître une carrière professionnelle aussi fulgurante, quand on a vécu très jeune les privations et les difficultés propres aux enfants du peuple. 
Armé de sa seule foi et servi par une intelligence prodigieuse, Hamou a toujours su trouver les ressources appropriées pour transformer la contrainte en défi à relever.
Après de brillantes études en médecine, il va s’affirmer comme l’un des chirurgiens les plus doués de sa génération. Celui-ci affûtera ses armes auprès de son patron, le professeur Daoud, à l’hôpital de Rouiba, avant de rejoindre son bercail bougiote au début des années 1980. À cette époque, l’hôpital Franz-Fanon, seule institution de santé pour toute la région de la Soummam, accusait un déficit en médecins spécialistes effarant. Il ne tardera pas à s’imposer comme chef du service de chirurgie générale, en remplacement du Dr Khelifi, qui était indéboulonnable à ce poste une décennie durant. Entouré de quelques chirurgiens hongrois, présents dans le cadre de la coopération technique, ces derniers vont lui donner le titre élogieux de patron. Une qualification d’habitude réservée aux professeurs chefs de service. 

Pour dire que sa compétence et son charisme transcendaient largement ses diplômes. C’était la période de grâce de l’hôpital Franz-Fanon, car, à côté du Dr Mansouri, d’autres jeunes loups de la médecine avaient émergé. Ils ont pour nom, Ahmed Amrane, Farid Aoudia, Athmane Hamdi, Fethi Berrahou, Gasmi... respectivement chefs des services de gynécologie obstétrique, de médecine interne, de radiologie, de pneumo-phtysiologie, de neurologie. Une équipe de spécialistes compétents et résolument engagés dans une œuvre de redressement d’un système de santé pratiquement en agonie. C’est au moment où cette belle ambition commençait à donner ses fruits qu’une provocation est venue entraver cette heureuse embellie. Contre toute attente, le directeur du secteur sanitaire Abdelkader Irbah, à l’origine de cette salutaire réorganisation, venait de faire l’objet d’une mutation. Une décision qui avait provoqué la colère du personnel médical de l’établissement, suivie d’une grève des médecins spécialistes. C’était l’époque du parti unique ; ce genre de manifestation ne restait jamais impuni. Les premières mesures ne tarderont pas à tomber. Mansouri sera emmené manu militari vers Sidi Bel-Abbès pour effectuer son service national, les autres seront affectés de force hors résidence, à Souk Ahras, à Batna, etc. En un tour de main, tous les efforts consentis pour redresser le secteur dans la région venaient de s’évaporer, privant la population des services d’un corps médical et d’une organisation aux qualités indéniables.

L’engagement politique 
L’ouverture démocratique post-Octobre 1988 m’emmènera à m’engager au RCD. Dans un souci d’étoffer ce parti dans la ville de Béjaïa, je me souviens avoir pris contact avec Hamou à Franz-Fanon pour le convaincre de rejoindre notre formation qui était à ses premiers balbutiements. J’avais appris que le FLN, qui voulait redorer son blason, avait tenté de l’enrôler en lui faisant miroiter la promesse de conduire sa liste aux élections municipales de 1990. Je lui avais fortement déconseillé cette option en lui suggérant le projet novateur et sans concession du RCD. Convaincu par mes arguments et surtout par l’amitié et la confiance qui existaient entre nous, il finira par nous rejoindre, pour former le groupe des premiers fondateurs du parti à Béjaïa. Aux élections locales de 1990, il ratera de peu la majorité qui aurait fait de lui le premier maire de Bougie à l’ére du multipartisme. On apprendra plus tard que le FLN, qui était rompu aux manipulations des scrutins, nous aurait privé de la victoire. 

Suivra ensuite un long compagnonnage politique au sein du RCD et du MCB. Hamou exercera plusieurs responsabilités organiques, dont celle de président du bureau régional, de membre du conseil national, etc. Il sera le cofondateur de l’hebdomadaire L’Écho du Centre. À chacune de ces responsabilités, il témoignera d’un engagement et d’un tempérament de fer. Il tranchera dans les conflits avec la même dextérité que lorsqu’il maniait le bistouri. Je me rappelle d’une réplique qu’il m’avait assénée, lorsque j’avais attiré son attention sur les conséquences d’une décision qu’il avait prise sur le vif. Il m’avait rétorqué : “Dans mon métier, lorsque je diagnostique un mal incurable, j’utilise le bistouri.” C’est aussi cela Mansouri, un homme au jugement difficile à démentir, qui ne connaît pas ce que demi-mesures et indécisions veulent dire.

Nous avions vécu ensemble l’angoisse de la décennie noire, où nous étions particulièrement ciblés de par nos engagements. Nous avions partagé la même liste du RCD aux élections législatives de 1997, où il jouera un rôle essentiel dans mon élection à mon premier mandat de député. Après son passage au secteur sanitaire de Sidi Aïch, le Dr Mansouri engagera un projet de montage de la première clinique privée dans la région de Béjaïa. L’actuel établissement Le Rameau d’olivier a été son œuvre. Il finira par s’en désengager, contraint et forcé, après des démêlés avec les nouveaux repreneurs, suite au retrait du principal bailleur de fonds, avec qui il avait entamé l’aventure. S’ensuivit une longue traversée du désert qui l’obligea à ouvrir un cabinet de consultation. Lui, l’orfèvre du scalpel, n’avait conçu cet intermède que pour mieux rebondir. Ce déclic salvateur va intervenir à la faveur d’un événement politique presque inattendu. On était en 2000, le RCD venait de prendre la redoutable décision d’intégrer le gouvernement où il hérita du ministère des Transports et de celui de la Santé. Faute de figurer dans la liste des ministres, je fus nommé premier vice-président du RCD. C’est à ce titre que j’avais demandé au nouveau ministre de la Santé, Amara Benyounès, et après avoir obtenu l’accord de Saïd Sadi, de désigner Hamou Mansouri au poste de directeur de la santé et de la population de la wilaya de Béjaïa. C’est ainsi que s’ouvrira une nouvelle carrière pour Mansouri. Après avoir écumé vaillamment les salles aseptisées des blocs opératoires, il se révélera comme un manager et un meneur d’hommes hors du commun. En l’espace de quelques mois, il fera du secteur de la santé à Béjaïa un modèle de gestion à suivre pour tout le pays.

