L’Actualité Olivier Le Cour Grandmaison, spécialiste de l’histoire coloniale et post-coloniale

“Il est indigne de continuer à honorer celui qui a été le bourreau des Algériens”

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Samia LOKMANE KHELIL Publié 20 Février 2021 à 23:18

© D. R.
© D. R.

L’historien évoque une violence symbolique et une discrimination mémorielle à l’égard des héritiers de l’immigration algérienne en France.

Liberté : Pourquoi avoir lancé une pétition maintenant pour déboulonner les statues de Bugeaud et débaptiser les  écoles et  les  rues qui portent son nom ?
Olivier Le Cour Grandmaison : Cette pétition  est  lancée  dans un contexte de mobilisation citoyenne, à Marseille notamment, et de certains élus pour le retrait du nom de Bugeaud de l’espace public. Il nous a  semblé  absolument nécessaire de rappeler les raisons pour lesquelles cette demande est légitime.

Bugeaud n’est pas seulement celui qui a mené une guerre  totale lors de la conquête de l’Algérie et qui a théorisé les enfumades en encourageant les officiers sous ses ordres à les pratiquer.

Il est aussi un ennemi de la République puisqu’il a pris  les  armes contre les républicains lors de l’insurrection de février 1848 en défendant la monarchie de  Juillet  jusqu’au  bout.  À  ce  titre,  il  est  absolument  indigne  et incompréhensible que la République continue à  honorer  celui  qui a été un bourreau du peuple algérien et le massacreur des insurgés parisiens.  

Dans le sillage du rapport Stora sur les mémoires de la guerre d’Algérie, l’Élysée  a  fait  savoir  que  des  gestes  symboliques  seront  pris  pour sceller la réconciliation algéro-française.  Ces  gestes ne doivent-ils pas inclure l’effacement du souvenir de Bugeaud de l’espace public ?
Oui, bien sûr. Ce sont des gestes qui doivent être accomplis, mais  je constate que Benjamin Stora, qui connaît  le  rôle  de  Bugeaud  en  Algérie  comme en France, ne fait aucune proposition sur ce point précis, alors que les débats sur le retrait du nom de Bugeaud de l’espace public sont dans l’agenda militant et politique depuis un certain temps maintenant. 

Le retrait du nom de Bugeaud s’intègre, selon vous, dans le combat pour la décolonisation de l’espace public. En quoi cela est-il important ?
Les rues et les statues en l’honneur de Bugeaud sont une insulte aux victimes algériennes et aux républicains qui  ont  combattu  en  février 1848.  D’autres hommes, connus pour avoir été des bourreaux  des  peuples  colonisés, sont également célébrés.L’honneur qui leur est rendu est tout à fait scandaleux.

Il est incompatible  avec  les  valeurs  de  la  République  et  il  constitue une violence symbolique à l’égard de millions d’hommes et de femmes, issus de l’immigration coloniale et postcoloniale. Ces commémorations représentent aussi une discrimination mémorielle et comémorielle qui s’ajoute à l’ensemble des autres discriminations subies par les populations racisées.

Certains  pensent  qu’il  faut  garder  les  noms  de  rue  et  les  statues controversées  en  ajoutant  des  plaques  explicatives.  Qu’en pensez-vous ?
On peut toujours en débattre. Je pense que dans certains cas comme celui de Bugeaud,  les  noms  doivent  disparaître.  Pour d’autres,  il  faut  sans  doute rajouter  des  notices  qui  précisent  le  rôle  de  certaines  grandes  figures républicaines dans la construction de l’empire colonial sous la Troisième République. Jules Ferry était un républicain, assurément, mais il a également été l’un des principaux artisans de la colonisation.

À ce titre, il a  défendu  des conceptions racistes  du  genre  humain, qui ont légitimé  l’expansion  impériale  française, et  une  politique  de  conquêtes meurtrière. Cela doit désormais être dit et être vu dans l’espace public pour ne pas entretenir la mythologie nationale républicaine à l’endroit de Jules Ferry et de beaucoup d’autres fondateurs et dirigeants de la Troisième République.
 

Propos recueillis par : S. L.-K.

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