Contribution

La solidarité est d’abord une “charité” pour soi-même

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Ali BENSAAD Publié 14 Décembre 2021 à 09:42

Par : Ali Bensaad
Professeur des universités

Cent millions de dollars, ce sont des clopinettes, même pas 1% des pots-de-vin perçus par Chakib Khelil, l’ancien ministre de l’Énergie. C’est d’ailleurs le renoncement au devoir de solidarité qui explique, pour une part, l’isolement de l’Algérie, comme l’a illustré Bouteflika qui a effectué sept voyages officiels en France – qu’il vilipendait par ailleurs à usage de l’opinion locale – et aucun voyage au Sahel qui constitue son arrière-base stratégique, au contraire du Maroc qui s’y est investi.”

L’aide de 100 millions de dollars octroyée dernièrement par l’Algérie à l’Autorité palestinienne a été diversement appréciée sur les réseaux sociaux. Certains l’ont contestée aux deux motifs – réels –, d’une part, de la corruption de l’Autorité palestinienne et, de l’autre, des nombreux besoins de la population locale que cette somme aurait pu contribuer à assouvir. 
Avant d’aborder ces deux questions, arrêtons-nous sur la réalité de l’importance attribuée à cette somme.  
Cent millions de dollars, ce sont des clopinettes par rapport aux sommes que consacrent quasiment tous les pays, y compris moins riches que l’Algérie, à l’action de solidarité internationale. 
C’est que les actes de solidarité sont aussi des actes géopolitiques qui participent du rayonnement d’un pays, qu’ils profitent plus au donateur auquel ils permettent de consolider une position géopolitique pour mieux défendre ses propres intérêts et parfois d’influencer le cours des événements chez les destinataires de la solidarité. 
Au-delà du principe juste de solidarité et de son effet retour en réseau de protection et d’influence du donateur, les actes de solidarité sont des investissements géopolitiques hautement rentables. C’est pour cela que des pays investissent dans la solidarité, y compris dans des pays et souvent, par ricochet, dans des mouvements qui leur sont hostiles.
C’est pour cela que les 100 millions de dollars algériens qui ont été donnés en une fois sont infimes par rapport à ce que donnent la France, l’Union européenne ou les États-Unis, chaque année, à la Palestine, alors même qu’ils sont les plus fermes soutiens d’Israël. C’est qu’ils ne peuvent se permettre de perdre la main dans une région stratégique. Dès son élection, Joe Biden, en homme d’État, est revenu sur la décision de suspension de cette aide prise par Trump le populiste. Il n’en est pas moins un soutien d’Israël, en bien plus efficace.
Cent millions de dollars, ce sont des clopinettes par rapport à ce que vont consacrer les États-Unis et les pays européens, dans les années à venir, à l’aide de l’Afghanistan gouverné pourtant par les talibans qui les en ont chassés. 
Cent millions de dollars, ce sont des clopinettes par rapport à ce qu’investissait, proportionnellement, l’Algérie dans l’action de solidarité internationale quand sa voix portait. Et sa voix portait justement parce qu’elle bénéficiait en retour du soutien de tous ces mouvements et pays qu’elle a fait bénéficier de sa solidarité. C’est ainsi qu’elle a pu, par exemple, entreprendre la nationalisation de son pétrole sans pour autant qu’il ait été facile de la transformer en paria et qu’elle a même été portée à la tête de l’Assemblée générale des Nations unies où, défendant le principe de rapports Nord-Sud plus équilibrés, elle a mieux défendu ses intérêts, y compris celui de son pétrole. Ce que l’Algérie a investi, par exemple, dans le soutien à Nelson Mandela, lui a été rendu plus qu’au centuple. Jusqu’à aujourd’hui et alors même qu’elle est de plus en plus isolée dans l’Union africaine, l’Algérie continue à bénéficier du soutien indéfectible de l’Afrique du Sud qui pèse lourd dans la géopolitique continentale.
Cent millions de dollars, ce sont des clopinettes, une somme infime comparée au seul montant consacré au soutien des prix ; cela fait à peine 0.003 à 0.005% de ce montant en fonction des années. Et pourtant, quand l’Algérie s’est détournée du devoir de solidarité, et cela au moment où son PIB et ses réserves de change connaissaient une particulière embellie, cela n’a pas pour autant profité aux couches et régions défavorisées au nom desquelles cette aide est contestée. Elles subissaient hier, comme aujourd’hui, la même marginalisation. Cet argent dont elles sont privées, c’est celui qui va à la corruption.
