Économie MOURAD LOUADAH, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE DES ÉNERGIES RENOUVELABLES À LA CGEOA

“l’état n’arrive pas à se défaire des énergies fossiles”

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Youcef SALAMI Publié 18 Septembre 2021 à 22:46

© D. R.
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Entretien réalisé par : YOUCEF SALAMI

Mourad  Louadah, expert  en  énergie, estime, dans  cet  entretien, que le gouvernement doit adopter une stratégie énergétique, reflétant une vision nouvelle pour pouvoir aller de l’avant.

Liberté : Le plan d’action du gouvernement comprend une série de mesures visant à promouvoir les énergies renouvelables. Quelle est votre appréciation à l’égard de ce nouveau programme ?
Mourad Louadah : L’intention du programme est bonne. Le gouvernement veut vraiment développer ce secteur, mais je crois que la question fondamentale qui se pose est la suivante : comment mettre en œuvre les objectifs visés, tout en développant une résilience face aux différentes crises et surtout en garantissant la sécurité énergétique du pays ? En d’autres mots, la volonté politique est présente, il faut cependant procéder par des mesures concrètes et applicables. Il faut sortir du modèle théorique pour aller vers celui de la pratique, afin de rattraper le temps perdu, ce qui n’est pas facile pour le moment. 
Seuls, les experts ou les acteurs économiques peuvent répondre, de manière très précise, aux questions sur les besoins particuliers et spécifiques, avec l’élaboration des cahiers des charges et le respect des normes universelles et environnementales. Le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, a, à maintes reprises, incité le gouvernement à la mise en œuvre du programme des ENR. Les vrais acteurs du secteur énergétique, des organisations gouvernementales, des représentants de l’administration ayant un lien direct ou indirect avec les énergies renouvelables doivent se mettre autour d’une table pour discuter de ce programme et le réussir. Ils peuvent le faire dans un cadre de B2G “Business to Government”. 
Par ailleurs, il faut absolument que ce programme soit porté sur la place publique,  qu’on brise le tabou et qu’on laisse le marché se constituer par lui-même. Cela est possible, à condition que l’État joue le rôle de stratège, de stabilisateur et de régulateur pour une relance et un renouveau économique national et non pas le contraire, comme on le constate aujourd’hui. Il est donc temps d’emboîter le pas au reste du monde et de reconnaître que les Algériens sont réceptifs à l’idée de développer une énergie verte. Il suffit de les sensibiliser et de les impliquer dans les actions relatives aux énergies renouvelables.

Comment traduire dans les faits les objectifs énoncés en matière de transition énergétique ? 
Le gouvernement doit, à mon sens, adopter une conception de stratégie énergétique, reflétant une vision nouvelle et aller de l’avant. En Algérie, les EnRs représentent évidemment un marché potentiel. Sauf que ce marché ne fonctionne pas de manière adéquate pour diverses raisons. Et, par conséquent, il n’est pas attractif. 
L’idée, aujourd’hui, est de mettre en place des règles de marché plus juste, plus compétitif et plus fiable, avec un écosystème favorisant la recherche et développement (R&D),   l’intégration des auto-producteurs et auto-consommateurs, la création de start-up, la mise en œuvre du réseau intelligent d’un système off-grid (le hors réseau est un système conçu pour aider les gens à fonctionner en autonomie et sans le soutien d’une infrastructure à distance), de l’efficacité et de la transition énergétique, les innovations technologiques, la mobilité électrique… Et, dans ce cadre-là, le pays peut développer plusieurs secteurs en lien avec les énergies vertes (un secteur attractif et créateur d’emplois) : investissement dans l’économie circulaire, diminution de l’empreinte carbone, réaménagement de nos bâtiments pour les rendre écologiques… 

Le secteur privé est un ressort essentiel du développement des énergies renouvelables. En Algérie, il n’y contribue que de manière marginale. Pourquoi, selon vous ?
En fait, si le secteur privé n’est pas présent dans les énergies renouvelables, ce n’est pas parce que le gouvernement ne veut pas, c’est parce qu’il ne sait pas comment l’y impliquer. En Algérie, la production de l’électricité est confiée en priorité aux acteurs de la chaîne gazière (transformation et production de l’électricité à base de produits fossiles) ; presque 99% de la production de l’électricité, dans le pays, provient majoritairement du gaz. Comme je l’ai déjà expliqué, le marché n’est pas attractif, car, l’État applique un prix administré du KWh produit à partir des turbines à gaz, au détriment de celui issu du renouvelable. 
Par ailleurs, la plupart des investissements consentis dans des filières SKD de l’encapsulation de cellules photovoltaïques, des panneaux solaires…, ne l’ont pas été dans le respect de la législation en vigueur. À ce jour, la puissance d’électricité verte installée est de moins de 500 MW, comparé aux 19 586 MW de puissance en énergie fossile installée (MEM 2017). Une question se pose cependant : quel serait le sort réservé aux acteurs ayant investi dans ce domaine et qui ont fait appel à différents crédits ? 

Quels sont les obstacles qui empêchent le développement des énergies renouvelables en Algérie ?
Le manque de visibilité dans le secteur est un premier obstacle, il nous empêche de faire des prévisions à moyen et long termes. En outre, l’État n’arrive toujours pas à se défaire des énergies fossiles. 
Deuxième obstacle : le modèle de subventions à l’énergie favorise le prix de l’électricité issue du fossile au détriment de celui de l’électricité d’origine renouvelable. Du point de vue du législateur algérien (voir la loi 02-01 sur l’électricité), cette subvention constitue une concurrence déloyale (voir également le bulletin officiel numéro 14 du conseil national de la concurrence). Néanmoins, cela ne signifie pas que nous devons abandonner les couches socialement et économiquement défavorisées de la population. Il faut, par ailleurs, de la confiance et de la transparence dans le marché de l’énergie et que les dispositions des lois soient appliquées de manière harmonieuse à tous les acteurs économiques du secteur sans exception. Il est, en outre, primordial de booster les systèmes hors réseaux qui ne nécessitent pas de gros investissements. 
Je pense aussi qu’il y a nécessité de donner plus d’autonomie à la commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) et que l’État accompagne les opérateurs souhaitant investir dans le renouvelable, à travers des mesures incitatives (crédits bancaires, impôts, taxes…) et l’établissement de modalités de contrats entre producteurs et distributeur sur une période de 20 années et plus.

Comment voyez-vous l’évolution de la transition énergétique et les énergies renouvelables en Algérie ?
Nous n’avons d’autre choix que de nous engager dans la transition et l’efficacité énergétiques. Il faut y impliquer tous les acteurs pour arriver à réaliser les objectifs suivants : ramener la part du renouvelable (solaire, hydrogène verte, éolien…) dans le mix énergétique à 30% à l’horizon 2030/2035, créer des smart city, développer la mobilité électrique, interdire la circulation des véhicules diesel au-delà de 2030 et mettre en place une banque Carbone. 
Nous sommes tenus d’honorer nos engagements contenus dans des accords relatifs au climat. Le non-respect de ces règles et des engagements pris impliquera, dans un futur proche, des sanctions financières et judiciaires. Chaque année, des pays s’efforcent de réduire leur empreinte carbone, et le nôtre ne devrait pas rester en retrait du monde en matière d’évolution des marchés du renouvelable.


 

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