Économie Crise de ressources et poids des créances irrécouvrables

Peur sur les banques

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Ali TITOUCHE Publié 03 Février 2021 à 22:44

© Archives/Liberté
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La place bancaire locale est en grave crise. Même s’elles demeurent encore solvables, les banques algériennes sont, pour la plupart, sous-capitalisées. La crise financière, la chute drastique des dépôts du secteur des hydrocarbures et le poids des créances douteuses font peser des risques réels sur le système bancaire national.

Les 18 banques de la place nationale subissent de plein fouet le choc pétrolier de 2014 et la rechute des cours amorcée depuis le début de l’année 2020, conjugués aux effets du ralentissement économique et du choc pandémique en présence. À fin 2019, alors que l’effet de la planche à billets commençait à s’estomper, les banques sont aussitôt retombées dans les difficultés ; celles-ci allaient se transformer carrément en goulot d’étranglement dès 2020, lézardant les espoirs de relance espérés en 2021. 

La Banque d’Algérie a fait part la semaine dernière d’une chute drastique de la liquidité globale des banques, à 476 milliards de dinars seulement à fin septembre 2020, avant de remonter légèrement, à 612 milliards de dinars, en novembre dernier. Les difficultés du secteur bancaire ont ressurgi dès le second semestre de 2019, en témoignent les situations mensuelles de la Banque centrale. Selon Rachid Sekak, ancien responsable à la Banque d’Algérie et fondateur du cabinet SL Finances, les données disponibles montrent que la situation est pour le moins “très tendue” et des “réformes sont plus que jamais urgentes”. 

Un point de situation du secteur bancaire à fin 2019, bâti sur une analyse des bilans des banques publiés par le CNRC (Centre national du registre du commerce), montre une contraction nette de la liquidité notamment pour certaines banques publiques.

Une analyse des deux postes “Dépôts clients” et “Prêts”, dont le premier totalisait des avoirs de l’ordre de 10 903 milliards de dinars à fin 2019, tandis que le second affichait un total engagements de 9 934,3 milliards de dinars, auxquels il faut soustraire les 10% des réserves obligatoires aux dépôts, permet de mieux comprendre l’ampleur de la contraction des liquidités. La situation est d’autant plus problématique pour les 6 banques publiques, dont les dépôts étaient de 9 369 milliards de dinars à fin 2019, alors que les prêts à la clientèle totalisaient 8 698 milliards de dinars seulement, qu’il a fallu une intervention, voire plusieurs, de la Banque centrale qui tentait tant bien que mal dès le début de 2020 de libérer la liquidité au moyen d’artifices monétaires. 

L’année 2020 a été marqué d’ailleurs par une baisse à trois reprises du taux des réserves obligatoires (TRO) ; la Banque d’Algérie allant jusqu’à dispenser les établissements de la place de l’obligation de constituer “un coussin de sécurité” après avoir baissé le TRO de 10 à 3%. 

Par ailleurs, le bilan du secteur bancaire de 2019 relance le débat sur la rentabilité des banques, dont le ratio se situe autour de 3%, ce qui ne permet pas de constituer des provisions suffisantes leur permettant de couvrir les pertes et/ou de faire des réserves pour augmenter leur capital. Ce pourquoi la Banque centrale était intervenue à trois reprises courant 2020 pour baisser le TRO, allant jusqu’à dispenser les établissements de cette obligation. C’est que certains n’était même pas en mesure de constituer des réserves, faute de rentabilité.

Fusions, cessions ou disparition 
Cela explique aussi plus clairement pourquoi certaines banques n’ont pas pu répondre à l’obligation de porter leur capital à 20 milliards de dinars à fin 2020, en application du règlement n°18-03 du 4 novembre 2018, relatif au capital minimum des banques et établissements financiers exerçant en Algérie. À fin 2019, le montant net des provisions et pertes de valeurs sur créances irrécouvrables des banques publiques était de 164 milliards de dinars (1,4 milliard de dollars calculé sur le taux de change de fin 2019, soit 119 dinars pour 1 dollar), alors que le montant était de 22 milliards de dinars (185 millions de dollars) seulement au niveau des banques privées.

Cependant, le ratio des provisions par rapport aux fonds propres, estimé à 13% pour les banques publiques et 8% pour les banques privées montre que le coût du risque est plus élevé pour les banques publiques que pour les banques privées. La situation est moins tendue pour les banques privées qui collectent des ressources importantes et gèrent plus activement leurs bilans. Les écarts en matière de flux net de provisions par rapport aux fonds propres sont saisissants d’une banque à une autre et ce ratio va de 0 à 20%.

Deux banques privées ont clôturé l’exercice 2019 avec un ratio de 0%. Le choc pandémique de 2020 n’a fait que compliquer davantage la situation à tel point que certaines banques, sous peine de disparaître de la place, n’ont d’autre choix que de fusionner pour pouvoir augmenter leur capital à 20 milliards de dinars après que la Banque d’Algérie a prolongé le délai légal prévu à cet effet jusqu’au 30 juin 2021. Par ailleurs, la part de marché des banques islamiques (Al-Salam Bank et El-Baraka Bank) reste très faible, à 2,50% des dépôts, des prêts et de la capitalisation de la place. Celle-ci était de 1 438 milliards de dinars (12 milliards de dollars) à fin 2019, à laquelle les banques privées participaient à hauteur de 310 milliards de dinars (soit 2,6 milliards de dollars).

Le secteur bancaire reste tout à la fois marqué par une forte contraction des liquidités, une faible rentabilité économique et une maigre capitalisation, nécessitant son renforcement. Cette situation alimente la conjoncture de contrainte budgétaire et financière que traverse le pays qui s’est intensifiée ces deux dernières années. L’indicateur le plus visible étant le tarissement important des ressources et la baisse continuelle du niveau des liquidités que même les multiples interventions de la Banque centrale n’ont pu enrayer. La marge de manœuvre du gouvernement s’annonce ainsi très étroite. 
Le besoin de réformes n’a jamais été aussi pressant.

Ali Titouche

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