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Comment enrichir un pays qui déteste ses riches ?

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Kamel DAOUD Publié 04 Novembre 2021 à 09:55

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Par : Kamel DAOUD
Écrivain

Un bien pour un très grand mal : le soulèvement du 22 Février 2019 a redéfini la dignité, mais aussi revitalisé les populismes, religieux ou autres. À cause d’oligarques sans foi ni loi, prédateurs d’un pays pendant deux décennies, c’est toute la vieille haine contre le riche, le bourgeois, l’homme d’affaires, le libéral, la richesse qui s’est retrouvée à l’honneur de la colère, revenue à la surface, parée des éclats d’une révolution (encore). 

Parce que certains ont volé, ce sont toutes les richesses ou enrichissements qui se retrouvèrent frappés d’illégitimité, accusés de vol et soumis à la haine ou au procès. L’économie du pays en paye le prix jusqu’au aujourd’hui et encore plus demain. Cela nous vient de loin d’ailleurs : un homme qui s’enrichit, travaille, crée ou invente ou possède rappelle trop facilement l’ancien colon, le receleur ottoman, l’ennemi du socialisme, de la majorité, de la vieille histoire de la pauvreté liée à notre mémoire. 

Et contre les spoliations et les dépossessions si anciennes dans le souvenir des habitants de cette terre, on changea de mots pour pratiquer la même chose contre les siens, perpétuer les mêmes injustices parfois : nationaliser, déposséder, insulter l’effort ou tout simplement voler pour prétendre redistribuer. Selon un principe vicieux de “voler un voleur n’est pas voler”. Le soulèvement du 22 Février 2019 vivait déjà son paradoxe le plus violent depuis les premiers jours : on savait ce qu’on ne voulait pas et on ne savait pas ce qu’on voulait. Du coup, la brèche était pour les vieux réflexes : fermer des usines, insulter le plus fortuné que l’on rencontre sur sa route, licencier, déposséder, reprendre. 

D’ailleurs, il semble presque que le pays se vole lui-même chaque deux décennies : par le peuple ou au nom du peuple ou sur le dos du peuple. À chaque fois au nom d’une idéologie que l’on croit nouvelle, mais qui reste vieille comme la rancune des dominés. Le fameux Hirak ne fit, sur le plan économique, que réinventer l’inquiétude du propriétaire, la peur, la dépossession et une sorte de fantasme d’égalitarisme violent et radical, coûteux et extasié. Et aujourd’hui, le souvenir de cette colère sert à tout et surtout à bloquer une économie entière, installer la peur durable et paralyser toute initiative : tous savent que l’enrichissement est la voie royale vers la prison ou l’insomnie. Et personne n’ose plus alors ni signer, ni engager son argent ou sa personne, ni apparaître, ni prétendre à la réussite. 

Un pays pourrait-il s’enrichir en détestant l’enrichissement ? Jamais. En Algérie, on peut encore et encore parler des libertés politiques, mais celles, si manquantes et depuis toujours, des libertés d’entreprendre sont aussi coûteuses, sinon plus : elle nous coûte le bonheur, la souveraineté et, paradoxalement, l’impossibilité de voir naître une classe moyenne, des contribuables, et donc, des citoyens et des droits et une démocratie. On n’aime pas la dictature, mais on s’accommode presque tous de l’économie de rente sans savoir que l’une ne va pas sans l’autre. Et on n’en parle pas car cela ne fait pas mode et prestige. Les traditions intellectuelles et médiatiques sont dites “de gauche”, au nom du décolonial permanent, et en cela, elles pardonnent au populisme sa naïveté sublimée et on l’encourage même parfois au nom d’un idéal de justice sociale. 

La réalité est tout autre : l’Algérie est un pays qui ne sécurise pas la propriété et les biens, ne rassure même pas ses habitants, leurs maisons et leurs murs. Posséder, c’est mal dormir. Depuis Ben Bella et sa thérapie socialiste contre les obèses. Comment alors bâtir une économie sans avoir tranché la question de la propriété, de la légitimité du bien et de sa protection ? Comment devenir riche si à chaque rupture politique, on en revient aux nationalisations ? Comment expliquer qu’après mille ans de dépossession par invasions étrangères, tout ce qu’on a appris, c’est libérer le pays pour que personne n’y possède rien de sûr, de certain et de durable ? Tout est bien-vacant et à la fois mal occupé ; tout est illégitime et pourtant propriété de tout le monde ; tout est à tout le monde et à personne et, du coup, rien n’est travaillé à la sueur car rien n’est sûr. 

Voilà un mal dont on ne parle pas. Car défendre le riche ou l’enrichissement, c’est vu comme trahir. On consacre alors ce qui nous enchaîne au nom de ce qui nous lie : la rente, la subvention et la haine de la réussite, l’égalitarisme, le soupçon. Dans un univers où le butin est la seule forme d’enrichissement possible (et précaire), la razzia est, dès lors, la seule entreprise qu’on imagine.

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