Reportage À JIJEL, D’IMMENSES CHAMPS AGRICOLES ABANDONNÉS

La terre nourricière en jachère

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Amor ZOUIKRI Publié 25 Octobre 2021 à 22:47

© D. R.
© D. R.

Le constat est déplorable à plus d’un égard, avec ces multiples hectares délaissés de part et d’autre de la RN43 traversant l’ex-village socialiste de Belghimouze, que les usagers de cette double voie express peuvent contempler, certainement avec regret. De ce domaine, qui était le vivier d’une production agricole à profusion et de qualité, il ne reste que des terres abandonnées, sinon agressées.

Dans des champs agricoles s’étendant sur de vastes hectares à Jijel, c’est la disette. Des terres arables sont abandonnées. Cela est visible à travers différentes exploitations dans cette wilaya, où l’on s’efforce de développer une activité réduite à sa plus simple expression, eu égard aux potentialités existantes.

En dépit de cette volonté sans cesse martelée pour la relance de la production par les responsables d’un secteur ayant fourni par le passé le meilleur de son rendement, cet objectif reste encore à atteindre. Et ce ne sont pas ces terres fertiles en jachère depuis de longues années qui peuvent attester du contraire.

Le constat est déplorable à plus d’un égard, avec ces multiples hectares délaissés de part et d’autre de la RN43 traversant l’ex-village socialiste de Belghimouze, que les usagers de cette double voie express peuvent contempler, certainement avec regret. Ce regret atteint encore son comble quand ce village, avec ses belles maisonnettes en tuiles rouges, a perdu la vocation pour laquelle il a été érigé. Et pour cause : Belghimouze n’est plus qu’une agglomération urbaine qui semble avoir rompu tout lien avec le labour de la terre. 

Des commerçants illégaux de fruits et légumes installés devant le bureau de poste du village proposent des produits ramenés d’ailleurs. Selon l’un de ces vendeurs, le poivre qu’il propose à 120 DA/kg est ramené de Sétif. Des lointains Hauts-Plateaux, on approvisionne Jijel en produits jadis cultivés à Belghimouze et ailleurs, dans les autres fermes de cette wilaya, en dépit de ses potentialités agricoles et hydriques. Cinq barrages débordant de 700 millions de m3 sont, en effet, en mesure d’irriguer toutes ses plaines. Au-delà de l’activité agricole qui se concentre depuis quelque temps sur la production de la fraise dans les plaines de ce village s’étendant jusqu’à Beni Belaïd, c’est aussi l’agression du foncier agricole qui interpelle. 

À la direction des services agricoles, on prend conscience d’un phénomène “accentué par les circonstances exceptionnelles vécues par la population contrainte à l’exode durant la décennie du terrorisme”. “Jijel a été très touchée ; c’était encore plus dur dans cette wilaya”, admet la directrice des services agricoles. Dans son bureau, cette responsable n’en finit pas de fouiner dans ses dossiers pour nous fournir les chiffres attestant du travail accompli dans un secteur en mutation.

Faisant face à un cumul hérité d’une situation qui n’a pas été assainie à temps, elle affiche toute sa volonté de mettre en application les orientations du ministre. Remettre de l’ordre dans ces terres et relancer l’activité agricole telle que prévue dans le plan ministériel, son objectif. Elle le clame et le réaffirme en prenant exemple de ses multiples commissions mises sur pied en collaboration avec différents organismes pour reprendre les terres non exploitées. Sauf qu’il faut encore de la détermination pour en finir avec ces terres sous-louées, délaissées ou faisant l’objet d’une spéculation qui ne dit pas son nom.

Loin de cet ex-village socialiste, c’est le même constat qui renseigne sur une situation qui reste à assainir. Ahmed, appelons-le ainsi pour le besoin de l’anonymat qu’il désire garder, est un agriculteur qui réussit son travail dans une exploitation agricole collective (EAC) relevant d’un ex-domaine agricole socialiste (DAS) à El-Milia. “Si seulement on me donnait encore ces terres délaissées, je les exploiterais et sans la moindre hésitation”, lance-t-il. Dans son activité, il diversifie sa production, concentrée actuellement sur la pomme. “J’ai vendu toute ma récolte à mon fils à raison de 120 DA/kg”, se réjouit-il. Les quelques hectares qu’il exploite sont acquis par concession avec des collègues qui ont abandonné leur activité. 

Tout comme lui, ces derniers ont pris possession de ces terres dans le cadre des EAC et EAI (exploitation agricole individuelle), qui avaient remplacé au pied levé les défunts DAS à la fin des années 1980. De ce domaine, qui était le vivier d’une production agricole à profusion et de qualité, il ne reste que des terres abandonnées, sinon agressées. Témoins de cette époque, des étables ayant abrité les vaches laitières de la race bovine Holstein sont toujours là et résistent encore au temps. Elles vacillent et ne servent plus à rien.

