Économie Stratégie industrielle et relance économique

Pour un re-engineering économique global de l’Algérie

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Lies GOUMIRI Publié 02 Décembre 2021 à 09:45

Par :  Dr Lies GOUMIRI

Il y a nécessité de procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation et de dresser, le cas échéant, un constat d’échec pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale.


Regard sur la situation actuelle du pays 
Sur le plan général, l’Algérie n’est pas à l’abri des périls qui la guettaient en 1990 et n’a pas trouvé à ce jour la voie de sortie irréversible d’une crise multidimensionnelle aiguë. L’Algérie est en sursis. Diminuer notre dépendance vis-à-vis des exportations d’hydrocarbures et bâtir une économie capable d’assurer un développement durable du pays avec nos élites, nos entrepreneurs, nos agriculteurs, nos techniciens, nos cadres, nos ouvriers et nos artisans, n’ont pas été au centre de l’action de nos gouvernants, un seul programme comptait réellement : les recettes d’exportation d’hydrocarbures.
Pour preuve, aujourd’hui, l’économie nationale est toujours aussi fragile, loin d’être consolidée avec une production nationale encore plus dégradée par l’ouverture incontrôlée aux importations de services et de biens de consommation.  Si la manne pétrolière a permis à l’Algérie d’effacer une énorme dette de consommation anarchique et d’engager des dépenses d’infrastructures jamais égalées conçues et réalisées pour la plupart par des entreprises étrangères.
J’affirme cependant que nous pouvons continuer à investir autant de milliards de dollars sans connaître de développement durable, voire régresser, comme nous le constatons aujourd’hui, sur le niveau de contribution de l’industrie au PIB.
Aujourd’hui, ajouté à la crise de confiance exprimée par le Hirak, une chute drastique des revenus pétroliers et une crise sanitaire dévastatrice viennent secouer brutalement l’Exécutif qui doit concevoir en urgence une nouvelle politique économique de relance.

Quelles actions urgentes pour une sortie de crise ? 
Il faut d’abord affronter puis vaincre, coûte que coûte, la crise sanitaire pour atteindre l’immunité collective qui permette un retour progressif à des conditions normales de vie. Il y a ensuite à établir un état des lieux pour mesurer l’ampleur du sinistre économique avant de concevoir une sortie et proposer une manière de rebondir ?
Parlons d’abord des mesures qui sont à notre portée. Il est aisé de démontrer que nos habitudes et notre mode de consommation sont surfaits. Analysons ensemble, d’une part, quelques composantes de nos importations courantes : les denrées, le papier, le bois, les lubrifiants, les automobiles et, d’autre part, la consommation intérieure d’énergie électrique. 
    1. Les produits de base de notre consommation courante de sucre, de café, de farine de panification, de corps gras bruts, de mélasses, de bitumes, de produits chimiques et pharmaceutiques, de la poudre de lait sont en majeure partie importés et cela s’appelle ici “les importations structurelles”. Nous devons changer quelque peu nos habitudes de consommation, puis chercher à les réduire mais aussi en produire localement une partie et enfin en produire ailleurs à l’instar de ce que font nombre de pays.
    2. La bureaucratie algérienne, en plus d’être un frein au développement économique du pays, est consommatrice de quantités phénoménales de papier que nous ne produisons pas tandis que les supports électroniques peinent toujours à se substituer à la paperasse.

