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19 Mars 1962, la guerre est finie ?

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BENJAMIN STORA Publié 19 Mars 2022 à 00:17

© D. R.
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Par : BENJAMIN STORA
        HISTORIEN

Au début de l’année 1962, les deux parties, algérienne et française, discutent depuis plusieurs mois du passage à l’indépendance, mais les négociations sont difficiles, notamment à cause d’un désaccord sur la question du Sahara. Cet immense désert qui s’étend au sud de l’Algérie est un enjeu stratégique pour la France comme pour les nationalistes algériens. On y trouve du pétrole et du gaz, deux sources d’énergie d’une grande importance. Peut-être, plus crucial encore, c’est là que l’armée française fait ses expérimentations nucléaires. La première bombe atomique française a explosé en février 1960 dans le Sahara. C’est pourquoi de Gaulle veut garder la mainmise sur ce territoire, même si le reste de l’Algérie devient indépendante. 
Le FLN, de son côté, refuse catégoriquement que l’Algérie nouvelle soit amputée d’une vaste région. Il exige que les frontières soient maintenues à l’identique après le départ de la France. Après une suspension des négociations, celles-ci reprennent officiellement, en mars 1962, dans la ville d’Évian. Des concessions sont faites de part et d’autre. Les Accords d’évian sont signés le 18 mars 1962.   
Est-ce la fin de la guerre ? Oui et non…. Les accords précisent : “Un cessez-le-feu est conclu. Il sera mis fin aux opérations militaires et à la lutte armée sur l'ensemble du territoire algérien le 19 mars à midi.” Mais la violence ne cesse pas encore. Comme si un conflit aussi long et aussi sanglant ne pouvait s’éteindre du jour au lendemain. 
Ainsi, dans la ville d’Oran, les tirs au mortier contre les “quartiers musulmans” de la ville ne cessent pas, ce qui rendra la population algérienne méfiante à l’égard des Accords. Dans d’autres villes, les commandos de l’OAS poursuivent leur action de terreur en assassinant des militants algériens ou en s’attaquant à des biens, comme l’incendie de la grande bibliothèque d’Alger. Ses membres commettent attaques de banque, exécutions sommaires, assauts au bazooka. Ils prennent le contrôle d’un quartier d’Alger appelé Bab El-Oued et attaquent des camions de l’armée française. 
Le 26 mars, les forces de l’ordre tirent sur des manifestants qui soutiennent l’OAS, rue d’Isly, à Alger. Cet événement, au cours duquel des Français tuent des Français, va conduire de nombreux “pieds-noirs” à décider de quitter l’Algérie. Dans l’Oranie, des enlèvements, des atrocités, des meurtres sont commis contre des Européens ou des Algériens suspectés de connivence avec la France. Quelques semaines plus tard, en région parisienne, une nouvelle tentative d’assassinat vise le général de Gaulle. C’est le fameux attentat du Petit-Clamart, au cours duquel un commando de l’OAS tire sur la voiture du président de la République française. Celui-ci échappe miraculeusement à l’attaque. Le chef du commando, Jean Bastien-Thiry, sera fusillé en 1963.  
Le Sahara appartiendra bien à l’Algérie indépendante. Mais les négociateurs du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) ont accepté quelques compromis. La France pourra conserver ses installations militaires dans le désert algérien pendant cinq ans. Pour ce qui est de l’exploitation du gaz et du pétrole, les entreprises françaises seront favorisées pendant quelques années. 
à évian, le sort des Européens d’Algérie a également été discuté. Les Accords indiquent que leurs biens seront respectés et qu’ils pourront choisir la nationalité algérienne. Mais les “pieds-noirs” vont pourtant partir en masse d’Algérie en direction de la métropole. Ce qui signifie que tous les jours, ce sont des milliers de personnes qui fuient, laissant derrière elles un appartement, une boutique, des objets personnels... 
Les harkis qui ont fait la guerre du côté de l’armée française, ne sont pas tous “rapatriés”. La plupart d’entre eux sont purement et simplement livrés à leur sort. Certains officiers français de l’armée, pour qui ils ont servi pendant la guerre, veulent organiser leur départ pour la métropole, mais le gouvernement français s’y oppose. Il refuse de les accueillir. Certains harkis parviennent malgré tout à rejoindre la France. Ils y vivront généralement dans une situation de précarité et d’exclusion, parqués dans des camps. Des milliers d’autres, qui restent en Algérie, seront tués après l’indépendance. 
