Économie Mourad Preure, Expert pétrolier international et président du cabinet Emergy

“Intégrer dans le paquet partenarial les énergies vertes est un choix stratégique”

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Ali TITOUCHE Publié 20 Juin 2021 à 09:17

© Archive liberte
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 Intégrer dans le paquet partenarial les énergies vertes est un choix stratégique qui présente pour nous le double intérêt de proposer une offre partenariale innovante et attractive pour les compagnies étrangères et d’autre part de bénéficier de la dynamique de celles-ci pour accélérer la transition énergétique dans notre pays et sécuriser nos approvisionnements énergétiques à moyen et long termes”, défend Mourad Preure.

Liberté : Le gouvernement vient de clôturer l’opération d’élaboration des textes d’application de la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Faut-il s’attendre au lancement d’un nouvel appel d’offres à l’adresse des investisseurs internationaux ou bien pensez-vous que Sonatrach va plutôt opter pour les discussions bilatérales avec les majors ?

Mourad Preure : La loi sur les hydrocarbures a été adoptée le 28 novembre 2019 par le Parlement et signée le 11 décembre de la même année par le président. Le gouvernement vient d’adopter les quatre derniers textes d’application de cette loi qui peut donc entrer réellement en vigueur. Notons d’abord le retard excessif depuis la signature de la loi et son entrée en vigueur, ce qui est un signal qui ne va pas améliorer l’image déjà brouillée de l’Algérie devant l’industrie pétrolière internationale. Mais cet impair n’est pas le plus grave, loin s’en faut. Notre pays a, malheureusement, durant près de vingt ans, connu une succession de décisions discutables touchant à la législation pétrolière. Alors même que nous étions réputés pour la prospectivité de notre domaine minier ainsi que la stabilité de notre législation pétrolière de 1986, qui n’a pas été touchée durant vingt ans, alors qu’en une année, nous avons modifié deux fois notre législation, en 2005 puis en 2006. Nous avons à nouveau modifié notre législation en 2013, accroissant son opacité et son inopérabilité. L’image de notre pays s’en est ressentie avec pour conséquence une désaffection des compagnies internationales et un effondrement du partenariat international dans l’amont algérien. Nous le verrons plus loin, au moment où l’investissement dans l’exploration-production dans le monde atteignait son pic historique ! 
À présent, il faut faire vite vu que notre production décline faute d’investissements, cela alors que la demande connaît une progression exponentielle. Pour le gaz, elle représente déjà 50% de notre production. Le consensus des experts nationaux estime que le risque est grand que nous disparaissions en tant qu’exportateurs, d’abord de gaz, puis de pétrole, au début de la prochaine décennie. La nouvelle loi reprend l’esprit de la loi de 1986 avec des adaptations vu les caractéristiques de nos gisements aujourd’hui, et la forte compétition des pays producteurs pour attirer les investisseurs. Je n’ai pas eu accès aux textes d’application, mais je n’ai aucune raison de douter qu’ils compléteront l’édifice juridique. 
Le gouvernement a indiqué qu’une campagne de promotion du domaine minier national avec un lancement d’appels d’offres était en préparation. Il reste à convaincre les partenaires potentiels dans un contexte de forte incertitude (robustesse de la reprise économique et donc de la demande, “sévérisation” des normes environnementales) et de baisse critique des investissements. Les innovations apportées par cette loi, particulièrement le retour au contrat de partage-production et la possibilité de négociations directes en vue de partenariats entre Sonatrach et des compagnies étrangères, devraient faciliter les choses. Il reste l’ambiance générale en Algérie ; la crise politique qui tarde à se résorber, le climat des affaires discutable et le poids de la bureaucratie qui constituent un frein pour une franche reprise du partenariat, ne nous cachons pas les réalités. 

Certains organismes, à l’instar d’Apicorp, estiment que la reprise des investissements dans le pétrole et le gaz en Algérie est tributaire de la capacité de la nouvelle loi à capter les investisseurs. Qu’en pensez-vous ?

La communication est ici essentielle. Il est pour le moins difficile de prendre pour repère l’appréciation de l’Apicorp considérant l’attractivité de notre pays pour le partenariat international. On pourrait résumer ceci par la formule : Bien faire, le faire savoir et laisser dire ! Les pétroliers n’ont pas d’état d’âme. 
Ils cherchent leurs intérêts, soit un risque minimum et une rentabilité maximum pour leurs investissements. Ajoutez au risque propre aux activités pétrolières (le risque géologique, le risque commercial, le risque financier) le risque juridique, alors même que le risque politique reste exagéré par la communication des compétiteurs (qui, pour nous discréditer auprès de nos clients gaziers européens, ont introduit même le doute sur le potentiel de nos réserves !) Sans une communication offensive convaincante et fondée sur une gouvernance aux standards internationaux, forcément vous risquez gros ! Si vous êtes sérieux, rigoureux et réaliste, les investisseurs viendront car nous avons des facteurs clés de succès inestimables, dont notre situation géographique, mais aussi et surtout, dans la perspective structurante de la transition énergétique, notre ensoleillement exceptionnel.

