Magazine Ils devront faire face aux incertitudes d’un ajustement économique

La peur des Cubains

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AFP Publié 02 Janvier 2021 à 20:21

© D. R.
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“Tout le monde est inquiet, le Cubain a peur !” : comme la plupart de ses concitoyens, Yusbel Pozo, un homme d’affaires de 36 ans, attend avec appréhension le retentissant ajustement économique qui commence ce 1er janvier dans l’île caraïbienne.

Les Cubains se sont réveillés ce Nouvel An avec une forte augmentation des salaires (525% au minimum) et retraites, mais avec une hausse tout aussi vertigineuse   des prix des produits de base, conjuguée à une réduction des subventions d’État. 2020 a été “une année totalement difficile, mais nous avons gagné ensemble”, a déclaré le président Miguel Diaz-Canel vendredi sur Twitter. “(...) Ensemble nous allons aussi gagner en 2021”, a-t-il assuré, au premier jour de cette réforme économique en forme de bouleversement.

L’objectif est d’accompagner le processus de fusion en 2021 des deux monnaies du pays : le 1er janvier, le peso convertible (Cuc), aligné artificiellement sur le dollar et créé il y a 26 ans à destination des touristes, commencera à être retiré de la circulation, pour disparaître d’ici à six mois. Ne restera que le peso cubain (Cup), qui vaut 24 fois moins actuellement. 
   
Champion à 200 dollars 
La réforme des salaires établit 32 barèmes selon le type d’activité professionnelle et fixe un plafond de revenus à 9 510 pesos cubains (396 dollars). Le salaire minimum mensuel se voit multiplier par cinq, passant à 2 100 pesos cubains (87 dollars). Parmi ceux qui auront les plus hauts salaires, on trouve les gouverneurs (375 dollars), soit 183 dollars de plus qu’un ingénieur en informatique ou 123 dollars de plus que le directeur financier d’une entreprise publique.

Un médecin recevra un salaire équivalent à 210 dollars, semblable à celui d’un journaliste, d’un enseignant ou d’un dresseur d’animaux de cirque. Les salaires de base des sportifs, dont beaucoup sont des personnalités de premier plan, seront calculés en fonction de leurs résultats. Ainsi, un médaillé olympique recevra 5 590 pesos (232 dollars) et un médaillé mondial 4 845 (203 dollars).

Pour le gouvernement, la réforme vise notamment à favoriser les embauches, à promouvoir les postes à responsabilités et à résoudre le problème de la pyramide des salaires inversée. En mettant fin à la cohabitation entre les deux monnaies, en vigueur depuis 26 ans, le gouvernement souhaite par ailleurs rendre plus lisible et attractive l’économie de l’île aux yeux des investisseurs étrangers.

Depuis l’annonce de la réforme il y a quelques semaines, le gouvernement multiplie les explications sur les médias d’État afin de préparer ses citoyens au “jour zéro”. Pour le businessman Yusbel Pozo, l’avenir reste néanmoins “incertain”. “Nous ne savons pas ce qui va se passer”, dit-il, perplexe. Les autorités ont prévu une augmentation générale des prix de 160% et s’attendent à ce que les entreprises privées augmentent leurs prix de 300% ou plus.  
    
Dollarisation et inflation ?  
Des protestations se sont déjà exprimées sur les réseaux sociaux suite à la hausse de l’électricité annoncée, que le gouvernement a finalement revue à la baisse en début de semaine. Selon le gouvernement, le salaire minimum de 2 100 pesos couvre 1,3 panier de base. Mais l’économiste Ricardo Torres, de l’Université de La Havane, rappelle que ce calcul a été fait en juin 2019, avant la pandémie planétaire de Covid-19 en 2020 et la forte pénurie de produits la même année.

“Nous avons eu de nombreux groupes de travail pour analyser les différentes questions de ce grand changement”, mais il y a des aspects de l’économie sur lesquels le gouvernement n’aura pas prise, estime M. Torres.

L’universitaire critique le risque d’une dollarisation accrue de l’économie cubaine. Mettre plus d’argent dans le système “sans augmentation des biens et des services peut déclencher une inflation supérieure à ce qui est prévu”, met-il en garde. Ce douloureux ajustement économique intervient après une chute du PIB de 11% en 2020, la pire chute en 27 ans, conséquence de la pandémie sur l’industrie du tourisme et du durcissement du blocus américain sous l’administration de Donald Trump. 

Sans le Cuc convertible, et ses réseaux de commerce utilisant cette monnaie (où on trouve quantité de produits de consommation quotidienne), “comment les ménages vont-ils accéder aux devises étrangères ?” s’interroge aussi l’universitaire. “Vous les jetez sur le marché noir, mais vous dites que vous ne voulez pas de marché noir... c’est une contradiction et donc une vulnérabilité” de cette réforme économique, pointe-t-il.

Le gouvernement a énormément réfléchi à sa réforme, mais “dans ce jeu d’échecs, nous ne tenons pas compte de tout ce que les ménages obtiennent par le biais du marché informel et il n’y a pas de contrôle des prix”, résume-t-il. “Mes enfants ne peuvent pas manger de bonbons ou de biscuits en ce jour des  Rois Mages.

Tout est en dollar”, déplore Ariadna Rodríguez, ouvrière de 28 ans qui n’a pas la chance de faire partie des 50% de Cubains recevant des devises étrangères de la famille à l’étranger. “J’espère qu’ils se rendent compte qu’ils nous écrasent beaucoup”, lâche-t-elle. 
 

Leticia PINEDA/AFP

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