Économie FAROUK NEMOUCHI, ÉCONOMISTE ET ANALYSTE FINANCIER

“Les banques vont devoir créer des salles de marché”

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Ali TITOUCHE Publié 29 Janvier 2022 à 23:48

© D. R.
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Liberté : La Banque d’Algérie vient de publier une note dans laquelle elle annonce la possibilité d’ouverture de comptes de trésorerie en devises. Quelle lecture pouvez-vous en faire ?
Farouk Nemouchi: La Banque d’Algérie autorise les banques à ouvrir des comptes de trésorerie en devises, en application du règlement relatif au marché interbancaire des changes et aux instruments de couverture du risque de change. Ce règlement est d’une extrême importance, car, il constitue une innovation financière majeure qui consacre l’insertion active des établissements financiers algériens dans la finance internationale et appelle par conséquent à de nouvelles pratiques bancaires.
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau système de change en 1995, les entreprises algériennes sont confrontées à un risque de change de transaction qui se manifeste lors des échanges commerciaux, faisant intervenir des règlements ou des encaissements en devises. Si le jour de règlement de la transaction, le dinar s’apprécie, le montant payé effectivement par l’importateur diminue alors que la somme encaissée par l’exportateur augmente. En cas de dépréciation c’est l’inverse qui se produit. 
La cascade de dévaluations et de dépréciations intervenue depuis la fin des années 1980 a entraîné la faillite de nombreuses entreprises. Face à ces incertitudes, il est devenu urgent de permettre aux entités économiques et financières de gérer l’impact des fluctuations du dinar. En autorisant l’usage de la couverture sur les différents marchés de change, la Banque d’Algérie permet aux banques de détenir des ressources en devises et de constituer des positions de change. 
Elles sont amenées à effectuer des prêts et des emprunts sur les marchés de devises et le marché monétaire soit pour fixer les cours à terme à leurs clients ou réaliser des gains à travers des opérations d’arbitrage, tel que l’arbitrage sous taux d’intérêt couvert. Ces pratiques représentent des innovations financières qui vont sensiblement modifier l’activité des banques, notamment à l’international.

Le risque de change est une des préoccupations majeures des opérateurs économiques. Dans quelle mesure les nouvelles dispositions de la Banque centrale constituent une réponse à cette préoccupation ?
Le traitement du risque de change est un processus qui comprend quatre phases : identification-mesure-gestion-prévision. En considérant uniquement la phase gestion, les nouvelles dispositions de la Banque centrale donnent l’opportunité aux opérateurs économiques, exportateurs et importateurs, de faire appel à des techniques de couverture et d’avoir par conséquent une plus grande visibilité et une meilleure réactivité. Elles ont la possibilité de mettre en œuvre trois familles de techniques de couverture : les techniques internes qui relèvent des choix propres à l’entreprise (monnaie de facturation, termaillage, compensation etc...) et les techniques externes qui font intervenir des organismes d’assurance et le système bancaire. 

Pouvez-vous être plus explicite sur ce sujet ?
Il s’agit, primo, de la couverture sur les marchés des changes au comptant ou marché spot. Ceci signifie que l’importateur désireux de se prémunir contre les variations de change conclut un contrat avec son banquier en achetant les devises correspondant au montant du règlement qui doit intervenir à une date ultérieure. Le cours retenu est celui affiché le jour de la conclusion du contrat. La banque est tenue de livrer à l'importateur les devises dans un délai maximum de 48 heures en date de valeur. En attendant la date prévue pour le règlement, cette somme peut faire l’objet d’un placement rémunéré selon les conditions de la banque. Il en est de même pour l’exportateur qui peut annuler son exposition au risque de change en fixant de façon définitive le montant de sa créance en devises en cédant à la banque dès aujourd’hui le montant de sa future recette. Le marché de change au comptant offre l’avantage de neutraliser les variations de cours quelle que soit leur évolution ultérieure. Cependant, le recours à ce type d’opération rend caduque le crédit consenti par le fournisseur et entraîne une immobilisation de trésorerie de l’entreprise qui peut gêner le financement de l’activité d’exploitation. Cela est vrai également pour l’exportateur qui se prive de moyens de trésorerie jusqu’à la date d’encaissement. Secundo, les opérateurs peuvent recourir à une couverture sur les marchés des changes à terme (forward). L’objectif principal de cette technique, largement répandue dans de nombreux pays, demeure la couverture des transactions commerciales contre le risque de change. Sur le marché à terme, les engagements d'achat et de vente de devises s'effectuent à un cours (taux de change à terme) déterminé dès la conclusion d’un contrat ferme et définitif et les devises achetées (importateurs) ou vendues (exportateurs) et leurs contreparties en dinar sont livrables à l’échéance. À la différence du marché au comptant, la couverture sur le marché à terme n’entraîne aucune immobilisation de trésorerie puisque la remise des dinars contre devises s’effectue à l’échéance et assure ainsi le bénéfice du crédit fournisseur. Le taux de change à terme étant préalablement fixé, les entreprises sont en mesure de déterminer à l'avance les prix des produits. La troisième couverture se rapporte aux marchés d'options de devises. Une option de change représente le droit, mais non une obligation d'acheter (option call) ou le droit de vendre (option put) contre dinar un montant défini de devises dans le futur à un prix fixé dès l'origine appelé prix d’exercice. L’option est dite “européenne”, car, elle ne peut être exercée qu'à l'échéance alors que celle dite américaine peut s'exercer à tout moment durant sa période d'existence. L'avantage d'une option devise sur une couverture par une opération de change à terme garantit à son acheteur ou son vendeur un cours établi au début de l’échéance tout en pouvant profiter de l’évolution future des cours. Si à la fin de la période d’existence de l’option, le cours du jour du dinar contre une devise donnée est plus favorable, l’importateur ou l’exportateur abandonne l’option et achète ou vend les devises au cours du jour. Dans le cas contraire, il demande l’exécution de l’option. L’achat d’une option donne lieu au paiement d’une prime payée à l’avance même dans le cas où elle n’est pas exécutée et le vendeur s'engage à satisfaire l'acheteur au cas où il exerce son droit. La valeur de la prime est exprimée en pourcentage du prix d'exercice. 

Comment les banques allaient-elles mettre les nouvelles dispositions de la Banque centrale à exécution ?
Elles vont devoir créer des salles de marché et former le personnel chargé de leur animation dans des métiers jusque-là inconnus en Algérie. C’est le cas notamment du métier de trader qui exige des compétences de haut niveau. Les responsables financiers et les gestionnaires de trésorerie des entreprises sont appelés à maîtriser les techniques de la gestion financière internationale afin qu’elles puissent mettre en place une politique de gestion du risque de change et communiquer efficacement avec le banquier. Pour assurer le succès de cette importante réforme, il appartient au préalable à la Banque d’Algérie de médiatiser sa portée et son contenu en menant un travail de sensibilisation et d’explication en direction des banques, mais aussi des entreprises. Il faut espérer que les modalités d’application de ce règlement soient précisées dans des délais raisonnables, car les entreprises nationales et l’économie du pays ont longtemps souffert des mouvements erratiques et imprévisibles de la valeur du dinar vis-à-vis des monnaies étrangères.
 

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE

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