3. Le carburant automobile. Le degré de pénétration GPL carburant pourtant abondant et disponible en Algérie, reste manifestement minime pour un parc avoisinant aujourd’hui plus de 6 millions de véhicules. 
4. La transition énergétique et la réduction de la consommation d’énergie électrique, à l’ordre du jour dans tous les pays, ne sont pas présentées comme un enjeu capital et stratégique en Algérie. On parle depuis 40 ans d’énergies renouvelables avec un commissariat en 1980 puis récemment un ministère à part entière et enfin des effets d’annonce de réalisation de milliers de mégawatts solaires. Si je devais faire un constat d’auditeur sur 1980/2021, je dirais simplement : quel scandale technologique, quel gaspillage !  
Par ailleurs, en matière de réduction de la consommation d’électricité, l’isolation thermique dans la construction n’est pas inscrite comme priorité. Ainsi, malgré de nouvelles centrales électriques thermiques, Sonelgaz ne pourra en définitive jamais couvrir la croissance effrénée de la consommation nationale.  
5. L’industrie automobile. Sonacome a créé PVP dans les années 1970 chargée de la production automobile. Depuis un demi-siècle nous avons importé des quatre coins du monde (Europe, Amérique latine, Asie) des centaines de milliers de véhicules circulant dans des villes sans parking et sur des routes dégradées. Aujourd’hui, nous sommes ramenés à débattre sur des quotas d’importation de véhicules.  Durant un demi-siècle, l’État a omis d’assurer aux citadins un service public de transport en commun adéquat pour dissuader les ménages de se doter d’un véhicule pour chacun des membres majeurs d’une même famille. Depuis les années 1970, la paralysie de la circulation urbaine n’a pas cessé de s’amplifier et qui coûte par année au pays l’équivalent de plusieurs centaines de mètres linéaires de métro.  
6. L’industrie pharmaceutique. Serais-je provocateur en évoquant la fable de La cigale et la fourmi ? Saidal, fleuron de l’industrie pharmaceutique algérienne, ainsi que l’Institut Pasteur, se trouvèrent tous deux, après un demi-siècle, fort dépourvus lorsque la pandémie fut venue. En revanche, j’observe et compare en la matière deux pays du tiers-monde, pourtant bien moins lotis que nous : Cuba et la Jordanie. Et cela se passe de tous commentaires !
7. La gestion intégrée de l’eau. L’Algérie dispose d’un plan de gestion intégré de l’eau certes ! Quant à sa mise en œuvre réelle, il n’est pas sérieusement engagé. Il est urgent, compte tenu de la rareté des ressources hydriques, de mieux planifier et d’optimiser l’utilisation de l’eau à long terme et surtout :  
l Renforcer la cohérence de la politique de l’eau avec la politique agricole.
l Généralisation de l’utilisation des eaux usées retraitées (nettoyage, incendies, industries, arrosage) 
l Rehausser le niveau de qualification et des moyens de l’encadrement technique du secteur
l Améliorer sensiblement et en urgence la gestion du réseau et la qualité des services dans la distribution  
l Recourir systématique à la récupération des eaux de ruissellement. 
8. Réforme et modernisation de l’administration fiscale. Depuis plusieurs décennies la Bird souligne en vain, les faiblesses du système fiscal algérien et qui encourage le développement du marché informel et creuse les inégalités sociales.  
Ces quelques exemples illustrent bien que nous n’avons pas mené les actions urgentes celles qui pourtant, sautent aux yeux et qui sont logiquement à notre portée. Aucun changement ne viendra sans une modification radicale du mode de gouvernance qui a traversé successivement cinq décennies, d’un système de complaisance qui paralyse l’initiative et qui reproduit inéluctablement les mêmes schémas.  

