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LE SENS DE L’ENGAGEMENT PATRIOTIQUE

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Rédaction Nationale Publié 23 Janvier 2021 à 20:59

Par  : MUSTAPHA HADNI

Écrire  sur  l’histoire  du  mouvement  national  et  singulièrement  sur l’insurrection de Novembre  est une nécessité à cette  époque  qui se caractérise par les régressions et les reniements, derrière lesquels l’ordre mondial avance et met à rude épreuve la souveraineté nationale, pourtant acquise au prix de lourds sacrifices. L’occupation coloniale est une œuvre odieuse et abjecte, elle n’est que barbarie, pillage, tyrannie, répression, humiliation et asservissement. Nous ne cesserons jamais de rendre hommage à ceux et à celles qui se sont rangés sous la bannière de l’effort total de la guerre, pour reconquérir l’indépendance de la patrie algérienne.        

Hadni Mohamed Améziane appartient à cette génération qui fait l’épreuve du désastre. Il connaît la colonisation dans son atmosphère sanglante et son lot de blessures. La violence coloniale, qui inspirera et imprégnera tout son combat, il l’a subie dès ses tendres années : il n’a que douze ans lorsqu’il voit la tragédie de la disparition de sa mère et son renvoi de l’école après l’obtention du certificat d’études. Sa vie croise tôt le grand combat de la libération de l’Algérie. Il gardera jusqu'à son dernier souffle l’esprit de révolte contre l’oppression de son peuple et un amour immense pour l’Algérie. Il considère que c’est à sa génération qu’est dévolue la tâche de libérer le pays.

Cette cause à laquelle il donne toute sa compétence et son énergie est la période la plus intense de son combat pour servir corps et âme sa patrie. Il suffit d’interroger sa vie, son parcours et ses actes pour comprendre que le patriotisme le conduit aux formes les plus extrêmes du dévouement, de l’abnégation et du sacrifice. Il fut un lutteur intelligent et ouvert au vaste monde, qui juge qu’à l’action doit précéder la réflexion. Ceux qui l’ont approché furent honorés par sa grandeur, son engagement, son humanité et surpris par son émancipation et sa modernité.     

Son passé de militant commence à la fin de l’année 1940 par son adhésion au parti de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) pendant qu’il exerçait à l’hôpital Mustapha en tant que fonctionnaire administratif. Ces années d’engagement sont décisives dans la formation de sa conscience politique, elles le marquent profondément et façonnent sa vision politique : il se revendique de la tradition républicaine et démocratique. Toute sa vie durant, il gardera un souvenir impérissable de l’intensité, la richesse et la qualité des débats dans les structures. Il évoquait avec passion et nostalgie la présence d’une intelligentsia dans le parti : une pépinière d’avocats et d’intellectuels qui entretiennent une atmosphère élitiste et savante.        

À l’appel du 1er Novembre, il assume son choix stratégique de contribuer à la libération du pays. Il rejoint le Front de libération nationale (FLN). Son frère Hadni Saïd, militant au long cours connu sous le nom de Si l’Hakim et chef de région, le charge de la propagation du discours indépendantiste, du recrutement des sympathisants et de l’implantation du FLN dans la région de Fort National.

Il restera en Algérie jusqu'en 1956 ; deux années cruciales au cours desquelles il s’acquitte de cette mission avec courage et abnégation. À l’issue du congrès de la Soummam, il quitte le pays pour rallier le sud de la France, car les nécessités de la lutte sur le sol métropolitain imposent son affectation au sein de la Fédération de France du FLN, alors en voie de constitution.          

Il s’établit à Toulouse en septembre 1956. En compagnie de Mohamed Rezzoug, qu’il seconde dans la fonction de chef de région, ils constituent la première structure véritablement homogène qui assure une liaison sûre avec la plupart des cellules créées dans tout le Sud-Ouest. Au lendemain de l’arrestation de Rezzoug en janvier 1957, Hadni Mohamed Améziane prend la relève et lui succède dans les responsabilités du Régional*.Mûri dans l’épreuve et instruit des expériences de son engagement à l’intérieur du pays, il met son expérience et son intelligence au service de la Révolution. 

