Culture Akli Drouaz, écrivain

“La mauvaise gouvernance sème la zizanie entre concitoyens”

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Ali TITOUCHE Publié 09 Mars 2021 à 23:29

© D.R.
© D.R.

Son quatrième roman “Errances, identités flouées” (éditions Achab) remet au goût du jour la quête permanente des sentiers  identitaires, à  Oran, à Alger ou en Kabylie, où les personnages racontent des bouts de vie qui, au final, reconstituent le puzzle d’un pays en souffrance. Dans cet entretien, Akli Drouaz revient sur l’écriture de son livre, la violence de la décennie noire et son rêve d’une “nation idéale en construction”.

Liberté :  Dans  Errances, votre quatrième publication, vous avez su marier des personnages aux destins diamètralement opposés ; ce qui en fait un roman de contrastes  et  de  quêtes infinies.  Errances serait-ce cette sculpture inerte habitée pourtant  par  mille  et  une émotions, voire mille et une cicatrices ?
Akli Drouaz :   
Si  bien  dit,  en  effet,  un  monde  de  contrastes  et  pas qu’imaginaire. Quant à la sculpture que vous évoquez si  justement, elle  serait  plutôt  en  état  d’inertie, état  circonstancié,  donc  forcément  en mouvement.  Dans ce cas précis, les émotions sont souvent expression de cicatrices récentes ou anciennes d’ailleurs.

Un navire émotif quelque peu déboussolé mais qui ne sombre pas. Je suis de la génération de la guerre ou plutôt de l’indépendance, et la jonction fut pour le moins compliquée ; je n’aimerais pas m’étaler sur les affres de la guerre et de  l’indépendance,  tout  y  est  consigné,  les  personnages  en  parlent mieux que moi.

Dans Errances, vous avez tenté de remonter à la source du mal qui a plongé  le  pays  dans  le  désarroi  et  la  violence  pendant plusieurs années. Cette violence cohabitait difficilement avec les rêveries d’un pays déchiré. Ce pays serait-il un jour la terre promise à chacun de nos concitoyens,  parfaitement   représentés  par  vos  personnages d’ailleurs ?
Je commence par la fin ; oui, je  crois  fermement  au  rêve d’une nation idéale en construction ou plutôt en réfection, puisque cet idéal a déjà été façonné par des siècles de taille. Mais quel immense édifice s’est construit sans déchirement et sans violence ? J’ai en mémoire une phrase entendue quelque part : “J’aime mon pays, mais je n’aime pas l’état dans lequel il se trouve.”

C’est donc légitimement que la question du devenir et de l’avenir reste posée et à chaque citoyen de ce pays. Je pense aussi à ce vieil adage paysan – rien ne sert d’espérer pour entreprendre –, s’il fallait avoir la certitude du ciel ou autres prévisions, le paysan ne cultiverait jamais son champ. D’où la nécessité de résister et d’y croire, je finis en me référant à Kant et à sa “roue de l’Histoire”. Malgré les apparences d’un patinage maladroit, je crois que nous ne reculons pas, mais nous avançons.

Dans vos romans, et plus  particulièrement  dans  Errances, vous mariez parfaitement le territoire à l’homme, comme lorsqu’on sculpte une image par ses propres terres. Quelle est la part de l’imaginaire dans vos romans ? Celui-ci bute-t-il sur la force de l’image, du souvenir et du rêve ?
Je  suis  Algérien,  je  suis  né  en  Kabylie, mais  mon  terrain  de  jeu  et d’expérimentation est  ce  vaste  terrain  qu’est  notre pays.  Alors  forcément l’homme, l’imaginaire, moi et mes personnages ne pourrions exister en dehors de cette matrice. Je n’ai pas de  problème  d’identité et cela aide à vivre avec ses semblables. Beaucoup en ont, j’en conviens, mais les crises identitaires, aussi graves puissent-elles paraître, l’histoire finit par les corriger.

D’où vous est venue l’envie de resusciter les démons des années de braise ? Est-ce  un  bouillonnement  créatif  ou  bien  une  velléité de domination d’un surmoi tourmenté ?
Les années de braise font partie de notre histoire commune ; à défaut de les domestiquer, de les apprivoiser, nous devons les habiter pour échapper à leurs incisifs rêves de destruction. Nous devons affronter nos démons. Aussi bien la guerre d’indépendance que les conflits de 1963 et toutes les tragédies terribles (1988, 2001), le conflit des années 1990, nous collent à la peau.

Le  travail  de  deuil  n’est  pas  accompli  et  l’histoire  reste balbutiante. Nous devons affronter nos démons, nous devons discuter et confier nos douleurs à la justice et à l’Histoire, nous y sommes condamnés.

La   Kabylie  demeure  omniprésente  dans   vos  romans.  En  témoigne Errances, qui vient remettre au goût du jour les fantasmes et les rêves d’une  région  en  perpétuel  mouvement.  Quel  regard  portez-vous, aujourd’hui, sur cette terre qu’on désigne, depuis des lustres, “comme centre de troubles et de mutineries, voire de trahison” ?   
En effet, la Kabylie est en partie la coulisse ou plutôt la chute de mon roman, mais  peut-on  exister  sans  ce  socle ?  Je  suis  Kabyle,  j’y  habite, mais m’habitent d’autres mondes. L’Algérie  dans  son  immensité reste mon rêve d’attachement à une Histoire.

Longtemps, je  me  crus  heureux  dans  les  grandes  métropoles  du  monde, rassuré par le bitume et les gratte-ciels, en retrouvant mon terroir, je découvre aussi une forme de désarroi, me suis-je trompé ? Je n’en sais trop rien. Quant aux ragots de l’Histoire  cuisant  du  feu  de  la traîtrise à propos de la Kabylie, j’opposerai  la  conviction  de  la  majorité  de  sa  population  viscéralement attachée aux rochers et aux entrailles de cette  terre.  Répondre  à l’opprobre par le désespoir n’est pas de ma culture. La pédagogie et la fraternité doivent être notre seul credo. Je pense et espère y contribuer  par la fulgurance des personnages de mon roman.

Je suis profondément et parfois même un peu trop Kabyle, mais peut-on être trop soi-même ? Mais par-dessus  tout, je suis et  reste un  frère algérien, le frère de chaque compatriote.  À  un ami qui me reprochait, avec une  pointe d’humour, de  parler  arabe (dardja), j’ai rétorqué : “Je parlerai  la  langue de chaque homme ou femme qui me tendra la main de la fraternité.”

Cela peut prêter  à  confusion, mais  qu’on ne s’y méprenne pas, la haine ne grandit jamais celui qui en est porteur. En luttant pour préserver la liberté de l’autre, c’est la nôtre  que  nous  défendons.  La  mauvaise gouvernance sème la zizanie entre concitoyens et brise le lien social, mais elle ne peut et ne doit venir à bout de notre fraternité. 

Souvent je m’accroche avec mes amis tenants d’un combat identitaire que je comprends, mais que je ne cautionne que prudemment. Je suis adepte de la diversité, j’aime les diversités et je fuis l’uniformité. On peut être un et multiple à la fois, je ne fixe aucune limite à ma relation avec l’autre ; tant que le dialogue est possible, et je crois qu’il l’est souvent, je pesisterai à tendre la main. Je déteste toutes les discriminations, aucune ne peut être l’exception.
 

Propos recueillis par : Ali TITOIUCHE

 

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