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COLÈRE EN VRAC CONTRE UNE SITCOM ALGÉROISE

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Kamel DAOUD Publié 20 Mai 2021 à 00:54

© D. R.
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Par : KAMEL DAOUD
         ÉCRIVAIN

On en sait si peu sur l’agression, les viols, les tortures qu’ont subies plusieurs enseignantes à Bordj Badji Mokhtar au Sud algérien. C’est à plus de 2 000 kilomètres d’Alger. Loin de tout et loin des réseaux sociaux. La raison de nos ignorances sur ce qui s’est passé ? La distance. Aussi, la difficulté d’exercer du journalisme dans ces espaces que des “autorités locales” féodalisent souvent. La mission de correspondant trop couteûse (Rabah Karèche, le correspondant du journal Liberté, en sait quelque chose). Le manque de visibilité dans le casting médiatique opposants ou de soutien. Bordj Badji Mokhtar est l’arrière-pays absolu. Et s’il faut du temps pour que cette information, avec ses détails, remonte vers le Nord, c’est à cause des raisons citées plus haut, mais aussi à cause de la sitcom Régime-activistes qui, désormais, enferme l’actualité dans son cercle vicieux, réduit la quête d’une solution algérienne à un bras de fer entre opposants numériques et pouvoirs inhabiles et paranoïaques. Une sitcom qui vide le journalisme de sa substance pour en faire des kasmas d’agitateurs ou des relais d’opinion au détriment de l’enquête de l’information exacte. Et qui vide le “Régime” de toute crédibilité quant à la volonté de changement sans tomber dans la facilité des répressions. C’est cela la vérité amère et désastreuse. L’écran et le discours sont, désormais, ce qui s’interpose entre nos réalités et les représentations que l’on se fait de ce pays plus vaste que nos ego. Pendant qu’un militant sort souriant d’un tribunal, des femmes sont violées à 2 000 kilomètres et l’indice de visibilité n’est pas le même pour les deux.      
Une sitcom très algéroise, malgré ses relais dans quelques villes. Car, et il est amer de le constater, c’est aujourd’hui la chronique lassante de la vie politique algérienne. Un cycle d’arrestations inutiles, injustes et qui ne servent qu’à fabriquer et doper des martyrologes au nom de la démocratie, attenter à la liberté d’autres plus sincères ou enfoncer le pouvoir dans l’image grossière d’une dictature sans compétence. Une sitcom qui exclut le reste du pays et que le reste du pays ne comprend plus.       
Dans une vidéo sur les réseaux, un jeune homme se filme en train de s’adresser aux “hirakistes”. Il l’ose avec mille détours, poliment, avec insistance mais joliment aussi. Coupe de cheveux soignée, lunettes coûteuses et boucles d’oreilles. Il explique qu’il ne comprend plus “ceux du hirak” et que cela l’importune car on coupe la connexion internet le vendredi après-midi et que lui, il n’a rien à faire entretemps. Amusante vidéo, comique, mais utile pour la mise en échelle : le “hirak”, qui, aujourd’hui, s’est déconnecté des grands mouvements du 22 février 2019 et n’en garde que le label parfois usurpé, est-il déchiffrable pour le reste des Algériens ? Si peu. Quel est son message lisible pour les Algériens de tous bords et de toute région ? On se perd en discours, oukases et slogans sous coaching sournois des acteurs de la décennie 90. Phénomène de glissement désastreux : certains ont fait de ce “parti”, qui revendique le droit légitime de manifester et dont la répression est injustifiable et injuste, un spectacle à destination de la consommation internationale numérique : vidéos d’arrestations, tweets et autres recettes de com’ moderne. La conséquence a été une lisibilité internationale biaisée, une déconnexion nationale constatable malgré ceux qui exigent qu’on compte en “millions” pour les foules. Le but affirmé est de faire pression sur le régime par l’internationalisation médiatique, alors que le régime n’a été secoué que par le poids des mobilisations internes et locales, surtout celles du “Reste du pays” comme on aime le qualifier. L’exercice du journalisme algérien en souffre, le régime s’enfonce dans la boucle de sa fausse conception sécuritaire du politique, les opposants se déclassent en agitateurs lors des enterrements et amateurs de selfies à la sortie des brigades de gendarmerie, et la sitcom est parfaite. Hors de cet univers, c’est le monde atroce des Bordj Badji Mokhtar. C’est celui de l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie), Mohamed Charfi, qui autorise des listes électorales où les femmes sont masquées et effacées comme dans une bonne république islamiste daechisée, ce sont ces volontaires barbus et habillés de gilets de leurs associations islamistes qui, aujourd’hui, distribuent dans les rues colis et vêtements pour recruter les sympathies pendant que d’autres twittent et s’extasient aux sorties des tribunaux, c’est cet imam qui, à Oran, le jour du prêche de l’Aïd a expliqué que les femmes parfumées iront brûler en enfer, c’est la prochaine Assemblée qui va accoucher du futur Iran algérien. C’est le pays des écoles talibans, corruptions, islamisations, plages non mixtes et croisades linguistiques absurdes, etc. Un vaste territoire qui s’étend, s’agite, se conquiert et se perd hors de la Sitcom Régime sclérosé et “opposants numériques”. Un pays où on viole dans le silence. Comme durant les années 90. Ouvrant droit d’avenir à ceux qui, au nom de juin 90, rêvent aujourd’hui de juin 2021, et que les idiots utiles bénissent et servent en volontaires.
L’avenir ? Le sort de ce néo-Hirak sera celui du FIS : dissolution, internationalisation, victimisation et exils de prestige. Il y gagnera en prestige. Et l’Algérie n’y gagnera que le renfoncement de l’autoritarisme au nom de la stabilité et la consolidation d’un régime que les radicalisés opposants d’en face dopent par leur manque de vision politique et leur impuissance à sortir des parades et des refus. Colère et amertume donc. Pourquoi sommes-nous incapables de concevoir des transitions et des consensus comme le firent des pays longtemps sous dictature comme le Chili, l’Argentine, l’Espagne ou d’autres ? Pourquoi posons-nous le préalable de la destruction comme condition absolue du changement ? Pourquoi choisissons-nous, à perte, la radicalité épique et la violence plutôt que la quête de la solution, l’épargne du temps et la capitalisation des échecs et réussites passées ? Pourquoi chacun veut-il un pays pour lui tout seul ? Citation lumineuse : “Martyr, c’est pourrir un peu…” Valable pour les deux acteurs de cette sitcom.

 

 

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