Au sein de l’émigration, très peu sont ceux qui sont au courant que la guerre de Libération nationale est l’œuvre du FLN. Face à l’hésitation encore grande de l’émigration à s’engager dans les rangs du front et à l’opposition d’hommes encore en adoration devant Messali, il fait usage de son fin talent oratoire. Ses interventions sont d’une grande qualité et d’une grande portée politique, elles sont d’une parfaite maîtrise et son argumentation est ciselée, convaincante et captivante.  

Il sillonne sans répit le sud-ouest de la France : de Perpignan à Agen, de Cahors à Pau où il structure, implante et enracine le FLN. Des mois d’efforts permettent la constitution, dans cette région, de noyaux suffisamment structurés et formés prêts à passer à l’action. L’invétéré Hadni Mohamed Améziane est étroitement surveillé par la DST, et les filatures deviennent permanentes et ostentatoires. En mai 1957, il est arrêté par la DST et est condamné à cinq (05) mois de prison ferme. Il est transféré à la prison de Toulouse où il purge sa peine. Tout au long de son incarcération, il subit des souffrances et des privations en tous genres.

Il est libéré en octobre 1957 et ressort aguerri, déterminé et décidé à en découdre avec le colonialisme. Il renouera les contacts avec le FLN et reprendra ses fonctions de régional. Le CCE donne l’ordre à la Fédération de France du FLN d’ouvrir le second front pour élargir le champ du combat, contraignant ainsi le gouvernement français à accroître ses dépenses militaires et disperser ses forces, en maintenant une partie de son armée sur le sol métropolitain et réduire ainsi les troupes opposées aux moudjahidine de l’intérieur.  

Hadni Mohamed Améziane organise et prépare sa région, il met toute sa force et son savoir-faire politique pour la réussite de cet événement majeur de l’histoire de la Fédération de France : l’exécution du second front. Le comité fédéral fixe le début de l’offensive armée du FLN en France au 25 août 1958 à 00 heure. Juillet 1958, un mois avant le passage à l’action armée par l’Organisation spéciale*, il est interpellé et à nouveau arrêté par la DST.

Il est condamné cette fois à dix mois de prison ferme et est assigné à la prison de Toulouse. Du fond de sa cellule, il conteste à la fois les conditions de détention et le régime pénitentiaire : il revendique le statut de détenu politique. Devant le refus de l’administration du pénitencier d’accéder à ses doléances, il recourt à de fréquentes grèves de la faim. Après une ultime action de privation, son état de santé se détériore, ce qui nécessite son transfert à l’hôpital.

À l’issue de contrôles médicaux approfondis, le personnel médical diagnostique une grave pleurésie, et le maintient ainsi dans l’établissement hospitalier.  À la fin de sa convalescence, il est transféré dans un autre pénitencier, celui de Liancourt, dans l’Oise, où il séjournera jusqu'à son élargissement en mai 1959. Il en ressortira amoindri, démuni physiquement et avec de graves séquelles.

Néanmoins, il continuera son engagement au sein de la Fédération de France jusqu'à l’indépendance.  Il pose pour la première fois, après cinq ans d’exil et de combat sur le sol français, le pied sur la terre algérienne. Il vit ce nouveau départ avec enthousiasme. Une sorte de regain juvénile l’anime, malgré les conditions de détention et les épreuves subies dans le milieu carcéral.  

L’Algérie est entrée dans une nouvelle ère, celle de la construction. Il s’engage dans le processus de l’édification nationale. C’est un homme décidé qui se présente en 1967 à l’élection municipale, dans la circonscription d’Irdjen, daïra de Larbâa Nath Irathen. Pendant la campagne électorale, il fait une démonstration de son habilité politique et séduit par son talent oratoire. Il est élu à la majorité et devient ainsi dans l’Algérie indépendante le premier P/APC élu au suffrage universel de cette circonscription (1967-1971).

Sa conscience est absorbée par une pensée profonde : la construction de l’Algérie nouvelle. Cette dernière mobilise toutes ses énergies et son intelligence. Avec sagesse et capacité, dans le contexte nouveau de l’indépendance algérienne, il bâtit et construit sa circonscription. Son mandat est jalonné par la réalisation de projets d’utilité publique : l’édification d’infrastructures éducatives, de routes, de structures sanitaires, les raccordements en eau potable et traitement des eaux usées. Il laisse à jamais une empreinte indélébile dans ce département.   

