L’Actualité Droit de regard

Expression, démocratie et développement

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Mustapha HAMMOUCHE Publié 13 Mars 2022 à 10:07

L’évolution du marché des hydrocarbures et les fuites concernant la préparation du match de barrage de Coupe du monde qui attend notre équipe nationale occupent intensément nos médias. Outre ces deux sujets d’intérêt constant, la presse nationale surveille intensément les fluctuations du prix de la pomme de terre, scrute les nouvelles sur les procédures de demande de visas et s’inquiète du retour, ou pas, d’Air Algérie à son niveau d’activité ordinaire. Pour remplir cette tâche, elle guette les dépêches d’agences et les communiqués officiels, et cela semble suffire à accomplir notre mission d’informer. Ainsi, nos journaux écrits, radiodiffusés ou télévisés ressemblent de plus en plus à des synthèses de la communication institutionnelle.

Bien sûr, il ne s’agit pas là d’un mouvement spontané de régression qualitative de l’information générale en Algérie ; la pression répressive imposée à l’activité journalistique, d’une part, et la censure appliqué aux médias publics, d’autre part, ont poussé la profession à un glissement forcé vers l’autocensure. À cette autocensure de sauvegarde vient s’ajouter une communication de complaisance qui a toujours existé. Il résulte de ces deux pratiques complémentaires une communication pauvre faite d’un mélange de discours magique et de sous-information. Les deux ingrédients auront pour effet d’éloigner émetteur et récepteur des réalités. 

Cet étouffement tendanciel de l’expression sociale, auquel nous assistons depuis un certains temps, ne touche pas les seuls professionnels. Le harcèlement répressif et la pratique du châtiment pour l’exemple — c’est-à-dire un châtiment disproportionné et répété — ont sûrement fait leur effet, plongeant progressivement le citoyen dans un silence timoré. On perçoit d’ailleurs aisément la forte impression de refoulement qui émane d’une société d’habitude si prompte à donner un avis sur tout et si assurée de son discernement entre bien et mal, entre coupable et victime… Les élites se font plus prudentes, le café du commerce a pris le maquis et le débat est devenu une activité souterraine. Nos faiseurs d’opinion n’ont plus d’avis. Pas d’avis à partager, en tout cas. 

Prenons le cas de la décision du Président de limoger le ministre des Transports. Le communiqué stipule que ce dernier a été écarté pour avoir “commis une faute grave dans l’accomplissement de ses missions”. Mais nous n’en saurons pas plus. Tout se passe comme si l’opinion populaire n’avait pas à se poser la question de la nature de cette “faute” et qu’il lui suffisait d’être avertie de sa gravité. Certes, le chef de l’Exécutif n’est pas tenu de motiver ses décisions de nomination et de révocation. D’ailleurs, d’autres membres du même gouvernement ont, par le passé, été révoqués sans plus de justification. Mais, cette fois-ci, la formule de “faute grave”, parce qu’elle insinue ce qu’elle dissimule, intrigue plus qu’elle n’éclaire. Entre parenthèses, et par coïncidence, le sibyllin message est émis au lendemain d’une réunion du gouvernement annonçant un projet de “nouvelle approche de la communication institutionnelle du gouvernement”. 

Cela dit, l’événement n’a pas donné lieu à de grands développements de presse. Ni dans la sens de la spéculation, dont nous sommes friands quand il s’agit de prétendre aux secrets des coulisses de pouvoir, ni dans le sens de l’examen sérieux qui doit être appliqué à tout événement politique et dont nous sommes un peu moins coutumiers. L’effet asséchant de notre relative paresse professionnelle est accentué par l’état d’inhibition du à la menace répressive. Même lorsque nous cultivons des velléités professionnelles, cette menace fonctionne comme une dissuasive épée de Damoclès. 

Dans cette situation, nous préférons alors nous alourdir sur des événements à connotation politique moins directe, comme cette affaire d’inauguration festive et ridicule de douches pour résidentes universitaires à Batna ou cette image poignante du jeune passager de soute du vol Constantine-Paris. Oui, dans les deux histoires, l’une comique et l’autre tragique, transparaît le mouvement de régression politique, socioéconomique et culturelle depuis longtemps entamé par notre pays et que rien ne semble pouvoir endiguer ou même freiner.

Et c’est cette réalité que la censure, au sens large, a pour objet de camoufler. Quand des journaux annoncent, presque timidement, la programmation, enfin, du procès d’un activiste, le réquisitoire prononcé contre un militant politique, la mise en détention d’un journaliste…, ils se rappellent surtout à eux-mêmes les risques de leur métier. Il n’y a pas que l’espérance 
démocratique qui est menacée par l’abolition accélérée de la liberté d’expression à laquelle nous assistons ; elle hypothèque le développement national dans toutes ses dimensions. 

 

Par : M. Hammouche

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    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

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