Quelle stratégie industrielle pour l’Algérie ?
Pour répondre à cette question, rappelons qu’il y a eu les états généraux de l’industrie algérienne en 1986 puis en 1995 avec des grandes orientations : restructuration et filialisation des EPE puis les privatisations suivies en 2000 par le développement des PME/PMI et en vain, une politique attractive pour les IDE et plus récemment le terme start-up surgit. De tout cela quel bilan et quels résultats ?
Après le programme étatique volontariste d’industrialisation tous azimuts des années 70 et l’injection de centaines de milliards de US$, l’Algérie s’est-elle pour autant industrialisée ? Le schéma directeur des industries industrialisantes des années 70 a vécu, le schéma directeur de la production en substitution aux importations est frappé de désuétude celui des privatisations et des investissements directs étrangers (IDE) a montré tout autant ses limites. Aujourd’hui, d’aucuns pensent encore que les USA, l’Europe, la RP de Chine pourraient tirer d’affaires l’Algérie. Arrêtons l’errance et comme dit l’adage : “Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va.” Nous n’avons ni plan A, ni plan B, ni 3e voie. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous ne changeons pas de système : l’économie rentière.
Si vous observez les grands chantiers qu’ouvrent les grandes puissances, accompagnés de montants d’investissement exorbitants pour relever le niveau des infrastructures et pour réindustrialiser leurs pays à l’instar des USA et de la France, vous comprendrez alors la tendance mondiale. Relocaliser et industrialiser, ce sont les conséquences, entre autres, de cette terrible pandémie. L’interdépendance, les délocalisations et l’usine du monde sont désormais remises en cause pour d’autres termes d’échange plus introvertis. 
L’Algérie n’échappera pas à cette tendance et doit entreprendre, à marche forcée, un programme ambitieux et offensif d’industrialisation mais surtout pas de la manière d’autrefois. C’est là que réside le grand tournant pour notre pays.
Il faut d’abord être qualifié pour comprendre ce qu’est un processus d’industrialisation pour pouvoir suggérer des solutions applicables en Algérie, dans une société en mutation après 50 années d’errance. Et la réponse viendra des Algériens, qui doivent apporter de vraies réponses. 
Pour ma part, j’ai suivi de l’intérieur le parcours du processus d’industrialisation du pays, de 1970 à ce jour, et je souhaite apporter des pistes de réflexion.
Je commence par poser quelques questions simples :
1/ Après 50 ans de processus d’industrialisation, sommes-nous industrialisés ? Qu’avons-nous réellement capitalisé en savoir-faire et développement industriel ?
2/ Quels produits, techniques et services sommes-nous arrivés à maîtriser dans la compétitivité internationale ?
3/ Avons-nous une base solide pour investir et bâtir une industrie nationale prospère ?
4/ Disposons-nous d’une masse critique de techniciens formés, avec laquelle nous pouvons édifier une industrie ?
5/ Nous sommes aujourd’hui totalement dépendant de l’ingénierie étrangère. Comment nous en sortir seuls ?  
6/ Les sociétés étrangères exportatrices de biens et de services, qui ont gagné plus de 600 milliards de dollars ces 20 dernières années, qu’ont-elles apporté à l’ingénierie locale ? Quels transferts de savoir-faire ont-elles opérés ?
En tentant de répondre simplement à ces questions on découvre les pistes à suivre et surtout les chemins à ne plus emprunter. 
Notons que d’autres pays, en moins d’un demi-siècle, ont atteint des niveaux exemplaires de qualification notamment la Turquie, le Vietnam, le Brésil, la Corée du Sud… Avec consternation, je dirais qu’il s’agit d’un crime économique et les futures générations nous ne le pardonneront jamais.   
Même si les expériences ne sont pas transposables, il faut d’abord observer comment d’autres pays en quête de technologie dans les années 1970, ont réussi leur examen. C’est une condition nécessaire mais non suffisante car : Les PMI algériennes n’ont pas connu un véritable soutien à l’instar de celles de pays comme l’Italie des années 1970, plus récemment dans les années 1980, l’Inde, le Brésil, la Turquie où soit les régions, soit l’état central offraient d’importantes facilités aux PMI pour leur assurer une croissance rapide et une intégration dans les processus d’industrialisation avec des grandes entreprises locales ou étrangères.  
Résultat probant : où se placent aujourd’hui ces pays dans le classement mondial ?  

