Culture Farida Sahoui, Auteur de l’essai “Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie”

“J'étais contrainte d'écrire pour que leur tragédie soit connue”

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Kouceila TIGHILT Publié 21 Janvier 2022 à 19:23

© D.R
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Vous vous êtes intéressée aux Kabyles exilés en Tunisie. Comment est venue l’idée du livre ? 

Farida Sahoui : L’idée d’écrire sur nos exilés en Tunisie m’est venue suite à mes rencontres avec certaines familles de descendants des exilés, en majorité de 1871 et d’autres de 1881. Suite à nos échanges, j’ai appris beaucoup de choses sur le drame de leurs aïeux. Mais le désir des Zouaoui d’écrire sur leurs familles m’a encouragé davantage. C'est en prenant conscience du devoir de la transmission et l’importance d’écrire sur le thème des exilés que je suis passée à l'édition.
 
C’est votre deuxième essai sur les exilés kabyles en Tunisie, n’est-ce pas ?

Effectivement. Cette nouvelle édition n’était pas prévue après la sortie de celle de 2017 mais, au fil des années, je découvre d'autres faits politiques, historiques et sociaux qui constituent la matière sur laquelle je me base. Dans ce deuxième ouvrage, on en apprend davantage sur les conditions et les conséquences du départ forcé de ces familles, l'apport des gens de culture de notre communauté à la vie culturelle tunisienne... Plein de choses à découvrir dans cette nouvelle édition, qui est une suite nécessaire et indispensable au premier ouvrage. Les deux traitent d’un thème que je ne considère pas encore achevé en matière de recherche et d'écriture.

Qu’est-ce qu’ils gardent encore de leurs origines ? 

Ceux que j'ai rencontrés et qui ont accepté de s'exprimer gardent les noms de leurs villages et de la Kabylie comme racontée par leurs parents et grands-parents. Ils parlent souvent des circonstances de leur départ et des conséquences que cela a engendré. Ils gardent aussi des chants, dictons et proverbes chantés à la maison, où le nom de Cheikh Mohand Oulhocine est omniprésent ainsi que les poèmes de Si Moh Ou M’hand. Dans leurs discussions, on peut sentir la nostalgie de voir la terre de leurs ancêtres que leurs parents ont dû quitter sans pouvoir y revenir, selon les raisons des uns et des autres. 

Vous avez qualifié leur histoire de drame, pourquoi ? 

On parle d’un drame par rapport à leur départ qui n’était pas du tout un choix. Il ne faut pas oublier que certains d'entre eux étaient condamnés à mort, et le drame est justement dans le fait d'être contraint de s'exiler et de tout laisser derrière ! A l’époque, il fallait partir pour échapper à l’extermination tout en gardant l’espoir de revenir un jour. C’était la pire des choses qu’on devait entreprendre en tant que révoltés contre l’oppression française. Il y a aussi le déracinement culturel et le déchirement social par la suite. 

Vous dite aussi que vous êtes redevable envers eux, pourquoi? 

Le fait que je sois témoin de leur drame ou plutôt témoin de l'attachement à leur patrie et à la douleur héritée de générations de nos exilés et par devoir de transmission, j'étais contrainte d'écrire pour que leur tragédie soit connue de tous, surtout que le thème de nos exilés est maigre en matière d’écrits et de débats. Je dirais que cela m’a été imposé, en quelque sorte ! Je me suis imprégnée de leur vécu et, par prise de conscience, je ne pouvais qu'écrire et transmettre ce qu'ils m'ont raconté, d'autant plus que beaucoup d'entre eux ont émis le souhait de laisser leurs témoignages. Donc, c'est par un sentiment d'empathie que je me sentais redevable face à toutes ces émotions dégagées. Leurs témoignages que j'ai pu recueillir constituent d'ailleurs la matière première de mon travail. 

Donc, on peut évoquer un travail de mémoire...

Le fait de s'intéresser et d'écrire sur des thématiques liées aux origines, à l'identité, à la culture, à l'histoire cela ne peut qu'être un travail de mémoire ! En effet, dans mon nouveau livre Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie on y trouve des chapitres relatifs à l’histoire, à la politique, à la culture, à la guerre et tout ce qui a marqué la vie quotidienne des Kabyles exilés en Tunisie. J'y traite une partie de notre histoire, d’une résistance de toute une génération et plus, et avec elles (les générations), la mémoire d’une partie de nos exilés qui est toujours là ! C'est un travail qui porte aussi sur le déchirement, la loyauté à la patrie, l'attachement à l'identité et la sauvegarde du patrimoine ; toute une mémoire qu'il faudrait tout de même bien chercher, réhabiliter, sauvegarder et, surtout, transmettre ! 

Vous avez aussi lancé un appel pour mener d’autres travaux de recherche sur ce sujet... 

J’insiste même sur l’importance des travaux scientifiques et académiques pour nous donner une lecture plus approfondie sur ce thème. J'estime que d'autres contributions méritent d'être faites pour s'intéresser de plus près à notre communauté oubliée jusqu'à présent afin de nous éclairer davantage sur une période importante de notre histoire. 
On a besoin d’un travail plus consistant, il faut y penser sérieusement. L’écriture de notre mémoire est une affaire qui concerne les Algériens avant tout puisque il s’agit de notre propre mémoire.

D’autres projets sur ces déportés en Tunisie ?

Tout est possible ! Même s’il est trop tôt pour m’avancer sur ce sujet… Une chose est sûre, si cela mériterait encore de s'y pencher, ça sera inscrit parmi mes projets littéraires à l'avenir. Tout dépendra des conditions et des circonstances du travail et de ce que j'aurais comme matière concernant cette thématique. Sinon, actuellement, je suis sur un travail qui traite un thème complètement différent de celui des exilés. 

 

Entretien réalisé par : K. Tighilt

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