Quelques mois s’écoulent entre les Accords d’évian, en Mars 1962, et l’indépendance, qui date officiellement du 5 Juillet 1962. Pendant cette période, on assiste aussi à de fortes divisions au sein du Mouvement nationaliste algérien. Précisément, l’approche de l’indépendance attise la lutte pour le pouvoir. Qui exercera demain l’autorité en Algérie ? Les divisions éclatent au grand jour lors d’un congrès du FLN qui se tient dans la ville de Tripoli, en Libye, en mai-juin 1962. 
Plusieurs groupes liés à l’Armée de libération nationale (ALN) s’opposent à ceux du GPRA, qui ont négocié les Accords d’évian. Finalement, une alliance entre Houari Boumediène (le chef de l’ALN) et Ahmed Ben Bella (l’un des dirigeants emprisonnés en France pendant le conflit) parviendra à s’imposer. Mais en Juillet 1962, l’heure est à la célébration de l’indépendance. 
Un référendum a lieu le 1er juillet 1962 en Algérie. La question posée aux électeurs est la suivante : “Voulez-vous que l’Algérie devienne un état indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la déclaration du 19 Mars 1962 ?”  L’écrasante majorité répond “oui”. Le 3 juillet, la France reconnaît officiellement l’indépendance de son ancienne colonie, par une lettre du général de Gaulle remise aux autorités algériennes. Le 5 juillet, une foule de jeunes, de militants du FLN, manifestent leur joie. Le drapeau algérien vert et blanc, frappé du croissant et de l’étoile, flotte partout à Alger. 
Pourtant, la célébration du 19 mars 1962 n'a presque jamais été à l’ordre du jour ni d’un côté de la Méditerranée ni de l'autre. Du côté de ceux qu’on avait alors juste commencé à appeler communément les “pieds-noirs”, rien d'étonnant. Des Accords d’Évian, ils ne retiennent, en 1962, que ce point essentiel à leurs yeux : c’est la fin de l'Algérie française, puisque l’armée va se retirer et que l’indépendance du pays est désormais inéluctable, et il est donc fort probable qu’ils vont devoir quitter la terre natale. Un jour noir, donc. 
Et cela n'a pas changé depuis. Quant aux dirigeants français et aux officiers supérieurs de l’armée envoyée “maintenir l'ordre” dans la colonie depuis 1954, comment pourraient-ils avoir envie de fêter une date qui évoque sinon une défaite militaire, du moins, à coup sûr, un combat perdu contre les indépendantistes qu'on traitait de “rebelles” et de “hors-la-loi” depuis plus de sept ans ?  
Il pourrait sembler plus surprenant que les Algériens boudent eux-aussi la célébration d’évian. N'ont-ils pas alors, comme le remarque Rédha Malek, l’un des négociateurs du FLN à l’époque, réussi à atteindre l’objectif mentionné dans la proclamation du 1er Novembre 1954 : l’indépendance dans l’unité et en préservant l’intégrité territoriale du pays ? Pourtant, les dirigeants du FLN ne manifestent pas d’enthousiasme à l’annonce du cessez-le-feu. Pour la population dans son ensemble, on peut comprendre sa prudence. Après tant d'années de souffrance et de désespérance, on se méfie de prime abord de ces Accords dont on ne connaît pas les détails. On ne se réjouira donc ouvertement de l'accès à l’indépendance que début juillet, quand la naissance du nouvel état sera effective. 
De leur côté, les dirigeants algériens, s’ils ne sont pas mécontents pour la plupart de cette issue de la guerre d’indépendance, sont cependant divisés, comme déjà indiqué précédemment. Certains manifestent leur opposition à des Accords négociés par les seuls “civils” du GPRA et à leurs yeux trop conciliants avec la France. 
Difficile donc de se souvenir du 19 mars 1962. Pour les Algériens, la date de commémoration sera celle de l’indépendance, le 5 Juillet, chaque année depuis 1962. Pour les Français, il n'y a tout simplement aucune date consensuelle pour marquer la fin de cette guerre qui, ainsi, n'en finit toujours pas de ne pas dire son nom. Une sorte de “déni” qui n’aide évidemment pas à panser les blessures et à permettre d’écrire ce pan de l’histoire de la France – et de l'Algérie – de façon sereine. 

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