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Le silence est complicité

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Rédaction Nationale Publié 26 Janvier 2021 à 08:55

Par : Ahmed Tessa  
Ancien conseiller au ministère de l’Éducation 

“Il nous reste à espérer des jours meilleurs grâce à notre mobilisation en tant que parents, la seule à même de secouer le cocotier de la médiocrité et de l’incompétence qui gangrène le secteur de l’éducation nationale. Aucune institution officielle ou autre organisation ne viendra au secours de nos enfants dont l’intelligence est brimée, étouffée et mutilée par une “a-pédagogie” typiquement algérienne.”

En éducation, “demain, c’est aujourd’hui”. Les enfants qui sont sur les bancs de nos écoles constitueront l’essentiel de la société de demain : nos futurs artistes, sportifs, écrivains,  journalistes, politiques, cadres, médecins, travailleurs, etc. Un demain qui, partout dans les pays développés, s’organise, se construit et…se prépare par l’éducation des enfants, entre autres. En Algérie, ce demain est loin d’être perçu dans sa dimension civilisationnelle et culturelle : les différents gouvernements ont les yeux rivés sur le prix du baril de pétrole. Et nous, parents, sommes préoccupés par le taux de réussite au bac. Qu’importe pour nous si l’éducation/l’instruction reçue par nos enfants  est biaisée/frelatée. L’essentiel est une place dans un amphithéâtre plein à craquer… pour faire atterrir nos enfants dans l’impasse du chômage et de la dévalorisation du diplôme. Là, nous parlons de la majorité des parents, ceux issus des couches socioculturelles défavorisées. C’est à eux que l’État algérien se doit de respecter le principe d’équité. 

“L’égalité inéquitable”
À chaque réaction concernant les problèmes de l’École algérienne, les officiels répondent par une parade qu’ils jugent imparable. “Via sa Constitution, l’État garantit la gratuité de la scolarité et l’égalité des chances.” Oui, c’est un fait que notre Constitution est positive sur ce plan et que l’État consent de grosses dépenses pour ce secteur (salaires et infrastructures). Mais dans la pratique, à quoi assiste-t-on ? 

Des parents riches bénéficient des mêmes avantages que les parents défavorisés (cantines, transports, gratuité du manuel pour les premières classes). Or, le principe d’équité aurait voulu que les premiers fassent un effort de solidarité en s’acquittant de frais scolaires plus consistants. Et, ainsi, alléger le fardeau des dépenses de l’État dans la gestion des établissements scolaires. Des ressources qui serviront à améliorer le cadre de vie de nos enfants. Nous connaissons le calvaire que certains d’entre eux vivent au quotidien pour aller à l’école. Et sur ce plan, nul Algérien ne peut douter de la volonté de cette catégorie de parents aisés à accomplir cet acte de solidarité citoyenne. Il faut savoir que les établissements scolaires privés ne reçoivent pas la totalité des enfants issus de ces familles. Seulement une infime minorité y est inscrite, les autres — la majorité — sont dans les écoles publiques. 

L’iniquité touche aussi les aspects pédagogiques. Là aussi, les officiels vous rétorqueront que “par principe d’égalité, l’Algérie dispense les mêmes programmes avec les mêmes méthodes et organise les examens scolaires aux mêmes dates, avec les mêmes épreuves et le même barème de correction”. Du vent à vendre aux profanes des arcanes scolaires ! L’élève de Tinzaouatine, dans notre extrême Sud, jouit-il de ce principe d’égalité ? Comparons-le avec ses pairs du Nord scolarisés dans les établissements scolaires pour parents huppés, et nous aurons la réponse.

En outre, comment ne pas s’indigner de l’omerta généralisée devant ce flagrant délit d’iniquité/inégalité qu’est le cheminement scolaire et universitaire qui pénalise des générations d’élèves ?
En effet, un des dysfonctionnements majeurs — le plus pénalisant — perdure depuis plus de quatre décennies. Il remonte à la période de la généralisation de l’École fondamentale en septembre 1980. Il s’agit de la rupture linguistique dans la langue d’enseignement entre l’école et l’université. Enseignées en arabe durant le cursus scolaire, les disciplines scientifiques et technologiques sont ensuite enseignées en français à l’université, voire dans le secteur de la formation et de l’enseignement professionnels. À titre d’exemple, la filière universitaire  Sciences de l’éducation complètement arabisée souffre d’un manque de documentation dans cette langue — celle, disponible, étant en français.

