Culture Souad Labbize, écrivaine et poétesse

“Notre société n’est pas particulièrement tendre à l’égard des femmes”

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Yasmine AZZOUZ Publié 19 Avril 2021 à 01:03

© D.R.
© D.R.

Dans “Enjamber la flaque où se reflète l’enfer”, sorti en 2019 aux éditions Barzakh, Souad Labbize raconte pour la première fois son viol à l’âge de neuf ans. Tus pendant quarante ans, les souvenirs et ce qu’ils charrient comme douleur pour l’écrivaine refont surface. Un torrent de mots adressés à la petite fille qu’elle était et à la société, qui a tendance, dit-elle, “à culpabiliser la victime sur sa responsabilité dans son malheur”.

Liberté : Vous avez publié en 2019 le livre Enjamber la flaque où se reflète l’enfer, dans lequel vous revenez sur le viol que vous avez subi à l’âge de neuf ans. Vous dites qu’“écrire ne vous donnera pas la force de vous exprimer de pleine voix” sur le sujet,  mais quel a été le déclic pour prendre la plume ?
Souad Labbize : Il n’était pas question pour moi d’évoquer ces faits douloureux tant à remémorer qu’à livrer. Le texte d’Enjamber la flaque où se reflète l’enfer est né par hasard, un après-midi où je m’apprêtais à commencer l’écriture d’un vieux projet fictif nourri de mes expériences familiales au sens large, la mienne et celle de ma mère et de sa famille. 

Et les premières lignes se sont immédiatement inscrites dans le premier épisode d’une suite malheureuse et accablante de faits qui ont marqué mon enfance algéroise. 

Vous dites qu’écrire était une manière d’apporter du réconfort à l’enfant que vous étiez, panser ses douleurs, puisqu’aucun adulte de votre entourage n’a pu ou su vous soutenir au moment du drame…
La fillette que j’étais n’est toujours pas sortie d’affaire, hélas ! J’ignore ce que signifie “grandir” ou “avoir grandi”, peut-être est-ce le cas pour d’autres, sentir vibrer l’enfance en soi quand l’injustice et le silence emmurant un drame d’enfance empêchent d’une certaine façon de s’éloigner de l’enfant qu’on a été et qui réclame d’être consolée. Et puis, j’ai compris que cette enfant-là reste inconsolable…

Vous racontez aussi cette mère, votre mère, qui a été d’une dureté incroyable envers vous quand elle apprend votre viol. Cela tient-il de la pudeur, de la peur, du déni ? 
Le texte pose toutes ces questions. La réaction de ma mère n’est pas si “incroyable”. Notre société n’est pas particulièrement tendre à l’égard des filles et des femmes. 
Il y a aussi une tendance à culpabiliser la victime sur sa responsabilité dans son malheur. C’est à elle de se débrouiller pour ne pas attirer à elle ni violeur ni dragueur, comme si cela allait de soi que tous ces prédateurs sévissent en toute liberté. Actuellement, une excellente humoriste algéroise, Yamna, poste sur les réseaux sociaux des sketchs très fins sur ce magma conservateur de mœurs que je trouve terrifiantes, puisqu’elles continuent à enfermer les femmes dans des schémas très réactionnaires. Les sujets abordés n’ont pas l’air d’avoir beaucoup changé en cinquante ans. 

Cette culpabilité que l’on vous a sommée de ressentir, a-t-elle été un tant soit peu atténuée par l’écriture ? 
Ce n’est pas à proprement parler un sentiment de culpabilité. Il faut lire le texte et comprendre que le plus dur, c’était de ne pas pouvoir raconter les faits, les premiers et les suivants, et que la mère ébruite ce que la fillette a failli vivre…

Quarante ans après, pensez-vous que notre société stigmatise encore les victimes et passe sous silence les violences perpétrées par les prédateurs ? 
Non seulement notre société, mais aussi une grande partie de la planète ; c’est d’une banalité déconcertante, les femmes sont responsables des malheurs qui leur arrivent…

à quel moment, selon vous, a-t-on commencé à banaliser le viol, la pédophilie ? De tabous, les agressions sexuelles sont devenues presque banales… 
C’est une vieille histoire liée vraisemblablement aux fondements mêmes des mœurs patriarcales, de la survalorisation de l’organe masculin et du mépris à l’égard de la moitié de la société non pourvue de ce qu’on appelle le premier sexe. 

Les féminicides sont dangereusement en hausse ces derniers mois. Une situation exacerbée par le confinement en 2020 durant lequel plus d’une cinquantaine d’Algériennes a été assassinée. Comment en est-on arrivé là ?
Comment savoir s’ils sont en hausse ou en baisse si les raisons de la mort de beaucoup de femmes n’ont pas été – et ne le sont toujours pas – déclarées en tant que telles ? C’est nouveau de parler de féminicides (mot encore refusé lors de la notation sur un ordinateur ou sur internet, etc.). Ce qui est nouveau, c’est d’en parler et cela reste difficile. Rendons hommage à celles et à ceux qui travaillent sur cette question, à commencer par deux jeunes Algériennes, entre autres, qui alimentent un site sur les féminicides en Algérie. Wiame et Narimène y travaillent au quotidien, afin d’alerter la société et les pouvoirs publics sur ce phénomène qui cause beaucoup de dégâts sociaux irréparables et profondément révoltants. Il me semble primordial de sortir de l’autoflagellation, de croire que notre société est plus arriérée que d’autres et que cela est irrémédiable. Regardons le monde comment il va, avec d’un côté des forces régressives et réactionnaires qui essaient de le maintenir dans l’état désastreux où il se trouve, et d’un autre côté les forces progressistes qui luttent pour arracher le droit à une vie équitable, saine, à un quotidien moins désespérant pour chacune et chacun. 

Propos recueillis par : yasmine azzouz

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