Culture Omar Fetmouche, dramaturge

“Le Montage d’une pièce de théâtre relève du parcours du combattant”

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Yasmine AZZOUZ Publié 02 Avril 2021 à 20:15

© D.R
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Dramaturge, metteur en scène, ancien directeur du TR de Béjaïa, auteur du texte de la pièce “Hzam el ghoula” d’Abdelmalek Bouguermouh, et dernièrement un des membres du groupe de travail sur la réforme du théâtre, Omar Fetmouche est une figure incontournable du 4e art algérien. Dans cet entretien, il porte un regard sans concession sur la situation et la production théâtrales de ces dernières années, sur le succès de la pièce “Khatini” d’Ahmed Rezzak et sur le théâtre pour enfants. 

Liberté : Khatini a été récompensée au dernier FNTP (Festival national du théâtre professionnel). Comment expliquez-vous le succès de cette pièce, plébiscitée autant par la critique que par le public ?
Omar Fetmouche :
Khatini est une satire sociale et politique que j’ai beaucoup appréciée et qui s’inscrit, à mon sens, dans la perspective d’un théâtre de la dérision. Elle pointe du doigt les injustices des pouvoirs coercitifs. Ce qui lui a valu bien sûr le plébiscite du public, surtout durant cette euphorie révolutionnaire du Hirak.

Pensez-vous qu’Ahmed Rezzak rouvre la voie à un théâtre engagé, qui porte haut les revendications populaires ?
Le théâtre algérien a emprunté la voie de l’engagement et de l’avant-garde dès lors qu’il a épousé les convictions de la révolution algérienne. Cette tradition de théâtre des masses va se prolonger durant des décennies, notamment avec la pièce Fakou d’Allalou, qui fut d’ailleurs interdite par l’administration coloniale. De ce point de vue, en tant qu’auteur et metteur en scène, Ahmed Rezzag s’inscrit dans ce théâtre engagé dont les rêves populaires constituent le socle de sa thématique et de son répertoire. La plupart des artistes et des hommes de théâtre algérien se reconnaissent dans ce théâtre de lutte et de combat pour les droits de l’Homme et la justice sociale. Il n’ y a qu’à consulter le répertoire du théâtre algérien pour découvrir la force de propositions démocratiques qu’il recèle depuis les années soixante jusqu’à aujourd’hui.  De grandes pièces portées par Alloula, Kaki,    Kateb Yacine et bien d’autres dramaturges, conscients de la nécessité d’un théâtre populaire au service du peuple et des masses.

Le théâtre de Mostaganem est une institution à lui seul. Quel regard portez-vous sur ses productions actuelles et ses dramaturges, dans la longue lignée des Kaki, Hadj Mekki Bensaïd, etc. ?
Le théâtre à Mostaganem est là pour témoigner de la longue tradition du théâtre populaire qui a marqué la ville et la région. Nul ne peut nier l’apport d’Ould Aberrahmane Kaki, de Si Djillali, de Djamal Bensaber, de Ben Mohamed et de tant d’autres théâtreux qui ont produit et continuent à relever le défi dans le cadre du Festival des amateurs. Le Théâtre régional vient renforcer ces énergies créatrices par la formation et l’apport d’un souffle nouveau avec une nouvelle génération animée par des projets novateurs.  

En tant qu’ancien directeur du Théâtre régional de Béjaïa, quelle est votre évaluation de la production théâtrale de ces dernières années ? 
La production théâtrale de ces dernières années reste trop timide suite aux restrictions des moyens de production imposées par les anciens locataires du palais des Anassers, qui ont réduit en peau de chagrin les aides à la création artistique et théâtrale, comme si les quelques sous destinés à l’encouragement de la jeune création allaient vider le Trésor public. Eschyle, le dramaturge d’Athènes, disait bien : “Donnez-moi un théâtre, je vous donnerai un peuple extraordinaire.” Le rôle civilisationnel du théâtre doit omettre tout compte d’épicier et ouvrir larges les espaces de la création artistique et théâtrale. Par manque donc de possibilités de création, la plupart des théâtres et des compagnies se sont retrouvés à travailler sur des productions de distribution réduites et à s’inspirer de scénographies limitées pour des économies inutiles dans un art où la création de la beauté et du bon sens esthétiques ne se marchandent pas. À l’exception de certains nouveaux théâtres dont les comptes ne sont pas encore greffés et qui ne comptent pas un grand nombre de personnel, la plupart des théâtres publics font les décomptes chaque mois pour satisfaire la grille des salaires. Parler de création artistique et théâtrale est un débat de seconde importance. 