La nouvelle loi sur les hydrocarbures arrive dans un contexte international extrêmement changeant ; les majors, les banques et les États accélèrent dans la transition énergétique et se désengagent progressivement des énergies fossiles. Quelles sont les chances de succès de cette nouvelle loi ?

Les investissements dans l'exploration-production dans le monde ont baissé de 35% entre 2016 et 2019 et se sont à nouveau effondrés de moins de 168 milliards de dollars, soit -30% en 2020 par rapport à 2019 du fait de la pandémie, pour atteindre le niveau excessivement bas de 378 milliards de dollars. Ce niveau représente près de 43% de leur pic historique de 2014. Dans cette puissante baisse, les dépenses d'exploration (-41%) ont été les plus touchées. Les schistes, américains au premier chef, avec un recul de 52%, sont responsables de près de la moitié de la baisse de l'investissement dans le monde. Les États-Unis ont fortement souffert avec une baisse de plus de la moitié de leurs investissements. 
Selon l'Ifpen, les investissements devraient reprendre légèrement en 2021, sous réserve d'une reprise moyenne de l'économie mondiale, pour atteindre 416 milliards de dollars, ce qui représente moins de la moitié de leur niveau de 2014. Malgré les avertissements de l'AIE (Agence internationale de l’énergie), les dépenses d'investissement devraient reprendre solidement à l'avenir. L'Ifpen estime l'investissement nécessaire d'ici à 2040 à 14 500 milliards de dollars, dont 2 500 milliards de dollars d’ici à 2025, à raison de 525 milliards de dollars/an. En effet, l’AIE a enjoint les compagnies pétrolières d’arrêter tout investissement dans l’exploration-production et ne plus vendre de voiture thermique à l’horizon 2035. En mai, elle lance un véritable oukase aux compagnies pétrolières : “La baisse rapide de la demande signifie qu'aucune exploration n'est requise et aucun champ gazier et pétrolier nouveau n'est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés.” 
Accueilli fraîchement par les compagnies : le président de BP considérant que “c'est un scénario sur un morceau de papier”, alors que le président de Shell estime que “pour une longue période, nous nous attendons à continuer à fournir de l'énergie sous forme de produits pétroliers et gaziers pour répondre à la demande des clients et pour maintenir la solidité financière de l'entreprise”. Le président de Total n’en pense pas moins : “Dans la transition énergétique, il y a le mot transition, et je voudrais rappeler à tout le monde qu'aujourd'hui, nous vivons et notre économie fonctionne à 80% avec des énergies fossiles.” Et d’ajouter que sans investissement, les puits pétroliers perdent naturellement de leur rendement. En clair, l’industrie pétrolière n’est pas prête à céder aux injonctions des États OCDE qui inspirent l’AIE. Plus encore, le pétrole n’a pas encore dit son dernier mot, nonobstant tous les discours lénifiants sur la neutralité carbone. 80% de la croissance de la demande pétrolière viendront les trente prochaines années des pays émergents qui partent de très bas. Pendant longtemps, nous vivrons une incompressibilité de la demande pétrolière quoi que fasse l’électromobilité qui va agir en priorité sur la demande OCDE déjà stagnante. Il ne faut, cependant, pas se leurrer, la transition énergétique dissimule habilement une nouvelle géopolitique des ressources énergétiques favorable à l’OCDE et aux pays émergents, alors même que l’alarmisme des discours est fait pour affecter à court terme le pouvoir de négociation des producteurs et la solidité de leurs alliances.

Contrairement donc au discours ambiant au sein des pays de l’OCDE, vous pensez que les énergies fossiles ont encore de l’avenir…

Les hydrocarbures resteront jusqu’à la moitié  du siècle dans une moyenne supérieure à 50% de la consommation mondiale d’énergie, cela alors même qu’une sévère contrainte d’offre se profile à un horizon, d’autant plus rapproché que les investissements en exploration-production se sont effondrés comme nous l’avons montré. Il reste que les compagnies évolueront vers des portefeuilles comprenant hydrocarbures et énergies vertes. Nous ne pouvons tirer profit des tendances à l’œuvre et de la reprise de l’investissement que si nous intégrons cette mutation stratégique lourde des compagnies pétrolières en compagnies énergétiques orientées vers une neutralité carbone. Intégrer dans le paquet partenarial les énergies vertes est un choix stratégique qui présente pour nous le double intérêt de proposer une offre partenariale innovante et attractive pour les compagnies étrangères et d’autre part de bénéficier de la dynamique de celles-ci pour accélérer la transition énergétique dans notre pays et sécuriser nos approvisionnements énergétiques à moyen et long termes. Bien entendu, cela suppose que Sonatrach se renforce sur les plans managérial et technologique et opère sa mue, à l’instar des principales compagnies dans le monde, pour devenir une compagnie énergétique avec un équilibre dynamique de son portefeuille d’activités orienté structurellement vers la neutralité carbone et la satisfaction des besoins domestiques à moyen et long termes.

 

Propos recueillis par : Ali Titouche

 

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