L’Actualité Partis depuis plusieurs jours, leurs enfants n’ont donné aucun signe de vie

À Bordj Bou-Arréridj, la longue attente des familles de harraga

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Chabane BOUARISSA Publié 11 Janvier 2022 à 09:31

© D.R
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Comme partout ailleurs, dans les rues de Bordj Bou-Arréridj on peut croiser des migrants subsahariens, un sujet qui a souvent focalisé l’attention des responsables et des médias. Mais cette présence masque ici un autre phénomène qui prend de l’ampleur ces derniers mois : le départ clandestin vers l’Europe de certains citoyens de la région. Faute de statistiques – elles ne dénombrent que les arrestations de harraga – il est difficile d’évaluer précisément l’ampleur du phénomène, d’autant que certains ont disparu en mer. 

Depuis le début de l’année, des familles bordjiennes sont en quête de nouvelles de leurs enfants partis clandestinement pour rejoindre l’autre rive de la Méditerranée. à ce jour, elles ignorent tout de leur sort. Comme d’autres jeunes de leur âge, Zaki A., Rezki B., Issam Z., et S. R. ont décidé de larguer les amarres, sans crier gare, en quête de cieux plus cléments. Souvent à travers le circuit habituel de la harga. Selon leurs proches qui ont requis l’anonymat, leur embarcation a chaviré en mer et rien ne filtre pour l’heure sur la suite de leur périlleuse traversée. “Nous étions en contact avec eux sur le Net. Nous avons vécu avec eux le chavirement de l’embarcation et, depuis, aucune nouvelle”, assure le frère d’un des disparus, téléphone à la main, les yeux embués et un visage inquiet et triste. 

Au fil des jours, faute d’informations fiables, l’espoir de les retrouver vivants s’amenuise et un climat pesant s’installe dans les familles. Un drame dont ils pouvaient bien se passer, disent leurs proches. “Depuis le 2 janvier jusqu’à ce jour, on ne sait rien du sort de nos enfants. On souhaite que les autorités nous aident à savoir ce qu’il est advenu de nos enfants. Nous voulons savoir s’ils sont toujours en vie ou s’ils sont morts”, rumine un proche. Traumatisées par ce qui leur arrive, ces familles ne savent plus à quel saint se vouer. Les témoignages pointent tous un doigt accusateur sur les autorités. “Nous ne savons pas où nous pouvons avoir des informations.” Alors que les espoirs s’amenuisent peu à peu, les proches nourrissent encore quelques illusions à travers la poursuite des recherches et l’accélération de la procédure d’identification des corps retrouvés, en vue de procéder au rapatriement des dépouilles, car ils craignent le recours, par les autorités espagnoles, à l’incinération des corps non identifiés. “Nous avons contacté des proches à Oran et même en France et en Espagne pour aller voir dans les morgues et les hôpitaux”, dit un voisin du jeune Zaki. 

Aux dernières nouvelles, un des quatre disparus, “Rezki B. serait dans un centre en Espagne’’. Sa famille attend confirmation. “Je veux qu’on me donne des nouvelles de mon fils”, ne cesse d’implorer son père, entouré de proches et de voisins. “La dernière fois qu’il est sorti de la maison, il a dit à sa mère : ’Maman, prie pour moi. Si je passe, tu entendras ma voix lundi. Si je n’y arrive pas, pardonne-moi’”, raconte Laïd Bencheikh, le cousin avec qui il était en contact sur les réseaux sociaux et qui a annoncé cette information pleine d’espoir aux familles de disparus. 

Témoignages de deux rescapés
Selon les versions de deux rescapés, les deux Aymen, comme ils se présentent, originaires de Sétif, les harraga étaient au nombre de 15 à bord de cette embarcation, dont une jeune femme et trois passeurs. “Au départ, le 2 janvier vers 21h, ils étaient 17, mais le passeur après quelques mètres, a fait demi-tour pour faire descendre deux passagers, parce que l’embarcation était trop chargée”, raconte l’un des deux rescapés. Il ajoute : “Au moment de la manœuvre, la barque a heurté un rocher. Après une rapide vérification par le second du passeur, nous avons repris la mer. À une trentaine de kilomètres d’Almeria (Espagne), selon le GPS du passeur, l’embarcation a subi deux grands chocs, l’eau s’est infiltrée à l’intérieur. Les passagers se sont employés à écoper l’eau qui commençait à submerger la barque. Mais peu à peu, elle a commencé à tanguer avant de chavirer. Une fois dans l’eau, c’était la panique... Chacun cherchait à se tirer d’affaire comme il pouvait, aux cris d’Allah Akbar. Certains s’accrochaient à la barque, d’autres aux bidons d’essence vides. Moi j’ai suivi le passeur qui avait son GPS et nous nous sommes mis à nager avant qu’un hélicoptère nous sauve.”

Le deuxième Aymen, dans son témoignage à la famille d’un des disparus de Bordj Bou-Arréridj,  raconte comment il a été secouru et comment il a perdu contact avec son camarade Zaki. “Dans ce genre de situation, l’instinct de survie m’a poussé à nager vers la lumière d’un bateau. Après des heures de nage, j’ai été secouru par la marine espagnole et conduit à l’hôpital. Et depuis, je n’ai plus de nouvelles de mes camarades”, témoigne-t-il, en souhaitant que les autres aient connu le même sort.

Les raisons de la fuite…  
Malgré les risques, le danger de la traversée, les prix proposés par les passeurs, des jeunes se laissent happer par ce rêve de rejoindre le Vieux Continent. “Les prix varient selon le type d’embarcation : entre 60 millions, 80 et même plus”, dit un jeune du quartier populaire Lagraphe. “En Algérie, on paye même le risque de mourir”, ironise Moncef, un jeune qui soutient que s’il disposait de l’argent nécessaire, il aurait tenté l’aventure. “J’ai un mastère 2 en communication et je suis au chômage depuis plus de trois ans (…)  Fuir, c’est avoir une chance de sauver sa vie car ici rien n’est sûr.”

Les annonces de noyades et de disparitions en mer ne semblent pas dissuader certains jeunes. Les raisons du départ sont multiples, comme l’explique un sociologue. “Maintenant, on ne parle plus de harga mais de fuite. Fuir la situation sociale, politique, la crise économique, le chômage, la crise du logement, l’écart social qui se creuse encore plus, le sentiment de frustration, le désespoir, la lassitude du quotidien…

Fuir pour l’aspiration à une vie meilleure, une situation beaucoup plus acceptable, l’espoir de réussir quelque chose, de faire ce qu’on a envie de faire…”, explique ce sociologue de l’université Bachir-Ibrahimi, qui préfère garder l’anonymat de peur des représailles car ce sujet est devenu tabou dans la région. Ni les autorités ni les familles ne veulent qu’on dévoile leur échec ou qu’on les accuse de négligence. Pour endiguer le phénomène, le sociologue plaide non pas la répression, mais en offrant plus d'opportunités à ces jeunes. 

 


Chabane BOUARISSA

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