Tout comme, d’ailleurs, ces hangars ayant servi au stockage des aliments du bétail et la préservation du matériel agricole. De tout cela, il ne reste absolument rien. L’activité dans les exploitations de cet ex-domaine est réduite à néant. Sa production laitière, maraîchère et fruitière qui faisait sa réputation relève d’un passé révolu. La suite a été un abandon pur et simple de toute activité agricole, avec, en sus, l’avancée, et avec arrogance, du béton venant à bout de surfaces entières.

Dans les EAC, les conflits minent les rapports entre les exploitants qui avaient déjà tout bradé des bovins et du matériel agricole qu’ils avaient acquis. Et, cerise sur le gâteau, les crédits bancaires qu’ils avaient contractés leur ont été effacés. C’est à partir de là que la déchéance agricole dans ces exploitations a été entamée, conduisant à l’abandon de toute activité du labour de la terre. “La terre à celui qui la travaille”, un slogan lancé à une certaine époque n’a plus aucun sens dans ce domaine quand des exploitants ont tout abandonné pour s’orienter vers d’autres activités, souvent misérables.

L’exploitation des terres acquises dans le cadre des concessions dont ils ont bénéficié est loin d’être leur souci. Sauf qu’un autre agriculteur rencontré sur les lieux regrette que ces terres soient livrées à cet abandon. “J’exploite juste une petite parcelle de notre exploitation. J’ai peur qu’on vienne me bousculer et me demander leur part si la récolte est bonne”, se désole-t-il. Il a toutefois pris le risque de planter des pommiers qu’il entretient avec l’aide de sa femme dans cette exploitation.

Dans ces contrées isolées, une vingtaine d’hectares de terres fertiles est délaissée sur les rives de l’oued Boussiaba. Toute l’étendue de ces terres était jadis couverte de vergers d’arbres fruitiers, principalement de pommiers. La production était de qualité et le produit était écoulé à l’ex-Office algérien des fruits et légumes (Ofla). C’est avec une profonde amertume que cet agriculteur évoque cette période dont il ne reste que ces champs sans vocation.

Dans ses égarements avec une activité dénaturée qui lui cause tant de soucis et de tourments, notre interlocuteur, sans moyens, a cultivé des aubergines. “Je les ai écoulées à 20 DA/kg”, confie-t-il spontanément. C’est dans un marché à El-Milia qu’il a bradé son produit, dont le prix a très vite été fixé à 100 DA par des personnes profitant sans scrupule de son labeur pour prendre 80 DA/kg de sa récolte. Un bénéfice net et sans effort empoché par ces intermédiaires, alors que cet homme continue de batailler seul dans cette exploitation.

Néanmoins, et loin de l’amère histoire de cet homme reflétant la réalité d’un secteur à réhabiliter, si ce n’est à relancer, il est question de mettre un terme à cet abandon des terres agricoles. Leur réattribution à ceux qui les exploitent est à l’ordre du jour. La directrice des services agricoles revient à la charge et note que des commissions de daïra ont été mises en place pour vérifier leur exploitation. 

Un travail a été accompli en 2015, mais qui n’a pas été suivi d’effet. “Il va être relancé, et on peut aller jusqu’à la déchéance des terres non exploitées”, martèle-t-elle. Dans sa détermination à assainir le foncier agricole appartenant au domaine privé de l’État, elle insiste sur les commissions de daïra et les différents arrêtés promulgués pour servir de base de ce travail d’enquête à mener.

La valorisation de ce foncier, selon la feuille de route ministérielle élaborée pour la durée 2020-2024, est l’enjeu de cette bataille. Le partenariat entre les agriculteurs sans moyens et bénéficiant de concessions et des investisseurs ayant les capacités de production est une option retenue pour rendre effective l’exploitation du foncier délaissé. Il est également prévu de régulariser les terrains appartenant à l’État qui ont fait l’objet d’une exploitation d’au moins dix ans.

Bref, des encouragements sont accordés pour faire de l’exploitation des terrains agricoles un objectif à atteindre. Les terrains privés familiaux ne sont pas en reste dans cette bataille de par l’obligation de leur exploitation. “Il y a une réglementation qui rend obligatoire leur exploitation”, rappelle la directrice des services agricoles, pour signifier que même ces terres ne seront plus laissées en jachère. Il convient de noter qu’on recense à Jijel 200 EAC pour un équivalent de 3 827 ha et 492 EAI totalisant des surfaces agricoles de 2 705 ha, en plus de 3 fermes-pilotes englobant 247 ha. Tout ce potentiel de terrains agricoles reste en partie inexploité.

L’obligation de son exploitation ou de sa réattribution est fixée tel un objectif majeur à atteindre pour mettre un terme à une situation qui n’a que trop duré. Qui a dévalorisé l’activité agricole, réduite à des conflits entre exploitants qui profitent des concessions qui leur ont été attribuées pour user et abuser d’un précieux bien appartenant à l’État.  
 

Réalisé par : Amor ZOUIKRI

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