Les professionnels du 4e art appellent sans cesse à revoir la politique culturelle qui encadre leur domaine. Quel avis avez-vous sur la question, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des troupes théâtrales, l’état des théâtres et le statut des artistes ?
Concernant les compagnies de théâtre amateur et indépendant, en dehors du marasme du statut juridique qui les caractérise, le montage d’une pièce de théâtre relève du parcours du combattant. Que ce soit le théâtre public ou le théâtre indépendant des coopératives et associations théâtrales, la pratique théâtrale dans notre pays continue de souffrir d’un manque juridique très important, dans la mesure où les théâtres régionaux même régis par un statut d’entreprise EPIC trouvent encore des difficultés à assumer leur rôle de commercialisation et se trouvent confrontés à d’énormes problèmes de fiscalité bureaucratique. 
De leur côté, les coopératives de théâtre avec actes notariés ne sont pas reconnues dans le paysage juridique algérien. Elles sont donc inexistantes malgré leur potentiel de création, de production artistique et théâtrale et leur participation permanente aux différentes manifestations culturelle nationales. Cette situation de vide juridique pour les coopératives crée une situation d’instabilité fiscale, étant donné que l’activité artistique et théâtrale demeure tributaire de l’imposition fiscale. Malgré la bonne volonté du ministère de la Culture pour la révision des statuts des coopératives et une meilleure politique des théâtres publics, les choses ne semblent pas avancer dans le sens de la libéralisation de l’action théâtrale. Cela a généré une “prise en otage” du statut de l’artiste qui reste coincé dans cet engrenage politico-bureaucratique au moment où la rationalisation et le bon sens nous imposent plus de souplesse dans la gestion des relations avec les artistes. 

Qu’en est-il également des coopératives, qui participent pourtant activement à la promotion du théâtre, preuve en est, l’une d’elle a reçu le prix spécial du jury au dernier FNTP ?
Le travail des compagnies théâtrales indépendantes constitue l’un des pôles les plus importants dans la création, la diffusion et l’animation artistique en Algérie et ailleurs dans le monde, de par sa mobilité et son organisation autonome. Ces dernières lui permettent d’intervenir dans tous les espaces possibles (théâtre en salle, de rue, théâtre à l’université, à l’école ainsi que dans les entreprises économiques). Ce statut particulier d’un théâtre de la ville l’installe dans une perspective d’assistance et de soutien à d’autres associations. La composante plurielle de ses éléments qui viennent de diverses spécialités lui confère cette particularité d’un art multidisciplinaire capable de surfer sur toutes les préoccupations liées à l’art. 

Enfin, un théâtre dont on parle moins, celui pour enfant, pose problème selon vous. Il y a une confusion entre l’animation récréative, le jeu dramatique et autres spectacles…
C’est malheureux de le dire, mais la pratique théâtrale pour enfants dans notre pays baigne dans la confusion totale tant sur l’approche théorique que les choix esthétiques. Ce théâtre devrait être la préoccupation fondamentale des décideurs, car il y va de l’existence et de l’avenir de la pratique théâtrale dans notre pays. 
La prise en charge du jeune public est une mission d’intérêt national décisive. Ils sont les acteurs, le public et les troupes de demain, pouvant constituer un vivier de la création culturelle. Mais ceci, apparemment, est loin d’intéresser nos académiciens, psychologues et pédagogues, laissant ce terrain sensible à la merci des charlatans de tous bords. Ils exploitent la fragilité de nos enfants en leur inculquant des absurdités qu’ils appellent pompeusement “théâtre pour enfants”. 
Entre le théâtre d’enfants, le théâtre dans le milieu scolaire et le théâtre pour enfants se dressent des barrières d’approche et de pratique toutes différentes les unes des autres. 
Il serait complexe d’en parler dans les détails ici car cela prendrait beaucoup de temps, mais je conseillerai ceux que le sujet intéresse de consulter un ouvrage de référence de Roger Deldime intitulé Théâtre pour enfants, et je suis sûr qu’ils trouveront un maximum de réponses à leurs préoccupations pédagogiques et esthétiques. 

Propos recueillis par : Yasmine Azzouz 

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