Il réussira à mettre de l’ordre et de la discipline, aussi bien dans les établissements publics que dans le secteur privé. Il rendra à la notion de cabinet privé toute sa noblesse en l’extirpant des scories qui pourraient entacher sa réputation. Les inspections étaient régulières et impartiales. Un jour où je rendis visite par hasard à un médecin, qui n’était autre que l’ami intime de Hamou, je le trouvais en train de s’échiner en personne à des travaux d’assainissement à l’intérieur de son cabinet. Étonné, je lui demandais ce qui expliquait son acharnement à cette besogne. Il m’apprit qu’il allait faire l’objet d’une visite de contrôle des services de la DSP dès le lendemain. Mi-sérieux, mi-amusé, je lui rappelais que Mansouri étant son ami, à ce titre, il ne risquait rien quoiqu’il arrive. Le lendemain, l’état des lieux ayant été jugé inapproprié, il sera parmi les premiers récalcitrants à subir la rigueur de la réglementation. Ainsi soit-il.

Fort du bilan largement positif qu’il avait accompli à Béjaïa, il sera appelé par le ministre de la Santé à venir au chevet du CHU de Tizi Ouzou. En un temps relativement court, il fera de cette structure hospitalière l’une des meilleures du pays. Preuve en est, cette reconnaissance citoyenne unanime qui s’était emparée de Tizi Ouzou, lorsqu’il avait fait l’objet d’une mutation. Son départ ayant provoqué des manifestations populaires dans toute la ville. Il s’illustrera par ailleurs, à l’occasion des événements majeurs qui ont frappé le pays, par des opérations de sauvetage et d’assistance aux populations sinistrées, notamment lors du Printemps noir et des séismes de Beni Ouartilane et de Boumerdès. Dans cette dernière localité, il sera désigné coordinateur de toutes les opérations de secours sanitaires. Sa dernière destination sera l’établissement hospitalier universitaire d’Oran, dénommé EHU 1er-Novembre-1954. Un établissement énorme destiné à assurer des soins de haute qualité. Un mastodonte érigé sur une parcelle de 73 ha qui a englouti un budget faramineux pour sa réalisation. Entamé en 2003 par le défunt Redjimi, ministre de la Santé de l’époque, après de longues années de tegiversations, qui ont vu pas moins de quatre ministres se succéder, en vain, l’établissement n’ouvrira ses portes qu’en 2010 avec la nomination du Dr Mansouri à sa tête. Une gageure que seuls les hommes de la trempe de ce dernier peuvent relever. Là aussi, il fera étalage d’un savoir-faire remarquable, en élevant les instruments de gestion de cette institution aux normes internationales. Il dotera cette structure de 51 services de santé encadrés par des professeurs émérites triés sur le volet, soutenus par une administration de qualité. Avec une ressource humaine de 4 000 employés tous corps confondus, il a rendu possible l’ambition dédiée à cette structure, à savoir prodiguer des soins de haut niveau. Comme à chaque fois qu’il prend en main une structure, le Dr Mansouri laissera toujours son empreinte indélébile. 
À Béjaïa, il créera l’un des premiers Samu à l’échelle nationale. À Oran, il réussira à doter l’hôpital d’équipements de pointe, de même qu’il érigera le premier service médicalisé des urgences et de réanimation, Smur, un équipement mobile capable de ranimer sur place ou à domicile les cas d’AVC, d’infarctus ou autres urgences médicales. 
À l’ère de la pandémie de coronavirus, il mettra en place une stratégie de gestion de la crise, appelée circuit Covid-19. Elle consiste en un isolement quasi hermétique entre les malades de la Covid et ceux des autres pathologies. Un couloir destiné à éviter les contaminations en milieu hospitalier. L’opération est gérée par une cellule de crise, composée des chefs de service et des médecins dédiés à la lutte contre la pandémie. Ce comité se réunissant deux fois par jour. Le hasard ou la fatalité fera que notre cher Hamou succombera d’un AVC, conséquence d’une troisième contamination, semble-t-il, au coronavirus. De son passage réussi dans la capitale de l’Ouest, il gardera par contre cette amertume, lorsqu’un agent du CHU voisin avait posté sur facebook cette épitaphe raciste et infamante à l’égard de Hamou, exprimée en arabe dans ces termes : “Un établissement novembriste géré par un zouave.” Allusion à l’EHU qui porte le nom de la date du 1er Novembre 54 et à la qualité de Kabyle de son directeur.
Repose en paix, mon cher frère et ami Hamou, du sommeil éternel des braves, avec la nette satisfaction d’avoir servi ta patrie et tes concitoyens de la meilleure des manières. 
Tu resteras pour toujours l’incarnation de la médecine telle qu’elle est préfigurée par Hypocrate, Avicenne, Pasteur, Marie Curie Fleming et autres combattants de l’impossible.

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