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Algérie : être vieux sans s’appeler Bouteflika

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Kamel DAOUD Publié 03 Juin 2021 à 01:24

© D.R.
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Par : Kamel daoud 
écrivain

Il y a quelques années, un ministre de la Santé, aujourd’hui en disgrâce, s’est vu interrogé par un médecin, lors d’une visite “d’inspection” sur l’absence d’une politique de gériatrie en Algérie. La gestion du troisième âge pour la famille algérienne contemporaine posant un dilemme : la culpabilité ou l’efficacité. Car faute d’une “politique” publique, les vieilles personnes algériennes, malades, impotentes ou dans le besoin, seront à l’abandon malgré l’affection, l’effort ou le sacrifice des leurs et de leurs enfants. Il manque, pour soulager cet âge noble, des professionnels pour ce faire, des hôpitaux pour aider et assister, des offres de services, des sociétés de gardes et d’assistance, l’accompagnement au trépas. Que répondit le ministre ? “On n’en a pas besoin, nos traditions suffisent.” Un résumé lapidaire du populisme, de l’idiotie et de la vantardise paternaliste.

“Nos traditions” sont là, elles nous différencient d’autres sociétés bien sûr et aident à garder vivant le lien filial jusqu’au départ ultime, mais elles ne suffisent pas. L’espérance de vie de l’Algérien a augmenté depuis l’indépendance, la “famille algérienne” a changé, l’urbanisme, le logement, le lieu de vie, le travail pour le couple qui a, à sa charge, la personne âgée et malade, la politique sanitaire du tout gratuit qui est le cache-misère du “tout payant”, tout cela nous impose autre chose que de la vantardise.

Un pays ne se contentera pas de l’éloge de la naissance s’il ne pense pas à la dignité du “départ”. Et “nos traditions” n’y suffisent pas. Ni elles ni les campagnes médiatiques de culpabilisation qui, à force, s’apparentent à des endoctrinements pour culpabiliser la rébellion, la révolte, l’insoumission politique, la jeunesse, le plaisir, le désir et, obscurément, même la citoyenneté réduite à l’obéissance. “Jeter” sa mère ou son père est un crime, et ce “crime” est étendu à celui de “rejeter un système” paternaliste, le “père national”, le tuteur absolu né de l’effort de la décolonisation.

L’Occident ? oui, il a le culte de la vie, de la jeunesse, de l’élan. Mais il a tout aussi inventé l’enfance et la vieillesse comme valeur, culture, vie en soi, et marché de l’emploi et de la vocation. Chez nous, le troisième âge est une mort avant la mort, contaminé par l’au-delà au point de ne plus avoir de corps. On se contente, en assistance au départ, de quelques versets, d’une Omra et de longue lamentation familiale. Un banc public, le bureau de poste et un dentier. 

La mise en terre est déjà sociale. Et la galère reste pour ceux qui, jeunes, se déchirent à surmonter l’épreuve du vieillissement sans assistance des leurs, sans moyens, sans solutions, sans aides. Rien n’est fait pour les vieux algériens sauf attendre leur départ et les traiter comme des morts anticipés. 

Une autre vieillesse qui, elle, nous a couté beaucoup : celle du FLN. Ce vieux héros abstrait, décharné et aux dents féroces et qui se refuse à la mort sous prétexte qu’il a déjà obtenu l’éternité par des actes. Bouteflika, dans sa stérilité filiale, son refus de partir, céder ou transmettre, en campe le symbole jusqu’au cadavre ambulant.

La moquerie de l’histoire des décolonisations ne pouvait faire mieux comme caricature : pour incarner la monstruosité d’un professionnel de la décolonisation, il aura fallu un monstre d’ego et de vantardise, un homme qui moqua son peuple ouvertement, qui en insulta l’image et l’esprit, sans descendants et sans famille que l’adversité. Bouteflika est le président d’honneur du FLN et surtout celui de son déshonneur qui dure, son trépas refusé et sa décomposition publique et à vue d’œil. Le jumelage entre le “Parti” et le corps a été parfait. Le jeu de symboles y est synchrone et l’épilogue de l’histoire est le même : le pitoyable ultime. 

Le FLN comme Bouteflika ont refusé d’aller au musée, ils auront tenté de faire de leur musée un pays entier. Il leur en coûta une singulière décrépitude, un enterrement vivant. Plus loin encore, c’est l’illustration obscure d’un drame philosophique : celui des décolonisateurs qui, après avoir tué l’ennemi et perdu la jeunesse, refusent de lâcher prise, de transmettre, de déléguer et d’enfanter. Ridés et amers, ils restent là, agrippés aux vieux fusils honorifiques, à des mots d’antan et à un acte de propriété du pays qui leur appartient parce qu’ils sont nés avant lui et l’ont libéré. 

Les libérateurs ont de troublants penchants pour la cupidité et l’avarice quand ils vieillissent : ils ne comprennent pas le temps ni pourquoi ils doivent mourir. N’ont-ils pas vaincu la France ? Pourquoi ne peuvent-ils pas alors vaincre la mort et la considérer comme un complot d’héritiers impatients ? 
Pourquoi Bouteflika ne sera jamais jugé ? À cause “de nos traditions” qui interdisent des formes de parricides. Les mêmes traditions qui ne “servent” pas à la dignité véritable de millions d’autres vieux/vieilles algériens.

 

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