Les conséquences de cette coupure linguistique sont effarantes et touchent à la cohésion socioculturelle du pays. Qu’on en juge ! 
• Un apartheid socioculturel qui ne dit pas son nom est en train de se former en Algérie. Nous avons sur les bras une double ségrégation scolaire et socioculturelle sur fond d’appartenance au milieu socioculturel familial. 
• Cette rupture linguistique pénalise en premier lieu les élèves qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisés dans les écoles privées ou dans l’établissement spécifique du lycée Bouamama (ex-Descartes), voire dans le groupe scolaire français Alexandre-Dumas (école primaire – collège et lycée) d’Alger. Les enfants des régions déshéritées et de familles modestes qui n’ont pas les moyens de s’offrir des cours particuliers en langues.
• Une telle rupture alimente le fossé générationnel et les oppositions idéologiques tout en altérant la communication/cohabitation linguistique et culturelle au sein de la société. La défiance/méfiance nourrit les situations conflictuelles entre ces deux catégories d’Algériens.
• Elle est source de frustration/ressentiment pour les bacheliers mal outillés en français et souhaitant poursuivre des études dans les filières dites de prestige (médecine, pharmacie...).
Si cette rupture linguistique école/universitaire demeure une tare majeure, il n’en demeure pas moins qu’il y en a d’autres tout aussi ravageuses et desquelles, nous, les parents, détournons le regard. Le fléau des cours de soutien qui sévit dans le secteur public dès la 1re année primaire (un comble !) touche aussi certains établissements scolaires privés (un autre comble !). Tels des pigeons à plumer, nous assistons, nous les parents, impuissants par notre complicité, à l’envolée annuelle des tarifs de la mercuriale des prix par matière scolaire. Une mercuriale fixée, au début de chaque année scolaire, par un véritable lobby qui brasse des milliards de centimes au nez et à la barbe du fisc, et des autorités en charge de traquer l’informel et le marché clandestin. Même la Covid-19 ne les a pas dissuadés de sévir… avec notre complicité de parents irresponsables. Un commerce clandestin qui heurte de plein fouet l’éthique éducative tout en aggravant les dérives pédagogiques de notre système d’enseignement basé sur le triptyque moyenâgeux : bachotage/parcœurisme/restitution fidèle). Et nous les parents, par notre adhésion, nous donnons du tonus à ce commerce illégal et anti-pédagogique. Une enseignante abordée en session de formation “cocotte-minute”, juste après son admission au concours de recrutement, a avoué : “J’ai choisi ce métier pour les vacances et surtout pour l’argent supplémentaire qu’il va me procurer avec les cours payants.”
Par ailleurs, nous ne devons pas taire la “doctrine” pédagogique choisie depuis 2002 et qui sert de carburant à ce commerce clandestin. Nous citerons en vrac et sans aller dans le détail :
• La suppression d’une année du cycle primaire et la réintroduction de l’examen de sixième : une hérésie que personne n’a condamnée à ce jour.
• L’hypermilitarisation et l’hypermédiatisation/dramatisation des examens de fin de cycle.
• Des programmes obèses qui poussent nos enfants vers la scoliose tant physique (le dos) qu’intellectuelle avec une hypertrophie de la mémoire au détriment des fonctions intellectuelles supérieures (compréhension – analyse, synthèse, esprit critique et créativité).  
• Des méthodes d’enseignement désuètes, des manuels insipides et dont les contenus sont inaccessibles à nos enfants — notamment dans les premières années du primaire. A-t-on idée de demander à des élèves de 2e année primaire d’écrire et de lire de longs textes, et de leur administrer des épreuves d’évaluation écrites sur des textes inaccessibles (lexique et syntaxe) pour leur niveau ? Alors qu’ils n’ont pas acquis la maîtrise du graphisme et des phonèmes de la langue — encore moins de la lecture ; ajoutez à cela les dix mois d’inactivité due au Covid. L’enseignant(e) vous dira : “C’est dans les programmes et c’est dans le manuel.” Une programmation de l’échec, dès le début de la scolarité, est en train de s’accomplir devant nos yeux. L’École algérienne a tourné le dos aux  données élémentaires de la psychologie de l’enfant, aux progrès de la pédagogie moderne, notamment aux neurosciences, à la chronobiologie et à la docimologie. Qui s’en soucie ? Nous les parents ? 
• Le volet formation/recrutement constitue l’abcès fixateur de notre échec. Depuis la mi-1990, les infrastructures de formation (une cinquantaine) ont été bradées par le MEN. Et les ENS, toutes axées sur une formation purement théorique/académique, peinent à combler 15% des besoins du secteur en enseignants. Nous voilà revenus aux années 1960 quand on recrutait à tour de bras sans formation aucune. Cette époque-là se comprenait. Mais de là à reconduire cette absence de formation initiale en 2021 ! Et comment pouvons-nous accepter en tant que parents de mettre nos enfants entre les mains d’hommes et de femmes novices dans ce dur métier — et surtout sans formation ? 

En conclusion de cette lettre atypique, il nous reste à espérer des jours meilleurs grâce à notre mobilisation en tant que parents, la seule à même de secouer le cocotier de la médiocrité et de l’incompétence qui gangrène le secteur de l’éducation nationale. Aucune institution officielle ou autre organisation ne viendra au secours de nos enfants dont l’intelligence est brimée, étouffée et mutilée par une “a-pédagogie” typiquement algérienne. Et qu’on se le dise : l’immobilisme actuel arrange des intérêts divers. Allons-nous accepter d’être complices de cette “entreprise de castration” qui est en œuvre depuis quelques décennies et qui s’amplifie chaque jour davantage ?

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