Hadni Mohamed Améziane est un patriote algérien de l’ère moderne. Il est acquis à l’idéologie des lumières et s’attribue ainsi un rôle à la fois avant-gardiste et pédagogique vis-à-vis de la société. C’est la vision de l’émancipation et du progrès qui est à l’œuvre dans son action politique. Prendre en charge les besoins du citoyen, l’aider et le comprendre de telle manière que de cette nouvelle situation jaillisse un citoyen nouveau. Tel est, en effet, son projet. Afin de le réaliser, il cherche, sans cesse, à mettre en place les leviers d’une transformation sociale. 

Il ne voit pas dans l’insurrection de novembre uniquement une guerre d’indépendance, mais une Révolution : le but n’est pas seulement la création d’un État national, mais également le bouleversement en profondeur d’institutions inégalitaires héritées du colonialisme, visant une Algérie ouverte à tous, émancipatrice, égalitaire et propice à tous les génies. Pour lui, cette Révolution doit produire une nouvelle Algérie où tout est à réinventer, où l’ordre social nouveau accompagnera de nouvelles valeurs. Sans relâche, il œuvre dans sa région à l’émergence de conditions socio-historiques et à la production d’une culture progressiste ancrée politiquement.

Il énonce sa foi dans un processus d’égalisation des conditions de mutations en cours qu’il inscrit dans une perspective à long terme. Il lutte contre les idéologies et les mentalités stérilisantes, rétrogrades et sectaires. Il plaide pour la promotion de l’homme, de la culture et de l’éducation. La libération de la femme par l’instruction et l’égalité dans l’héritage est un axe majeur dans son action politique, qu’il finit par imposer et devenir ainsi un cadre de mobilisation pour la génération post-indépendance.    

Dans ses différentes conférences et interventions publiques sur l’histoire d’Algérie, il parle avec émotion du combat libérateur ; il est écouté avec attention. Il considère que l’indépendance de l’Algérie est la résultante de l’aboutissement d’un processus historique, issu de la maturation de la conscience politique nationale.

Le mérite revient, avant tout, aux sacrifices de plusieurs générations de militants, qui se sont étalés sur des décennies d’engagement patriotique. Le principe fondamental de la vie politique pour le militant aguerri qu’il incarne est qu’il ne faut rien céder sur la souveraineté nationale et que l’obligation politique, éthique et morale d’un militant est de s’engager avec détermination pour les principes, sans concessions ni compromissions.        

Hadni Mohamed Améziane est un esprit éclairé, d’une intelligence vive et ayant de la rectitude dans son comportement. Son action est le reflet de ses convictions dont les actes suivent les paroles. Pour l’ampleur et l’efficacité de son action au service de son pays, il est très écouté, respecté, apprécié et consulté par ses concitoyens.Il fait son devoir avec conscience et honneur, d’abord pour la libération du pays du joug colonial, et ensuite pour l’édification nationale.

Il tient une place particulière dans les esprits et les cœurs de ceux qui l’ont connu, ils en gardent le souvenir d’une personnalité hors du commun, qui reflète l’image d’un militant qui ne tronque jamais ses principes et ses idéaux, et d’un homme émancipé, dévoué et aimant profondément son pays et son peuple. Son exemple demeurera une source d’inspiration et un repère pour les générations à venir. À ses enfants, il lèguera sa vertu cardinale : l’amour de la patrie. 

 

Sources
● Les récits de la mémoire : Tizi Ouzou, le destin d’une ville et sa région de Salah Mekacher, secrétaire du PC de la Wilaya III. Éditions El-Amel. 
● Combat et solidarité estudiantins : L’UGEMA (1955-1962) de Clément Henri Moore. Éditions Casbah. 
● La 7e Wilaya : La guerre du FLN en France 1954-1962 d’Ali Haroun. Éditions Casbah 
Notes
*Le régional est un responsable politico-militaire. Il a sous sa responsabilité trois mille cinq cents hommes, dont cinq cents militants. Il est un cadre important dans l’organisation de la Fédération de France du FLN. Il est considéré à juste titre comme permanent du FLN aux côtés des Zoual, Amala, Wilaya et membres du comité fédéral. 
*L’Organisation spéciale ou groupes armés sont spécialement chargés au niveau du régional d’une mission de défense et de protection de l’organisation du FLN, mis sous l’autorité du régional.

 

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