Culture BOULEVERSER, RÉFLÉCHIR, ENCHANTER :

La littérature comme réinvention perpétuelle du monde

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LYNDA CHOUITEN Publié 24 Septembre 2021 à 17:58

© D. R.
© D. R.

Par : LYNDA CHOUITEN

Est-ce à dire que la littérature doit impérativement épouser une cause, se faire porte-parole d’une communauté opprimée, pour justifier son existence ? Je ne suis pas de cet avis. Quand bien même elle se défendrait contre toute forme d’engagement, elle aurait quand même toute sa raison d’être.

La littérature est partout : elle est dans les contes qu’on raconte le soir aux petits chérubins pour les aider à s’endormir ; dans les feuilletons de l’été qu’on parcourt négligemment sur une plage ou qu’on suit à la télé – car, c’est bien connu, au commencement était le Verbe, qui aujourd’hui encore, doit précéder l’écran – dans le dernier succès d’Hollywood, dans les poèmes chantés par nos valeureuses vieilles lors des veillées funèbres ou, au contraire, lors des cérémonies de mariages, dans les vieux proverbes dont nous aimons à agrémenter nos propos, dans les petites expressions commodes dont nous ignorons parfois l’origine : on compare telle jolie fille à Blanche-Neige, tel goinfre à Gargantua, tel homme orgueilleux à Artaban. La littérature est partout, même là où nous en oublions l’existence, c’est pourquoi je m’étonnerai toujours de voir des gens s’interroger encore sur son utilité. Ne serait-il pas plus épineux d’essayer de trouver une seule fonction qu’elle ne remplisse pas ? Bien sûr, la littérature est distraction, elle est voyage et évasion. Quand j’ai commencé à dévorer les livres, voilà bientôt quatre décennies, c’était pour oublier le quotidien terne et trouver refuge dans des contrées plus vertes et – ainsi les imaginais-je – plus joyeuses, où les enfants, y compris les filles, jouaient du violon ou du piano, glissaient sur des patins ou pêchaient dans des lacs et des rivières. Je rêvais et, même si je ne le savais pas encore à cette époque-là, c’est par le rêve que commence toute révolution, tout changement. Car bien sûr, la littérature sert aussi à cela : à changer les choses. En dénonçant les maux de nos sociétés – ou de notre nature si imparfaite – et en nous amenant à réfléchir. En 1852, le célèbre roman d’Harriet Beecher Stowe, La Case de l’Oncle Tom, a bouleversé les Américains et le regard qu’ils portaient sur les Noirs et, en mettant en exergue les horreurs de l’esclavage, a préparé la voie à la Guerre de Sécession durant laquelle la loi abolissant cette pratique devait être promulguée. Plus près de nous, ce sont les écrivains issus des colonies (françaises et britanniques) qui ont cherché à gommer les clichés associés aux non-Blancs et à décrier le colonialisme. Qu’il s’agisse d’un Chinua Achebe répondant subtilement au racisme d’un Joseph Conrad, d’un Kateb Yacine qui “écri[t] en français pour dire aux Français qu’il n’est pas Français”, ou de tant d’autres, la littérature postcoloniale a donné une voix à ceux qui peinaient à se faire entendre en raison de leur couleur de peau. Bien sûr, ce n’est là qu’un exemple ; la littérature fait réfléchir sur la condition féminine, sur l’enfance, sur la lutte des classes – bref, sur la condition humaine sous tous ces aspects.
Est-ce à dire que la littérature doit impérativement épouser une cause, se faire porte-parole d’une communauté opprimée, pour justifier son existence ? Je ne suis pas de cet avis. Quand bien même elle se défendrait contre toute forme d’engagement, elle aurait quand même toute sa raison d’être. Nombreux sont ceux qui, n’écrivant que pour se libérer d’un fardeau – un traumatisme, peut-être, ou des émotions trop lourdes à porter, tout simplement – libèrent aussi un nombre incalculable de lecteurs, qui se reconnaissent dans les joies et les souffrances décrites par ces auteurs. 
Au-delà de cet effet cathartique, c’est à réconcilier les êtres humains, en dépit de leur diversité, que sert ce processus d’identification avec l’auteur, un auteur peut être issu d’une toute autre ethnicité, d’une toute autre location géographique que son lecteur. Car au final, sous tous les cieux, les hommes et les femmes naissent, meurent, s’aiment, se haïssent, se jalousent, se disputent, s’attendrissent et se réconcilient. Quand une œuvre nous touche par-delà les frontières nationales, culturelles, ou autres, c’est à notre commune humanité qu’elle nous renvoie, nous invitant à transcender nos conflits et nos différences.
Enfin, et surtout, la littérature est une invitation au Beau. Par le biais du contact sensuel avec les mots ; par le biais des tournures et des métaphores élégantes dont elle se sert ; par le biais des mondes inhabituels qu’elle crée et du regard neuf qu’elle jette sur le nôtre. Or, la beauté, comme l’écrivait le philosophe américain Ralph Waldo Emerson, “justifie elle-même son existence”. Les œuvres que nous lisons – et que nous écrivons – nous apaisent, nous soulagent, nous ouvrent les yeux et l’esprit, mais quand bien même elles ne feraient rien de cela, nous continuerions à en raffoler parce qu’elles nous enchantent et que nous avons besoin d’enchantement. Nous avons besoin d’enchantement parce que l’être humain ne sera jamais – du moins j’ose l’espérer – un simple appareil digestif ou une machine à produire et à calculer.
Alors, je repose la question aux plus sceptiques : “Y a-t-il une seule utilité que la littérature n’ait pas ?” 

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