Si l’argument financier évoqué dans le projet compte tenu de l’amenuisement des ressources financières peut paraître logique, ce n’est nullement le cas des “critères” pour sélectionner les artistes à convier.
Lors de la dernière réunion périodique du Conseil des ministres tenue le dimanche 28 février à Alger, Abdelmadjid Tebboune a “ordonné” l’élaboration d’un texte de loi “en vertu duquel, le ministère de l'Intérieur et celui de la Culture établissent des critères en matière d'invitation d'artistes étrangers en Algérie, en vue de sauvegarder la référence culture nationale et les ressources financières du pays.
Si l’argument financier évoqué dans le projet compte tenu de l’amenuisement des ressources financières peut paraître logique, ce n’est nullement le cas des “critères” pour sélectionner les artistes à convier.
Faut-il établir des critères pour inviter un chanteur, un humoriste ou un réalisateur ? Sur quelles bases seront-ils établis : origine, religion, degré de notoriété ? En quoi Roger Waters ou Kazem El Saher peuvent-ils nuire à la “référence culture nationale” ? Cette décision soulève d’ores et déjà des interrogations parmi bon nombre d’acteurs culturels qui peinent à s’expliquer sur l’opportunité de ce projet et les considérations sous-jacentes.
Afin d’obtenir des éclaircissements, Liberté a contacté Nourredine Athmani, chef de cabinet au ministère de la Culture et des Arts. D’emblée, il a évité de se prononcer sur la question : “Nous allons travailler conjointement avec le ministère de l’Intérieur.
D’ailleurs, nous avons rendez-vous la semaine prochaine (la semaine en cours, ndlr), il serait prématuré d’en parler maintenant”, dit-il. Et d’ajouter : “Cela concernera probablement le secteur privé, car le ministère de la Culture ne ramène pas d’artistes étrangers depuis cinq ans.”
Pourtant, des festivals internationaux, à l’instar du Film arabe d’Oran ou de celui de Timgad, invitent chaque année des starlettes et stars du monde arabe et d’ailleurs.
Un “verrouillage” qui ne dit pas son nom
Pour le Dr Ammar Kessab, expert international en management et politiques culturelles, la “volonté” d’établir des critères en matière d’invitation d’artistes étrangers “n’est pas une bonne idée”. “Au moment où l’on demande de supprimer les règles et procédures qui handicapent le développement de la culture en Algérie, ce genre de décision renforce le verrouillage du secteur culturel et ralentit son développement”, martèle-t-il.
Selon sa lecture, “apporter une réponse ‘sécuritaire’ à un problème qui peut tout à fait être géré au cas par cas ne va pas arranger les choses”.
Dans ce cadre, il a cité l’exemple de la rumeur selon laquelle, le ministère des Arts et de la Culture allait faire appel à deux chanteurs arabes pour faire la promotion de la destination Algérie. L’un des deux chanteurs cités avait tenu, il y a de cela quelques années, des propos graves contre l’Algérie et son peuple”, rapporte-t-il.
“Supposons que cette rumeur est vraie. Au lieu de prendre une décision réglementaire ou législative pour contrôler les invitations des artistes étrangers en Algérie, il suffirait de prendre une décision administrative et bannir l’artiste ou les artistes coupables d’insultes explicites à l’encontre de l’Algérie et des Algériens”, poursuit-il.
Pour sa part, le producteur Yacine Bouaziz (Thala Films Production) estime que cette décision est “décourageante”. Pour lui, ces “règles restrictives” sont un levier de blocage. “Au lieu d’encourager les artistes étrangers à venir faire la promotion de la destination Algérie, on établit des règles pour empêcher les ‘ennemis’ de la nation de venir !”, soutient-il.
Tout en déplorant : “Je trouve cela dommage d’être encore et toujours dans une posture de fermeture, alors que nous avons besoin d’être dans l’ouverture, car notre peuple et notre culture ont toujours été ouverts aux peuples du monde.”
Quant à Mehdi Lafifi, opérateur culturel (Neef Prod), il considère que “quand la culture commence à être sur la défensive, ce n’est jamais bon signe !”. Pour ce producteur, cette démarche annonce “encore un verrouillage”.“Le secteur culturel algérien est le plus stalinien des secteurs”, regrette-t-il.
À ce propos, il a insisté sur le fait que de nombreux secteurs, notamment économiques, ont été “libéralisés” et jouissent d’une ouverture. Alors que dans le culturel, “nous avons toujours besoin d’agrément ou une autorisation pour un évènement”, dit-il.
Concernant l’invitation des artistes étrangers, il a rappelé que ce sont “les institutions étatiques qui ramenaient des stars étrangères à des prix incroyables !”, avant de conclure : “Notre but est de proposer un programme et remplir les salles, c’est du business. Les concerts ne vont pas remettre en question la culture algérienne ou son identité. Au lieu de verrouiller le secteur, il y a d’autres chantiers à revoir comme la musique, le cinéma et les artistes à l’agonie…”
Hana MENASRIA