Cent millions de dollars, ce sont des clopinettes, même pas 1% des pots-de-vin perçus par Chakib Khelil, l’ancien ministre de l’Énergie. C’est d’ailleurs le renoncement au devoir de solidarité qui explique, pour une part, l’isolement de l’Algérie, comme l’a illustré Bouteflika qui a effectué sept voyages officiels en France – qu’il vilipendait par ailleurs à usage de l’opinion locale – et aucun voyage au Sahel qui constitue son arrière-base stratégique, au contraire du Maroc qui s’y est investi.
Le parcours personnel et la vie privée de Chakib Khelil sont une illustration vivante de l’autre facette du drame du peuple palestinien, pris en otage par des dirigeants corrompus. C’est le produit d’une lente dérive dans laquelle tous les pays arabes, dont l’Algérie, ont une grande part de responsabilité. Tous les dirigeants arabes – eux-mêmes pour la plupart corrompus – ont, sans exception, tenté d’instrumentaliser la cause palestinienne et de revêtir l’habit de sa légitimité pour masquer leurs dictatures prédatrices et pour s’octroyer un levier d’influence sur la scène moyen-orientale. Ils l’ont fait en usant auprès des dirigeants et militants des factions palestiniennes du bâton (allant de la privation d’aide jusqu’à l’élimination physique) et de la carotte. La corruption a été une des carottes qui a fini par créer toute une fange qui s’est instillée dans le mouvement palestinien. C’est dans ce marécage que barbotait celle qui allait devenir l’épouse de Chakib Khelil (Nadjet Arafat n’a aucun lien de parenté avec Yasser Arafat, simple homonymie). Ceux qui se ressemblent finissent par s’assembler. C’est ce travail de sape systématiquement et concurremment mené par tous les pays arabes qui a contribué à affaiblir le mouvement national palestinien et à lui substituer les islamistes, parfait repoussoir et alibi pour ceux qui, en Israël et en Occident, refusent le principe de deux États.
Beaucoup d’anciens dirigeants palestiniens sont aujourd’hui mobilisés par des pays arabes, en dehors de l’Autorité palestinienne, dans un autre jeu d’influences au Moyen-Orient comme le font, par exemple, les Émiratis avec l’ancien responsable des services palestiniens, Mohamed Dahan (Abou Fadi), dont ils ont fait un véritable pouvoir parallèle doté de moyens concurrençant l’Autorité palestinienne. Et d’une grande capacité corruptive. 
Le mouvement de libération algérien n’a pas été indemne non plus de luttes fratricides, de corruption et de détournement d’aides qui n’étaient pas méconnus par les acteurs internationaux qui, là aussi, ont cherché à les instrumentaliser, à l’instar de Nasser. Que serait devenu ce mouvement de libération et que serait devenue l’Algérie s’ils avaient été privés de l’aide internationale ? Et pourtant, c’est dans le prolongement de ce mouvement qu’un Bouteflika et un Chekib Khelil ont émergé.
L’essentiel de la corruption en Palestine comme en Algérie (qui, d’ailleurs, elle aussi reçoit une aide de pays occidentaux) ne se fait pas directement sur ses aides lesquelles, si elles ne sont pas fléchées sont traçables, mais par la fructification des positions de pouvoir dans l’affairisme.  Les vieux retraités de Sonatrach ont montré le chemin. Ne disposant que de pensions de vieillesse minables, ils n’ont pas hésité à mobiliser leurs maigres moyens pour réinventer des générateurs d’oxygène et venir en aide à une population abandonnée par son État face à la crise de la Covid, et alors même que la corruption a gangréné leur entreprise.  
Si le Hirak conteste le pouvoir algérien, c’est pour mieux défendre l’État algérien. 
Peuple palestinien et peuple algérien sont tous deux otages des Chakib Khelil arabes qui, eux, sont solidaires dans la corruption.
Il ne faut pas aussi laisser s’effondrer ce noyau d’un État palestinien qui peine à émerger et qui est tout autant encerclé par la répression israélienne, l’instrumentalisation des pays arabes et la corruption d’une partie de ses dirigeants.
Ce qu’on peut reprocher au pouvoir algérien actuel, c’est de s’inscrire toujours dans une vision instrumentale de la cause palestinienne, de ne s’être souvenu de la Palestine que parce qu’Israël est aux frontières de l’Algérie. La solidarité internationale ne peut être la roue de secours des faillites géopolitiques comme celle du pouvoir algérien, et le renoncement au devoir de solidarité finit par mettre sa propre maison en péril.

 

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