L’Algérie porte en elle tous les éléments de blocage qui lui interdisent toute réussite
L’ouverture tous azimuts aux importations a laminé la production nationale, rehausser le niveau de corruption et permis ainsi la constitution d’immenses fortunes sans contrepartie essentiellement dans l’informel. Aujourd’hui, il s’agit d’abandonner totalement le système précédent pour en adopter un nouveau. Pour cela, comme nous ne pouvons pas changer de société alors il est impératif de procéder à une ré-ingénierie économique complète du pays. 
La solution de ré-ingénierie ne peut s’appliquer que si un pays est résolu et/ou contraint à changer en profondeur son système de gouvernance. Il n’y a aucune possibilité de changement dans la continuité. 
Si on me demande “mais alors, que faire ?” Je serais tenté de pointer des lignes directrices suivantes :
l Rassembler les hommes de l’art, les compétences nationales ainsi que les non-résidents et bâtir un programme grandiose de réforme durant au moins une année.
l Dresser un business plan industriel sur une décennie et planifier une réforme de la gouvernance. 
l Densifier la matrice industrielle dans la production de biens et services techniques.
l Doter le pays d’une couverture sanitaire réelle et booster la production pharmaceutique.
l Rehausser la qualification à tous les niveaux, en incluant la formation continue.
l Engager des partenariats d’exception à long terme avec certains pays européens, les États-Unis, la République populaire de Chine, la Corée, l’Inde, la Russie, le Brésil…
l Adapter nos lois et nos codes pour entrer dans le monde moderne et attirer des partenaires techniques et des investisseurs.
l Modifier le code des marchés publics pour plus d’intégration nationale.
l Fusionner le ministère du Commerce avec celui de l’Industrie.
l Développer activement nos capacités nationales d’ingénierie.
l Investir dans des sociétés étrangères qui disposent de technologies nécessaires à l’Algérie.
l Tirer de vrais profits de nos représentations diplomatiques, s’assurer des compétences des diplomates avec des obligations de résultats.
l Placer le projet du port-centre de Cherchell au cœur de la stratégie de relance économique nationale, continentale et internationale. Élargir le processing international dans les zones industrielles connexes. 
l Placer les pays africains subsahariens parmi nos partenaires commerciaux privilégiés. 
l Accroître sensiblement nos moyens logistiques (supply chain) et de transport (maritimes, ferroviaires...).
l Décentraliser en responsabilisant les régions, miser sur le développement local.
l Généraliser la formation continue à tous les niveaux.
l Rehausser le niveau technique des cadres de l’administration avec la généralisation du numérique. Nombre d’observateurs étrangers s’accordent à dire que l’Algérie sera, dans le futur, un grand pays par sa jeunesse, ses richesses, ses ressources humaines et sa place privilégiée en Afrique du Nord. Pour ma part j’y adhère pleinement à condition que le futur devienne aujourd’hui.  
Se mentir les uns les autres ou se cacher la réalité nous entraînera irrésistiblement vers d’autres épreuves tragiques. Pour cela, nous devons procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation et dresser, le cas échéant, un constat d’échec pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale, tels que éducation-formation, santé, stratégie industrielle, modernisation de l’agriculture, culture financière des acteurs économiques, efficacité de l’administration, relance et croissance des entreprises, réduction des déséquilibres régionaux et inégalités sociales, formation civique et politique de la jeunesse et tant d’autres domaines… 
Pour conclure, je crois que le peuple algérien a d’énormes ressources et serait capable de réagir, à l’instar d’autres peuples d’Asie ou d’Europe de l’Est qui ont su conjuguer la modernité, l’émancipation par le travail et la mise à niveau mais souvent après un changement radical de type de gouvernance. J’ose imaginer une Algérie où les nouvelles générations vivraient confiantes et heureuses, dans leur pays, sans jamais imaginer un seul instant d’être un jour des harraga, et où nous assisterons à un retour volontaire progressif des expatriés. 
Nous devons impérativement recomposer nos valeurs et nos principes pour reconstruire une société algérienne moderne et ouverte à la culture, au développement économique, aux nouvelles technologies et réunir les conditions favorables à l'épanouissement du génie national. Notre salut nous le trouverons par l’application d’une politique volontaire et pragmatique qui réponde pleinement aux aspirations du Hirak.  
En définitive, le mal est en nous et notre mode de gouvernance est seul responsable de nos échecs.

 

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