Résumé : Zeliha entame son récit et nous emporte dans un tourbillon de souvenirs. Elle se rappelle son refus de rentrer à Istanbul avec ses parents, et ces derniers l’envoient en France pour poursuivre ses études. C’est là qu’elle rencontre Ziya et Fatty. Aziza avait prévu un déjeuner chez elle.
-On était un dimanche, et ce jour-là votre grand-mère, ma cousine, avait prévu un couscous royal chez elle. Nous étions tous conviés à un déjeuner inhabituel. Votre grand-mère était un cordon bleu, et nous appréciions tous sa cuisine. Comme elle était encore une jeune mariée et n’avait que Wahid comme enfant, je propose de l’aider.
Elle refuse, prétextant que j’étais une invitée et que même si j’étais sa cousine, elle n’accepterait aucunement que je salisse ma jolie tenue du week-end. Cependant, elle me permet de servir des boissons fraîches en attendant de passer à table.
Je sers des limonades, et je remarque tout de suite que Fatten n’avait d’yeux que pour Aziza. Par contre, votre grand-père, qui n’avait rien relevé d’anormal, avait entamé une longue discussion avec moi. Il voulait tout savoir sur l’étudiante que j’étais, sur ma famille, sur mes ambitions, etc.
À la fin de la journée, et juste avant que je ne prenne congé, Aziza m’entraîne dans la cuisine pour me demander comment je trouvais le cousin Fatten.
Cette question me surprendra au premier abord. Mais Aziza insiste, et je réponds que je le trouvais très bien. Il avait fait des études en science politique et approfondissait ses connaissances dans différents domaines culturels. C’était quelqu’un qui appréciait la grande musique, lisait des romans classiques, aimait les œuvres d’art… Il était un homme complet : cultivé, instruit, éduqué…
Elle affiche alors un air satisfait pour me proposer de devenir l’épouse de cet homme qui était déjà convoité par des femmes de la grande société bourgeoise et aristocratique :
“Je m’arrangerai pour te le présenter en aparté, et tu pourras discuter avec lui. Tiens, je pense pouvoir vous procurer des cartes d’invitation pour un spectacle à l’Opéra, on y joue en ce moment Hamlet.”
Je n’étais pas à proprement parler très attirée par ce jeune homme à l’allure classique. Son air intellectuel et ses manières bourgeoises n’étaient pas pour me déplaire, mais je ne pouvais donner suite dans l’immédiat à ma cousine, car je sentais que cet homme ne m’intéresserait pas. Puis, je me rappelais son interêt pour elle-même. Il n’y avait rien à dire là-dessus, Aziza lui plaisait. Elle était peut-être le genre de femme qu’il affectionnait. Malheureusement, elle était déjà mariée et mère de famille. Avait-elle compris ? Avait-elle deviné que cet homme était tombé sous son charme ? J’en doute fort, car Aziza adorait Ziya, votre grand-père. Elle l’avait toujours aimé. Elle était la cousine la plus jeune de la fratrie lorsqu’il l’avait épousée et elle en était très fière.
- Elle n’avait jamais cessé de nous le répéter, dis-je avec un sourire nostalgique. Elle aimait citer à tout bout de champ cet épisode de son existence et nous blâmait pour notre indifférence envers les principes et les liens de famille. Pour elle, une femme qui pouvait attirer un homme tel que notre grand-père devrait être qu’exceptionnelle. Et nous étions sa propre descendance. Alors nous devrions prendre exemple sur elle et assurer notre avenir sur les bases de l’éducation bourgeoise qu’elle avait reçue.
Zeliha prend une longue inspiration avant de répondre :
- Aziza a toujours était une femme fière. Elle allait parfois même jusqu’à être arrogante dans son attachement à ces liens de famille qui se disloquaient. Je l’ai toujours connue ainsi. Et le contraire de ce que vous me racontez maintenant m’aurait étonné.
Djamil intervient :
- Et ensuite, qu’avez-vous fait ? Vous avez accepté de vous rendre à l’Opéra ? Avait-elle aussi préparé le terrain auprès de Fatten ?
Elle secoue la tête.
- Non. J’ai trouvé un bon subterfuge pour refuser sa proposition ce jour-là. Je prétextais des examens. Elle revient à la charge le week-end suivant, alors que nous étions sorties pour faire des courses dans les grands magasins de Paris. Aziza me parle encore de Fatten et fait ses éloges. Je réponds que j’étais encore sur les bancs de l’université et que le mariage pour moi était encore une étape éloignée. Elle m’apprendra alors qu’elle en avait déjà discuté avec ma mère, qu’elle avait rencontrée lors d’une cérémonie de circoncision à Istanbul, et que mes parents seraient plutôt ravis de me voir mariée et casée avec un homme tel que Fatten, qui représentait pour eux le gendre idéal.
J’étais sidérée. Tout le monde avait pris les devants pour m’unir à cet homme. Et lui dans tout ça ? Avait-il émis le vœu de m’épouser ? demandais-je à ma cousine.
Aziza me pince le bras : “C’est mon affaire. Fatten m’écoute et exécute tout ce que je lui demande.”
Je croyais rêver. Aziza décidait pour cet homme ! Pourquoi cela ?
Ziya permettait-il à sa femme de gérer les affaires des autres ? Certes, Fatten était leur cousin, mais après tout il devrait avoir son mot à dire dans des affaires comme celles-ci. Un mariage, ce n’était pas une chose banale !
Pour prouver à ma cousine que cette fois-ci elle avait perdu la partie, je lui proposais d’inviter Fatten chez elle un après-midi pour un thé. Cette fois-ci, je vais tenter d’entamer une conversation avec lui et connaître le fond de ses pensées.
Elle en était ravie. Nous terminons nos courses et nous promettons de nous revoir dans quelques jours. Aziza était euphorique. Elle semblait sûre d’elle et était certaine que sa proposition allait trouver un écho favorable et chez moi et chez Fatten.
Mais cela ne sera pas le cas. Alors que nous dégustions notre thé, Fatten dévoile un pan de ses projets. Il devait rentrer à Istanbul où ses parents le réclamaient et reprendre certaines affaires de famille. Son père était un grand commerçant. Il affectionnait particulièrement les pierres précieuses et les tissus de luxe. Ses magasins étaient très réputés, et il sentait que le temps passait et qu’il devait initier son fils dans ce domaine qui l’avait autant passionné qu’enrichi.
Aziza, qui servait des gâteaux aux amandes, passe devant nous et frôle le jeune homme de sa main. Il sursaute et devient cramoisi. Ce qui confirmait mes doutes. Si c’était Aziza qu’on lui proposait en mariage, il n’aurait pas hésité à coup sûr à envoyer balader le commerce de son père et toute sa richesse pour l’épouser et vivre avec elle, loin de sa famille et de ces affaires pour lesquelles on l’appelait.
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