Économie FAROUK NEMOUCHI, ÉCONOMISTE ET EXPERT EN FINANCES

“POUR LES ENTREPRISES, L’INFLATION REPRÉSENTE UN GRAND DILEMME”

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Ali TITOUCHE Publié 25 Juillet 2021 à 20:48

© D. R.
© D. R.

Liberté : L’Office national des statistiques a levé le voile récemment sur un taux d’inflation en nette hausse en mai, en moyenne annuelle. Les variations à la hausse ont concerné essentiellement les produits alimentaires frais et industriels. De quelle manière ces hausses affectent-elles le pouvoir d’achat des ménages ?
Farouk Nemouchi : Les taux d’inflation annoncés par l’ONS déroutent la grande majorité des Algériens qui estiment que l’inflation calculée est inférieure à l’inflation ressentie et par conséquent ne reflète pas la dégradation de leur pouvoir d’achat. Cette réaction est tout à fait légitime en raison des limites inhérentes à la méthodologie de calcul du taux d’inflation utilisée par l’ONS qui n’a pas évolué depuis 2001, alors que la structure de la consommation des ménages algériens a sensiblement changé au cours de ces vingt dernières années.
Il en est ainsi de l’achat de biens et services se rapportant aux nouvelles technologies : téléphone mobile, internet, acquisition d’équipement informatique à usage personnel. Un calcul plus objectif de l’indice des prix requiert une actualisation du panier de biens et services qui sert de base à la mesure de l’indice des prix à la consommation portant à la fois sur sa composition et les pondérations censées refléter le poids de chaque bien et service dans la dépense de consommation. Cette démarche contribue à atténuer la frustration des citoyens qui sont persuadés qu’ils subissent une perte de pouvoir d’achat que n’expriment pas les statistiques publiées par l’ONS.
Pour revenir à votre question, il y a lieu de mentionner le taux d’inflation annuel moyen sur la période juin 2020 à mai 2021 qui est de +3,9%. Ce taux est une moyenne globale qui ne rend pas compte de manière différenciée de la perte de pouvoir d’achat selon que l’on soit riche ou pauvre. L’évolution des prix des biens alimentaires est de +6,8% et sachant que le poste alimentation représente 41,8% du budget des ménages algériens, ce qui fait que toute hausse des prix des produits qui composent ce poste affecte sérieusement le niveau de vie des citoyens. Cet impact est ressenti beaucoup plus par les populations les plus vulnérables car, selon la loi énoncée par le statisticien allemand Engel, la part du revenu destinée aux dépenses alimentaires est d'autant plus élevée que le revenu est faible.
Ce sont donc les titulaires de faibles revenus parmi les salariés et les retraités qui pâtissent le plus de l’augmentation des prix des denrées alimentaires puisqu’ils doivent consacrer un budget plus important pour la satisfaction de leurs besoins. Et ce d’autant plus qu’ils ne peuvent pas, contrairement aux entrepreneurs, aux banquiers, aux commerçants et aux professions libérales, modifier leurs revenus qui demeurent fixes. Le principal enseignement à tirer de la cherté des produits alimentaires est de lancer une politique agricole qui porte une attention particulière sur les produits qui pèsent lourdement sur le budget des ménages les plus fragiles et qui sont les plus inflationnistes. Si l’inflation s’installe dans la durée, elle aggrave les inégalités sociales et représente un frein à un développement inclusif. Cet objectif doit être érigé en priorité nationale car il garantit la sécurité alimentaire de l’Algérie et protège le pouvoir d’achat des démunis

Les entreprises sont également affectées de manière directe et indirecte par cette tendance haussière de l’inflation, à travers à la fois la hausse des coûts des intrants importés et une dépréciation ininterrompue du dinar. Quelle est votre analyse à ce sujet ?
Pour les entreprises, l’inflation représente un grand dilemme. Elle entraîne la hausse des coûts des matières premières et autres intrants et pour préserver leur rentabilité, elles sont incitées à augmenter leurs prix. Néanmoins, si la hausse des prix ne s’accompagne pas d’une revalorisation des salaires, elle détériore le pouvoir d’achat des consommateurs et il en résulte un problème d’écoulement de leurs productions. Il faut ajouter à cette contrainte, un manque de visibilité pour les entreprises en raison de la difficulté à prévoir les prix de leurs produits et par conséquent elles sont moins enclines à investir. L’inflation affecte aussi la compétitivité externe des entreprises nationales lorsqu’il existe un différentiel d’inflation défavorable à l’Algérie vis-à-vis de ses partenaires commerciaux, et il en découle in fine une dépréciation du taux de change du dinar. Enfin la hausse de l’inflation conduit les banques à augmenter les coûts des financements accordés aux entreprises.

Le ministre des Finances avait annoncé au début de l’année une mise en œuvre de la réforme des subventions généralisées dès le second semestre. Bien que des avantages sont à mettre sur le compte de cette réforme, elle ne risque pas d’être sans conséquences sur le pouvoir d’achat. N’est-ce pas une arme qui risque d’être à double tranchant ?
La politique des subventions des prix des produits de première est un facteur important de la stabilité sociale dans le pays. Sa remise en cause entraînera dans les mois et les années à venir une plus grande paupérisation et portera le coup de grâce aux classes moyennes.
Les algériens sont échaudés par l’amère expérience vécue dans les années 90 suite à l’application de la politique de la vérité des prix qui s’est traduite par un taux d’inflation annuel de 30%. Certes, la révision du système de subventions s’impose car des lobbies d’affaires ont exploité ses failles pour détourner à leur profit une partie importante des ressources budgétaires. Il serait injuste de faire supporter la politique de réduction du déficit budgétaire aux salariés et aux retraités qui ont déjà perdu 22% de leur pouvoir d’achat entre 2015 et 2020. Si le gouvernement souhaite agir sur le déficit budgétaire, il devrait commencer par réexaminer tous les avantages fiscaux, financiers et autres privilèges à des entreprises qui ne participent pas à la croissance économique et sont responsables de la majeure partie de la dette publique interne.
 

Propos recueillis par : A. TITOUCHE

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