L’Actualité BÉJAÏA SOUS L’EMPRISE DES COUPEURS DE ROUTES

À QUAND LA FIN DU CAUCHEMAR ?

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Kamal OUHNIA Publié 13 Février 2021 à 00:21

© D. R.
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Pour  faire  entendre  leur  voix,  des  citoyens  recourent  à  des  formes radicales de contestation :  la  fermeture  des  routes. Le phénomène  devient récurrent  et  provoque  l’exaspération  des  populations  qui se retouvent fortement  pénalisées.

Après une relative accalmie qui a duré quelques mois, le phénomène de la fermeture des routes reprend de plus belle dans la wilaya de Béjaïa. Un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur et qui constitue un signe patent de rupture des canaux de dialogue et de confiance entre le citoyen et les démembrements de l’État. Cela, au moment où les autorités locales observent dans l’indifférence la plus totale l’expansion de ce phénomène, sans daigner trouver les solutions à même d’endiguer la colère citoyenne, en prenant en charge les préoccupations posées. Si naguère, le blocage des routes à Béjaïa coïncidait généralement avec le premier jour de la semaine, soit chaque dimanche, on assiste ces dernières semaines à des fermetures de route quasi quotidiennes. Et pour avoir un impact plus important, les personnes obstruant les routes ciblent les voies de communication ayant un grand trafic automobile, telles les routes nationales n°9, 12, 26, 75 et 24. Même le tronçon de la pénétrante autoroutière allant de la commune d’Ahnif (Bouira) jusqu’à Takrietz, dans la commune de Souk Oufella (Béjaïa), n’a pas été épargné par ces actions de protestation.
Ce fléau, qui pénalise sérieusement et les usagers de la route et les opérateurs économiques de la région, est devenu tellement insupportable que plusieurs acteurs de la société civile, dont des militants associatifs et des défenseurs des droits humains, multiplient ces derniers jours les appels à la raison et à la sagesse, en invitant leurs concitoyens à renoncer à ces actions radicales qui causent des désagréments incommensurables à leurs semblables, mais aussi portent préjudice à l’activité économique de leur wilaya. “Tel est pris qui croyait prendre ! Que ceux qui pénalisent leurs frères en bloquant la circulation automobile sachent qu’un jour ils vont, eux aussi, se retrouver pris dans le même piège”, écrit sur son mur facebook un internaute béjaoui. De nombreux activistes sur les réseaux sociaux dénoncent l’“indifférence” et la “passivité” des autorités locales en dépit de l’ampleur de ce phénomène qui ne fait qu’aggraver une situation socioéconomique déjà très précaire. Interpellant les pouvoirs publics et les élus de la région pour agir rapidement en vue d’endiguer ce phénomène qui les inquiète de plus en plus, certains internautes vont jusqu’à plaider pour la “criminalisation” de l’acte de fermeture des routes, considéré comme étant “une atteinte à la liberté de circulation”, l’un des droits fondamentaux du citoyen, consacré dans la Constitution algérienne. Contacté hier par Liberté, le professeur Aïssa Merah, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences humaines et sociales de l’université Abderrahmane-Mira de Béjaïa, estime que “cette forme de protestation sociale constitue une question de dernier recours pour le citoyen qui exprime, à travers cette action, le sentiment d’injustice sociale qu’il éprouve dans sa vie quotidienne. C’est devenu un réflexe pour beaucoup de citoyens qui se sentent victimes de la hogra (mépris) qu’affiche souvent l’administration publique”.
À la question de savoir comment nous devons agir pour au moins freiner ce phénomène de fermeture des routes, notre interlocuteur soutiendra que “les responsables de l’administration et les élus locaux devraient faire preuve de plus d’ouverture et de transparence dans leur mode de gouvernance”. Sur sa lancée, le Pr Merah plaide pour plus de prérogatives aux élus des Assemblées locales (APC et APW), citant, à titre d’exemple, le dossier des logements sociaux qui devrait être géré entièrement par les élus de l’Assemblée populaire communale (APC).
