Magazine Gülbahar, ouïghoure de 54 ans, raconte sa détention

“Rescapée du goulag chinois”

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AFP Publié 03 Mars 2021 à 19:42

Gulbahar Haitiwaji à son domicile de Boulogne-Billancourt. © D.R.
Gulbahar Haitiwaji à son domicile de Boulogne-Billancourt. © D.R.

Gülbahar Haitiwaji s’attendait à une réaction de Pékin à la publication de son témoignage, Rescapée du goulag chinois. Mais “pas à ce point, pas sur sa vie privée”. “Terroriste”, “séparatiste”, paresseuse à la vie privée “chaotique”, proférant des “mensonges”... : les autorités chinoises ne mâchent pas leurs mots contre cette femme ouïghoure de 54 ans qui a raconté près de trois années de détention dans sa région natale du Xinjiang (nord-ouest de la Chine). 

Paru en janvier, l’ouvrage, coécrit avec la journaliste française Rozenn Morgat, est en cours de traduction, notamment en anglais. Lorsqu’en novembre 2016 son ancien employeur en Chine, une compagnie pétrolière, lui demande de rentrer pour des formalités relatives à sa retraite, Mme Haitiwaji vit depuis dix ans en France. 

Avec ses deux filles, elle y a rejoint son mari, Kerim, un ingénieur parti quatre ans plus tôt, las des discriminations ethniques, indique-t-elle à l’AFP. Il est alors réfugié politique en France, pas elle, qui “ne fait pas de politique”. Elle a gardé la nationalité chinoise et est même plusieurs fois retournée au Xinjiang voir sa famille. 
 
Faux aveux 
Cette fois, elle hésite. Elle prend néanmoins un billet d’avion pour un séjour de quinze jours. Il va durer presque trois ans, jusqu’en août 2019, selon son récit.  Privée de passeport à peine arrivée, elle va connaître à partir de janvier 2017 la maison d’arrêt, suivie du “camp”, les interrogatoires, “l’endoctrinement” onze heures par jour sous le contrôle de geôliers qui “punissent” à la moindre faute, les chaînes aux pieds, la faim, la peur, “l’échine qu’il faut courber”, “les faux aveux qu’il faut livrer”... brandis aujourd’hui par Pékin comme preuve de ses mensonges.

“Je n’ai dit que la vérité. Je m’attendais à ce que la Chine nie tout. C’est pour cela que dans le livre j’explique tout le contexte des aveux, comment ils m’ont fait répéter des jours et des jours (...) Je voulais juste partir de cet endroit, et n’importe qui aurait fait comme moi”, explique-t-elle. 

Selon des études d’instituts américains et australien, au moins un million de Ouïghours, minorité turcophone et majoritairement musulmane, ont été internés dans des “camps” du Xinjiang, ce que Pékin réfute. Les autorités affirment avoir construit des “centres de formation professionnelle” pour aider la population et l’éloigner de l’extrémisme, dans cette région sous très haute surveillance après des attentats islamistes. 

Mais pourquoi “former” une diplômée de l’Université du pétrole, vivant en France ? s’interroge Mme Haitiwaji. Enfin, au bout de deux ans, elle raconte un simulacre de procès, sans juge ni avocat, expédié en quelques minutes et la sentence : “Sept ans de rééducation.” L’effroi. 
 
Elle rend célèbres les Ouïghours
Faux, affirme l’ambassade de Chine en France : “Les autorités judiciaires ne l’ont jamais poursuivie au pénal et la vindicte ‘rééducation’ n’existe pas ; alors d’où viennent ces ‘7 ans de rééducation’ ?” 
“Ce procès était une mise en scène, un procès administratif où on nous fait miroiter une sortie anticipée si on se ‘conduit bien’”, rétorque l’intéressée. 

À Paris, sa fille aînée, Gülhumar, mène un combat sans relâche, médiatise son cas, trouve des interlocuteurs à l’écoute au ministère des Affaires étrangères. Subitement, Gülbahar sera sortie de camp, remplumée dans un appartement où elle est étroitement surveillée, puis relâchée. Elle s’est “sentie très mal” après les récentes accusations chinoises, “même si tout est faux”, “mais maintenant cela ne m’atteint pas du tout”. “Ceux qui me connaissent savent qui je suis.” 

Avant elle, d’autres rescapés ouïghours avaient témoigné, comme Gülbahar Jalilova, une Kazakhe, enfermée pendant 15 mois en 2017-2018 dans un camp. Contre elle, “les attaques n’ont pas été si sévères. Peut-être parce qu’elle n’était pas chinoise.

Et puis, je me suis tue pendant plus d’un an. J’ai dû les prendre au dépourvu (...)”, estime Mme Haitiwaji, dont le récit sort à un moment où la cause ouïghoure gagne en popularité en Occident. “Je pense que la Chine a fait une erreur : en s’en prenant à moi, aux Ouïghours qui habitent à l’étranger, elle nous rend service, elle rend célèbres les Ouïghours.”

“Je n’ai jamais fait de politique, cela ne m’intéresse toujours pas, je n’ai jamais rien fait contre la Chine. Elle m’a quand même enfermée, torturée. Aujourd’hui, tout ce que je veux, c’est que les camps soient fermés et faire ce qu’il faut pour cela. Avec le soutien du monde occidental, on y arrivera !”

AFP

 

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