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Kabylie : ce feu qui réveille nos flammes

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Kamel DAOUD Publié 12 Août 2021 à 06:30

© D.R
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Par : Kamel daoud
Écrivain

Encore une fois, l’histoire de ce pays se raconte en un seule endroit, résumée dans la tragédie, la perte et l’héroïsme. 100 incendies, en une journée dans près de 17 wilayas. Un enfer qui ravage surtout la Kabylie et exile ses enfants. Des dizaines de morts. Des sacrifiés, des biens perdus, des exilés à l’intérieur de leurs terres. En une journée seulement, on a vu ce qui fait la grandeur de ce pays et sa fragilité immense. S’y révèle ce qui peut le sauver et ce qui peut le détruire à jamais : la solidarité ou la démission ou les oppositions tapageuses. Mais on a beau essayer de s’occuper de l’essentiel aujourd’hui, c’est-à-dire collecter, aider, loger, nourrir, 100 incendies en même temps, au même moment, laissent entrevoir un autre ennemi invisible, des promoteurs de la terre brûlée, littéralement. On a beau résister à la théorie du complot, car devenue une corde usée, elle s’impose aujourd’hui : après la tentative de brûler le Sud algérien en manipulant les misères, c’est au tour de son nord. On y saisit alors cette vérité monstrueuse : en nous-mêmes, avec ceux qui allument ces feux et avec ceux qui luttent contre au prix de leur vie, on a le monstrueux et l’héroïque. C’est ce qui nous sauvera ou nous détruira.

La Kabylie qu’on brûle, et le pays qu’on incendie avec elle, est aujourd’hui la terre qui nous unit et nous révèle. Le champ de nos morts perdus et des vivants admirables. La terre où l’on brûle et où l’on peut semer un avenir, malgré les cendres. Ce pays est aujourd’hui à un tournant. Il a toutes les raisons de s’effondrer et toutes les autres de se relever. S’alignent les planètes mauvaises de ceux qui pratiquent le déni des réalités et de ceux qui règlent leurs comptes politiques, et s’érige le corps sublime et tanné de ceux qui tentent d’incendier les feux et les sinistres de nos âmes. On peut alors se disperser et partir. Ou peut y rester et y croire. Mais pour cela, nous avons besoin de croyances nouvelles, et ceux qui sont morts hier nous les offrent. Mieux que mille discours du Régime ou mille conjugaisons de ses oppositions. D’un rêve ramené à nos mesures, mais élagué des fausses branches.

Ce pays va mal. Dans le périmètre de chacun s’élèvent les voix de ceux qui vous répètent “en septembre je quitte !”. De ceux qui veulent partir et nous emporter avec eux pour se rassurer et se sentir moins coupables peut-être. Mille voix qui susurrent : ce pays ne se relèvera jamais. “C’est fini.” Ou “c’est la faute de…”, comptables inutiles, mais agaçants, car jouisseurs mauvais. On y manque de tout, peu de choses y fonctionnent, beaucoup de choses s’y effondrent. Mille voix qui nous font douter de nos choix quotidiens et de nos racines et récoltes. Des désespérés qui veulent contaminer. Ou des désespérés que le pays a usés. On peut les croire et on aura raison de penser aux siens, à soi et à sa famille, et les sauver. Mais quelque chose fait alors mal au cœur. Une sorte de pointe d’échec au milieu de la poitrine, de morsure de défaite à la jointure des poumons. D’indignité en perspective, de petite mort que ne stoppera pas la nostalgie. Partir ? Oui, mais on y perd immensément en gagnant un peu. On peut quitter ce pays et on a raison. Et on peut rester parce que le pays n’est pas le chant patriotique ni un “Régime”, mais ses proches, la rue de l’enfance, des habitudes, des commerces, des adversaires mêmes. 

Ou rester et en mourir. De manque d’air, de place, d’eau, de sécurité, de santé et d’espoir. De trop de médisance. C’est un choix. Car même en partant, on peut aider. Et même en restant, on peut incendier des forêts. Car un pays ,c’est ce qu’on accomplit, pas ce qu’on hérite. Mais ce choix de baisser les bras et laisser les incendies avancer, personnellement, ne me sera jamais dicté par les voix du sinistre. Ceux qui aujourd’hui, d’ici ou de l’exil, répètent, tout en affirmant leur patriotisme virtuel ou d’affect, qu’on va vers la ruine et la mort, l’agenouillement. Que ce pays est mort et que c’est la faute de l’autre, toujours. S’il faut s’avouer vaincu, on le sera chacun par choix et pas par la loi de la fatalité. S’il faut perdre, autant à la fin de l’histoire.

Convois d’aides, héroïsme, solidarité face à l’enfer, élan et sacrifice vers la Kabylie et les autres foyers d’incendie. Ces moments sont le lieu de notre défaite et en même temps de la possibilité de résilience. La chance coûteuse de surmonter ce qui nous pousse à croire que tout est perdu. La révélation utile qui nous fait hurler de douleur. Ce pays souffre. Énormément. Et il s’agit de l’apaiser et de le bâtir avant de songer à bâtir des tribunaux. Ils peuvent venir plus tard. Aujourd’hui, ce malheur est là pour nous unir encore plus.
Aujourd’hui, une onde de peur nous traverse car on a compris qu’il y a un ennemi. Réel. Qu’il est prêt à tout et qua nos façons de nous accuser, de nous diviser et de nous insulter l’aide à avancer sur nos cadavres. Tout est à faire ou à refaire bien sûr. Mais si ce pays sombre parce que nous avons finalement désespéré, il ne restera ni amis ni ennemis à combattre. Que des cendres aux vents. Et dans une cimetière, aucune tombe ne se distingue des autres et toutes sont couchées l’oreille sur la coquille du néant.

Alors oui. Aujourd’hui, la Kabylie qui brûle est la terre qui nous unit et nous révèle à nous-mêmes. Celle où des enfants meurent venus de partout et qui réveille en nous ce qui peut nous sauver et qui nous montre ce qu’il faut bâtir en premier. Qui nous donne l’occasion d’aller plus loin que les rancunes usées, la colère sans issue, les indifférences, les différences, ou les procès faciles d’autrui. Condoléances aux enfants de ce pays, morts brûlés. Leur mort ne sera jamais vaine. Et ce feu ne prendra pas dans nos âmes. Je ne sais qu’écrire d’autre. Ce fut difficile de trouver des mots qui aient un sens. D’arracher des phrases au silence qui laissent ces jours difficiles. Tout est futile face au feu et tout est essentiel face aux incendies.

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