Pour Mme Zina Ikhlef, députée de la wilaya de Béjaïa, les autorités locales, que ce soit le wali ou l’APW, doivent procéder, dans chaque cas de fermeture de route, à la mise sur pied d’une commission d’enquête afin de déterminer les tenants et les aboutissants de chaque action de protestation, mais aussi et surtout situer les responsabilités. “Si la responsabilité incombe à l’administration ou à un élu, celui-ci devra être sanctionné. Et s’il s’avère que la route est fermée pour des futilités ou un faux problème, les auteurs de l’action devront être, eux aussi, poursuivis”,
a-t-elle suggéré. De son côté, le chef du groupe d’élus RCD à l’APW de Béjaïa, Idris Mouhli, pointe du doigt d’emblée “l’inaction des pouvoirs publics” qui, selon lui, pousse souvent les citoyens à recourir à cette action radicale. “Si les citoyens descendent dans la rue, c’est que les portes du dialogue leur ont été fermées par les représentants de l’administration. Loin de justifier ces fermetures de route et encore moins de disculper leurs auteurs, cette forme de protestation reste le dernier recours pour le citoyen”, a-t-il soutenu.
Par ailleurs, l’élu du RCD se dit être “contre la criminalisation” de ce phénomène sociétal, préconisant en revanche l’ouverture d’un large débat, des rencontres de concertation avec l’ensemble des acteurs locaux. “Outre une gestion transparente, le dialogue et la concertation entre les représentants de l’administration, les élus et les citoyens demeurent le meilleur moyen de freiner cette radicalisation des mouvements sociaux”,
a-t-il estimé.  Pour sa part, le président de l’Assemblée populaire de la wilaya (P/APW) de Béjaïa, affirme : “Notre exécutif de l’APW ne cautionnera jamais la politique répressive de ceux qui prônent la réquisition de la force publique pour mater des manifestants pacifiques. Cela dit, nous sommes pour l’application stricte des lois de la République.” Et d’ajouter : “Pour les gens qui plaident pour la réquisition de la force publique contre les coupeurs de route, je les invite solennellement à s’adresser au wali de Béjaïa ou au ministre de l’Intérieur.” Selon M. Haddadou, ce phénomène n’est pas spécifique à Béjaïa.
“Cette forme de contestation existe bel et bien dans d’autres régions du pays. Ce qu’il faut savoir, c’est que les problèmes posés par les coupeurs de route sont souvent d’ordre socioéconomique. C’est pour cela d’ailleurs que nous proposons comme solution le déblocage des projets gelés et, pourquoi pas, un programme spécial pour la Kabylie, comme c’est le cas pour le Grand-Sud et des wilayas des Hauts-Plateaux”, a-t-il soutenu.Il rappellera, au passage, que “pas moins de 150 projets dont avait bénéficié la wilaya de Béjaïa ont été gelés en 2016, dans le cadre de la politique d’austérité que prônait le gouvernement d’alors”, avant de poursuivre : “Béjaïa, qui accuse un énorme retard en matière de développement local, souffre notamment d’une crise de logements et d’un manque flagrant de financement de ses projets de gaz naturel, ceux des travaux publics, d’eau potable, des infrastructures scolaires et sanitaires…”
Le P/APW pointe du doigt un ancien wali de Béjaïa, actuellement sous mandat de dépôt, “qui encourageait indirectement les citoyens à recourir à la fermeture des routes pour se faire entendre”. Selon M. Haddadou, cet ex-commis de l’État, qui présidait aux destinées de la wilaya de Béjaïa entre 2010 et 2015, usait de son pouvoir décisionnaire pour satisfaire à tout prix les doléances des citoyens qui bloquaient les routes. “C’est une façon de discréditer les élus locaux et d’inciter implicitement les populations en détresse à faire de même pour accéder à leurs revendications”, a-t-il souligné.
Évoquant un manque de communication entre l’administration et les administrés, notre interlocuteur dira : “Ce sont les fausses promesses des uns et la fuite en avant des autres qui poussent les citoyens à la révolte.” Interrogé sur les solutions que préconise son Assemblée, le P/APW de Béjaïa propose la tenue d’une rencontre-débat qui devrait regrouper l’ensemble des élus locaux (APC et APW) et nationaux (députés et sénateurs) de la région. “Cette réunion de concertation nous permettra de sortir avec des propositions allant dans le sens d’endiguer ce phénomène de fermeture des routes. À mon sens, la vraie solution passe par le règlement des problèmes socioéconomiques de notre wilaya. C’est tout ce que demandent chaque jour nos concitoyens”, a-t-il estimé.
 

Reportage réalisé par : KAMAL OUHNIA

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